Tout le monde en appelle à la résilience… Comment un pays, un continent, l’Europe, une économie, peuvent-ils entrer en résilience ?
Emmanuel Delannoy : Résilience ! En effet, le mot est sur toutes les lèvres. Mais si le concept est de mieux en mieux connu, sa traduction en termes stratégiques ou opérationnels pour les dirigeants d’entreprises et les décideurs territoriaux reste assez vague.
Or, dans les systèmes complexes naturels, la résilience repose essentiellement sur trois facteurs :
- L’autonomie – ou la capacité d’auto-organisation. Chaque fonction est produite au niveau où elle est nécessaire. Chaque système repose sur un jeu de rétroactions et de régulation autonome. Chaque élément du système produit plusieurs fonctions. Chaque fonction est produite par plusieurs éléments du système. Cette combinaison de la multifonctionnalité et de la redondance peut sembler coûteuse aux yeux d’un « cost-killer », mais elle est fondamentale dans la capacité des systèmes naturels à encaisser les chocs. Les militaires l’ont d’ailleurs bien compris.
- La diversité – Elle s’exprime au niveau génétique, individuel, spécifique, fonctionnel et des modalités d’interrelations entre les éléments du système. La diversité est en soi un réservoir de potentialité d’adaptation. Mais là aussi, elle a un coût. C’est bien pour cela que nos systèmes économiques ont fait la chasse à la diversité pour lui préférer la standardisation, et la normalisation. Mais la diversité constitue un avantage considérable dès que les conditions se mettent à varier – à dériver comme disent les ingénieurs.
- La capacité d’apprentissage. La rétroaction, le feedback, la diffusion du signal et son traitement au meilleur niveau permettent une grande réactivité des systèmes et favorisent leurs capacités d’adaptation. Ces mécanismes d’apprentissage peuvent être décrits selon plusieurs catégories : en boucle courte (ajustements marginaux) ; en boucle double (amélioration – adaptation) ou en boucle triple (rupture, transition ou « changement de paradigme »). L’exaptation ou la spéciation sont des mécanismes bien connus des paléontologues qui rendent possible des « sauts évolutifs » rapides (à l’échelle du temps de l’évolution) sont de bons exemples de mécanismes de rétroaction en boucle triple.
La capacité d’un système ou d’une organisation à être résiliente repose sur l’identification et la mobilisation de ressources internes (en biologie de l’évolution, c’est là que l’exaptation intervient par exemple) ou externes, matérielles ou immatérielles, actives ou susceptibles de l’être en fonction des contextes et des situations.
La complexité doit être réhabilitée et valorisée en tant que condition de la résilience et de l’adaptabilité.
Emmanuel Delannoy
On le voit, la résilience n’est rien d’autre qu’une propriété, dite « émergente », des systèmes complexes. Or le modèle industriel, dans sa quête de performance et de rationalisation, a préféré adopter une approche réductionniste cherchant à limiter volontairement la complexité. Souvent perçue comme un frein, voire une menace, la complexité doit aujourd’hui être réhabilitée et valorisée en tant que condition de la résilience et de l’adaptabilité.
Mais l’aptitude des organisations à naviguer dans la complexité reposera sur une culture managériale et décisionnelle nouvelle, plus systémique qu’analytique, plus intuitive aussi, peut-être. Il va donc être nécessaire, pour nous préparer aux nouveaux défis, d’inventer de nouvelles « boussoles stratégiques » pour les décideurs.