Lors de la session 2 du parcours de la Convention des Entreprises pour le Climat (CEC) Provence Méditerranée (cf. la première session), les participants ont exploré des moyens concrets de réorienter leurs modèles économiques face aux enjeux environnementaux et sociaux pressants. Le fil conducteur de cette session était l’introduction et l’appropriation de l’économie régénérative, un concept qui appelle à dépasser la simple réduction des impacts négatifs pour générer des effets positifs sur les écosystèmes et les communautés humaines qui en dépendent.
« La sobriété nous donne une chance d’être de bons ancêtres »
Yamina Saheb
Une des interventions marquantes a été celle de Yamina Saheb, dans le somptueux cadre du Musée d’Histoire de Marseille. Pour la chercheuse de Science-Po, membre du GIEC, « la sobriété nous donne une chance d’être de bons ancêtres » : le réchauffement issu de nos activités, qui pourrait aller jusqu’à +3°C à l’échelle mondiale, va rendre certains territoires inhabitables car la biodiversité et les équilibres naturels auront été détruits. C’est la vivabilité de la planète à sauver, et non la planète. Les nouvelles générations auront alors peu de chance d’atteindre l’âge de leurs grands-parents du fait du dérèglement climatique… sauf si on change tout avec une métamorphose de la société, en se basant sur la sobriété.
Avec la sobriété, on repart du besoin au lieu de penser solutions. Dans tous les scenarios, on a besoin de sobriété. Les politiques publiques permettent de lever des barrières pour atteindre la métamorphose. La sobriété n’est pas l’austérité ni la précarité, elle questionne le besoin : « La sobriété est un ensemble de politiques et de pratiques du quotidien qui évitent la demande en énergie, en matériaux, en eau, en sols tout en garantissant le bien-être de tous dans le respect des limites planétaires. »
Le virage stratégique de Redman
Sophie Rosso, de l’entreprise Redman, est cette fois intervenue dans le cadre de l’Epopée pour témoigner sur son expérience d’alumni de la première édition de la Convention des Entreprises pour le Climat. Redman, aujourd’hui labellisée B Corp et reconnue comme entreprise à mission, a amorcé sa transformation en 2017. Cette transition a été marquée par un virage stratégique vers la réhabilitation plutôt que la construction neuve, avec un accent sur les constructions biosourcées. Ce changement a nécessité non seulement une forte ingénierie, mais aussi une évolution des pratiques internes, y compris des renoncements significatifs, comme l’abandon de projets d’artificialisation des sols. Redman a également décidé de ne pas retenir les collaborateurs qui n’étaient pas en phase avec cette nouvelle orientation, ce qui a paradoxalement renforcé l’engagement des équipes restantes.
Lors de la conférence animée par Romain Cristofini, directeur de Lumia, l’accent a été mis sur la capacité unique du vivant à se régénérer naturellement, contrairement aux créations humaines qui consomment des ressources et génèrent du désordre. La nécessité pour l’homme de cesser la surexploitation et de favoriser des conditions propices à la régénération des écosystèmes a été illustrée par des exemples concrets, comme la reforestation ou la réhabilitation de friches urbaines. La régénération a été définie comme le fait de replacer la vie au centre des décisions et des actions, un principe auquel les entreprises régénératives peuvent contribuer activement. Ces entreprises, en intégrant des pratiques respectueuses du vivant, deviennent des acteurs clés de la restauration des écosystèmes et des communautés humaines. La conférence a également souligné l’importance de leaders conscients pour mener cette transformation profonde, nécessitant un changement de paradigme dans notre rapport au vivant.
Entreprises pour le climat : la nature au centre
La session, accueillie pour sa troisième journée au Cloître, a également été enrichie par la conférence en duo de Séverine Fantapie et Emmanuel Delannoy sur l’économie régénératrice. Ils ont insisté sur l’idée que la nature, à l’instar d’un “fournisseur sans facture », doit être au centre des nouveaux modèles économiques. La transition vers une économie régénérative ne se limite pas à des ajustements marginaux mais nécessite une véritable inversion des priorités économiques actuelles, en mettant la coopération et la création de valeur partagée au cœur du processus.
Ce second rendez-vous des 60 entreprises engagées pour le climat s’est conclu par un temps précieux avec Noémie Aubron, prospectiviste chez Circa 2040, Lors de son intervention, elle a notamment insisté sur le paradoxe que « le changement a changé » en ce qu’il est devenu systémique, rendant caduques les grilles de lecture des années 2000, notamment face à la polarisation croissante de la société. Elle a expliqué que la prospective s’éloigne de la pensée linéaire pour imaginer plusieurs futurs possibles : probables, plausibles, préférables ou souhaitables.
Le parcours Convention des Entreprises pour le Climat : un excellent outil d’anticipation
Un exemple marquant est celui d’Ikea, qui ne mise plus sur des objectifs annuels, mais sur plusieurs scénarios anticipant divers avenirs. Noémie Aubron a évoqué les « germes de changement » sur lesquels se base la prospective : le passage d’un monde d’abondance et de confort à un monde de débrouille, comme celui où nous passerions d’un internet omniprésent à une ressource rare. Elle a également introduit la notion d’« éléphants noirs », des éléments largement identifiés mais non pris en compte, et a insisté sur la nécessité de développer une empathie collective avec le futur, à travers des outils comme le design fiction et la fiction prospective, pour mieux appréhender les signaux émergents – notamment pour les entreprises. En cela, le parcours de la Convention des Entreprises pour le Climat est un excellent outil d’anticipation pour les entreprises.
Témoignage de participants
Convention des entreprises pour le climat : un appel urgent à l’action
Ces exemples concrets ont illustré la faisabilité de la transformation, tout en soulignant les défis à surmonter, notamment le besoin de changement profond des mentalités et des pratiques. La session a renforcé la conviction que pour réussir cette transition, une approche systémique et collective est indispensable, avec un engagement fort de la part des dirigeants d’entreprises à revoir leurs modèles d’affaires sous l’angle de la régénération. La Session 3 de la Convention des Entreprises pour le Climat Provence Méditerranée aura lieu les 12 et 13 septembre au Centre Regain à Manosque, et se concentrera sur comment « entreprendre avec le vivant… »
Témoignage communauté des Alumni : poursuivre l’élan avec CORSICA Linea
CORSICA linea, alumni de la CEC Provence Corse, s’est confrontée au défi de la question régénérative. Un concept phare du parcours CEC pour s’interroger sur une vision renouvelée d’un modèle économique cohérent avec les enjeux environnementaux et sociétaux du XXIe siècle.
Avant de participer à la CEC, la Compagnie était déjà engagée dans une trajectoire de réduction de l’empreinte carbone de sa flotte de navires. Le concept d’économie régénérative a permis d’élargir le champ de la réflexion pour se demander comment nous pouvions, au-delà de la baisse des émissions, être producteur de valeur positive dans nos écosystèmes ?
C’est le nouveau cap qui a été fixé : embarquer l’écosystème de l’entreprise en Corse et en Méditerranée, pour diminuer les émissions de CO2 de 40% d’ici 2030, se rapprocher du NetZéro en 2040, engager ses actions en faveur de la biodiversité, tout en préservant la capacité à financer cette transition énergétique. Autour de ce pivot, six leviers thématiques ont été définis et accompagnés d’objectifs d’impact mesurables et de plans d’actions pour franchir ce nouveau cap.
A titre d’exemple pratique, concernant le levier de la sobriété, il s’agit d’adapter le nombre de traversées, optimiser la taille de la flotte et d’arbitrer les choix d’exploitation les plus adéquats au regard des critères environnementaux établis. Ainsi, outre l’ambition rehaussée de la baisse de ses émissions de gaz à effet de serre, CORSICA Linea a choisi d’aller bien plus loin dans la vision moyen-long terme de son rôle de transporteur maritime dans le cadre des limites planétaires, tout en assurant la santé financière de l’entreprise nécessaire au changement de cap.