Le projet semble futuriste, presque utopique. À la veille de la présentation en Conseil des ministres du projet de loi sur l’accélération des énergies renouvelables, un consortium d’acteurs publics et associatifs marseillais, emmené par l’adjoint EELV à la transition écologique, Sébastien Barles, s’est réuni jeudi 22 septembre à la brasserie Blum, au 125 La Canebière (1er). Ensemble, ils demandent à l’État de libérer le foncier existant pour créer une « canopée solaire » – une ombrière photovoltaïque recouvrant un tronçon routier. La technologie permettrait de capitaliser sur le taux d’ensoleillement de la cité phocéenne en produisant une énergie solaire locale et accessible par autoconsommation. Ce projet expérimental apporterait, selon ses défenseurs, une solution cohérente à la double crise environnementale et sociale. Tout en valorisant l’autoroute, un équipement polluant et bruyant.
Le Collectif anti-nuisances environnement (Cane), une association de France nature environnement (FNE 13), est à l’origine de cette initiative. Son président, Richard Hardoin, propose « depuis longtemps » de couvrir un tronçon de route à Marseille avec une canopée de panneaux photovoltaïques. Des projets pilotes de cet équipement aussi appelé « serpent solaire » sont à l’œuvre en Suisse, en Allemagne et en Australie. Et le concept séduit. Utiliser une route existante comme support technique, plutôt que de créer de nouveaux champs de panneaux, évite en effet de mettre en concurrence climat et vivant. Donc pas d’artificialisation des sols supplémentaire. L’ouvrage permettrait même de réduire les nuisances sonores et la pollution de l’air. L’installation disposerait tout de même de sections ouvertes pour ne pas empêcher l’accès des secours en hélicoptère.
En Belgique, le premier serpent solaire
Présenté pour la première fois aux États-Unis en juin 2010 par l’architecte suédois Mans Tham, le concept de serpent solaire – ou solar serpent – a rapidement trouvé des adeptes. En 2011, la Belgique inaugure un premier ouvrage opaque, chiffré à 18 millions d’euros, au-dessus d’une voie de TGV (3.300 MWh de puissance). Composé de 16.000 panneaux, le « tunnel du soleil » de 55.000 m² s’étend sur 3,5 kilomètres est génère assez d’électricité pour alimenter la gare d’Anvers et la signalisation sous le tunnel. Il est en revanche plutôt contesté sur le plan esthétique.
Tunnel du soleil (crédit : Infrabel)
FNE 13 a réalisé une étude benchmark, en s’appuyant sur les plans des pilotes étrangers, et suggère de couvrir quatre tronçons : Frais Vallon (L2), Le Canet (L2), Arenc (A55) et La Pomme (A50). Sébastien Barles s’est récemment saisi du dossier. Séduit par la démarche associative, il veut lui donner une toute autre envergure, en valorisant de plus longues portions autoroutières. Il identifie trois segments exploitables. Un tronçon de dix kilomètres situé entre Saint-Charles et Septèmes-les-Vallons (A7), un autre de onze kilomètres, entre le Parc du 26e centenaire et La Penne-sur-Huveaune (A50), et un dernier segment de cinq kilomètres sur la L2. Soit un terrain de jeu potentiel de 26 kilomètres.
Le processus peut être très rapide (…) ça peut être un projet monté sur quatre ans.
Sébastien Barles
La France a pour objectif de multiplier par dix sa puissance solaire installée d’ici à 2050. Le texte de loi en préparation vise notamment à accélérer le développement du parc photovoltaïque français. « On a vu dans l’avant-projet que les délaissés d’autoroutes vont pouvoir être utilisés, on veut saisir cette opportunité pour aller plus loin », explique Sébastien Barles. Il veut à la fois lever les freins légaux et débloquer des fonds, en invoquant la participation de Marseille au programme européen des “100 villes neutres pour le climat en 2030“. « L’idée c’est de mettre la Banque des territoires dans l’affaire (…) elle a les capitaux », soutient l’adjoint marseillais, qui mentionne également le Crédit coopératif. Il cherche encore d’autres leviers croisés publics et privés pour financer les études de faisabilité et l’installation d’un ouvrage pilote. Le député LFI Hendrik Davi (5e circonscription), et le sénateur EELV Guy Benarroche s’engagent à défendre le projet au Parlement.
Une canopée solaire pilote à Frais Vallon ?
Suivant le calendrier prévisionnel, un premier démonstrateur de deux kilomètres, chiffré à 24 millions d’euros (hors études), serait installé sur la rocade L2 à horizon 2026 – le quartier de Frais Vallon, déjà bénéficiaire du dispositif renouvelable Flexgrid, est privilégié par FNE 13. Ce pilote composé de 80.000 m² de panneaux photovoltaïques serait en capacité d’assurer les besoins énergétiques de 6000 riverains. « Le processus peut être très rapide (…) si on est soutenu par une vraie volonté politique de l’État, ça peut être un projet monté sur quatre ans », assure l’élu. Dans l’hypothèse où le pilote se montre efficace, Sébastien Barles imagine une couverture des trois segments ciblés – soit un potentiel d’un million de mètres carrés de panneaux solaires à horizon 2030. Il faudra pour cela que la Commission européenne accepte de mettre la main à la poche.
L’échec d’une route solaire à Tourouvre (61)
Installée en 2016 à Tourouvre-au-Perche, dans l’Orne, la première route solaire de France, pavée de panneaux photovoltaïques, s’étend sur un kilomètre. Après six années d’expérimentation, ce pilote financé à l’époque par le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer est loin de donner satisfaction, notamment sur le plan énergétique. En 2018 par exemple, après seulement deux ans d’activité, l’équipement au sol n’a généré que 78.397 kWh – soit 10% du rendement attendu. Pour Sébastien Barles, ce projet porté par la société Colas n’a rien à voir avec l’idée marseillaise. « Je me souviens, c’était du greenwashing à fond », commente l’élu. A contrario, il vante les « retours d’expériences positifs » transmis depuis la Suisse, l’Allemagne et l’Australie, où des réseaux de rames solaires pilotes sont à l’essai.
Les besoins en énergie de 60 000 Marseillais assurés
Dans sa forme élargie, à son plein potentiel, l’ensemble de canopées solaires marseillais couvrirait les besoins en énergie de 60 000 habitants. Un Marseillais sur quinze. Ce gigantesque programme d’autoconsommation collective s’appuierait sur un système de communautés énergétiques, avec des centrales relais pour alimenter les noyaux villageois. Une originalité marseillaise, puisque l’énergie produite par les démonstrateurs étrangers est injectée dans le réseau. Dans le projet porté par Sébastien Barles, chaque citoyen (ou entreprise) situé dans le périmètre de la communauté peut adhérer à l’autoconsommation. « Si on implique pas les gens, ça ne fonctionne pas », commente Jord Duval, collaborateur du sénateur EELV Guy Benarroche. La canopée solaire à la marseillaise promet aux contributaires un retour sur investissement après huit ans.
En autoconsommation collective, l’énergie produite est accessible à tous les habitants du périmètre. Autrement dit, les bénéfices engendrés irradient l’ensemble des particuliers et professionnels qui se situent dans la communauté. Une manière de s’affranchir des fournisseurs classiques. Puisque le coût moindre de cette électricité générée en circuit court est constant, et garanti sur vingt ans. De quoi alléger la facture énergétique des ménages les plus précaires. Dans le programme élargi, la priorité affichée est d’ailleurs de valoriser les routes qui traversent les quartiers populaires, frappés plus durement par la crise énergétique. Toutefois, la longueur réglementaire d’une canopée solaire est aujourd’hui limitée à deux kilomètres. « On pourrait demander une dérogation de l’État pour aller jusqu’à dix kilomètres », juge Sébastien Barles. Une option qui permettrait de créer pour chaque segment du projet (A7, A50 et L2) une grande communauté énergétique.
Marseille : une Sem “énergies renouvelables” dans les tuyaux
La mairie de Marseille va créer dans les prochains mois une société d’économie mixte (Sem) dédiée à l’accélération des énergies renouvelables. Une structure qui permettra aux Marseillais d’investir dans la production locale d’énergie solaire. Au passage, la Ville va entrer au capital des coopératives d’énergie citoyenne Massilia Sun System et Énergie partagée. Un des premiers programmes portés par cette nouvelle entité sera de couvrir de panneaux photovoltaïques 70 toitures du parc municipal. La Sem aura pour objectif de promouvoir la création de communautés énergétiques et d’identifier les gisements potentiels d’ombrière à Marseille.
Un projet à 240 millions d’euros minimum
L’avantage principal à couvrir une route, plutôt qu’un bâtiment (comme une friche par exemple), c’est d’étendre les communautés d’énergie sur la longueur, avec des centrales intermédiaires, et ainsi d’englober plus de bénéficiaires. Si le terrain de jeu identifié mesure 26 kilomètres, le réseau d’autoroutes photovoltaïques doit comprendre des « espaces libres ». En fourchette haute, il s’étendrait en réalité sur une petite vingtaine de kilomètres. Soit environ 800.000 mètres carrés à couvrir.
Mais difficile pour l’heure d’évaluer le coût d’un tel équipement – beaucoup de paramètres restent à étudier. « On a bossé avec des énergéticiens sur les dossiers suisses pour faire un benchmark », explique Sébastien Barles. Un mètre carré de panneaux solaires à déployer sur une canopée « c’est 300 euros ». Le prix est multiplié par deux par rapport à une centrale au sol. Il faudrait donc au minimum 240 millions d’euros, sans compter les études techniques, pour financer le plein potentiel du projet marseillais.
Quelle implication de la filière solaire locale dans la canopée ?
Le territoire Aix-Marseille bénéficie d’un vivier conséquent d’entreprises spécialisées dans l’énergie, notamment solaire. « Il y a de la place pour tout le monde », assure Sébastien Barles. L’élu évoque des structures comme Énergie partagée, ou encore Massilia Sun System qui pourraient investir en tant que professionnels dans la société de projet. Sans oublier SerneySun, spécialiste de la création de communautés énergétiques, et partenaire de la candidature marseillaise aux programme européen des 100 villes neutres pour le climat.
Concernant la fabrication des panneaux, l’adjoint pense à l’entreprise marseillaise DualSun, qui vient de lever 10 millions d’euros auprès de Tilt Capital Partners (Siparex) et de ses investisseurs historiques. Il sera également nécessaire de lancer un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour assurer l’installation et l’exploitation de l’équipement. « On aura des gros ». Sébastien Berles cite à la volée EDF Renouvelables et Tenergie. Contacté par Gomet’, le groupe aixois n’a pas répondu à nos sollicitations.
Un projet ambitieux est-il pour autant un projet populaire ? Après avoir sondé plusieurs comités d’intérêt de quartier (CIQ) à Marseille, les défenseurs de la canopée solaire assurent que l’idée jouit d’une « réelle acceptation sociale ». En l’état actuelle des choses, « les riverains sont victimes de ces axes routiers », témoigne Richard Hardoin. Son association prévoit de lancer des discussions publiques, décentralisées et participatives pour faire connaître le projet. Ensuite la commission nationale du débat public (CNDP) devrait s’en mêler de manière officielle et réglementaire. FNE 13 pourrait rapidement solliciter un designer pour dessiner les premières maquettes de la canopée solaire marseillaise.
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