Une réunion s’est tenue en préfecture des Bouches-du-Rhône, mardi 16 juillet, pour définir la nouvelle feuille de route de réhabilitation de l’étang de Berre, après une première feuille de route établie en septembre 2021. Elle réunissait pour la quatrième fois le comité stratégique de l’étang de Berre, qui regroupe des élus du pourtour de l’étang, le Gipreb, les associations, EDF et les professionnels de la zone, notamment le Grand port maritime de Marseille (GPMM).
Deux gros dossiers étaient particulièrement à l’ordre du jour : la réouverture à la courantologie du tunnel du Rove, et la dérivation du canal EDF de Saint-Chamas, désigné sous l’appellation « Provence bleue. » Si, selon nos informations, le premier sujet semble faire consensus parmi les acteurs, le deuxième génère davantage d’incertitudes.
Envisagé depuis des décennies, le projet de dérivation du canal de l’usine EDF de Saint-Chamas consisterait à détourner une partie des rejets d’eau douce liés à la production hydroélectrique de cette usine, pour éviter qu’ils ne viennent perturber le milieu saumâtre de l’étang de Berre. Depuis plusieurs années, l’usine est déjà soumise à des quotas de rejets. C’est face aux besoins énergétiques croissants que la perspective d’un détournement de rejets d’eau douce plutôt que leur limitation par des quotas a été évoquée en premier lieu. Au delà de l’enjeu écologique, l’objectif sous-jacent est également de trouver une façon de valoriser ces rejets d’eau douce, dans un contexte de sécheresse et des besoins industriels sur la zone de Fos.
Valoriser les rejets d’eau douce de l’usine EDF
Selon plusieurs études menées à la fois par le principal intéressé, EDF, mais aussi l’Etat et l’Agence de l’eau, divers scenarii sont ainsi envisagés : parmi elles, le stockage d’une partie de l’eau turbinée de Saint-Chamas dans un bassin de 170 hectares entouré de digues, ensuite pompée et envoyée dans une “dérivation” jusqu’à la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer et le Rhône.
Option additionnelle, la valorisation de 450 000 tonnes de limons par an, dont une partie serait soit stockée dans des bassines à Mallemort soit directement injectées dans la nappe de la Crau, afin d’alimenter les besoins en agriculture. Un scénario qui permettrait également de lutter contre la raréfaction de la ressource en eau.
Sur le papier, la solution semble donc parfaite. Mais les études présentées lors du comité stratégique mettent néanmoins en avant les difficultés liées à la géologie de la plaine de la Crau, ainsi que l’ampleur réel de l’impact environnemental des rejets dans le Rhône. L’incertitude se situe également au plan financier avec un coût global du projet évalué entre 1,16 et 1,76 milliard d’euros.
Selon les diverses études menées à la fois par la Banque européenne d’investissement, le cabinet d’études Safrege, filiale de Suez, ou encore les travaux de Philippe de Fontaine Vive, plusieurs sortes de montages financiers ont été imaginés, globalement tous basés sur des fonds publics qui impliqueraient aussi EDF et le GPMM.
Contactée, la communication de ce dernier n’a pas donné suite à nos sollicitations, mais selon nos échos, le GPMM serait quelque peu frileux à l’idée de s’impliquer financièrement dans le projet. Du côté d’EDF, « nous ne pouvons pas demander à EDF de financer le projet tout en leur enjoignant de baisser leur production », commente le maire de Saint-Chamas et président du syndicat mixte de l’étang de Berre, le Gipreb, contacté par Gomet’.
Mais malgré ces bassins, 600 millions de mètres cubes d’eau continueraient malgré tout de se déverser dans l’étang de Berre chaque année. Une solution qui ne satisfait pas l’association France nature environnement, présente lors de la réunion en préfecture. De son côté, le maire de Saint-Chamas tempère : « Le fait d’être extrémiste et dire que l’on ne veut aucun rejet pourrait mettre en péril la lagune. Le comité de surveillance estime que les rejets d’eau douce sont nécessaire au maintien en bon état de l’étang tant qu’ils se situent entre 300 et 600 millions de mètres cubes par an. De plus, aux vues des besoins en énergie, il n’est pas possible de demander à EDF de diminuer sa production », explicite Didier Khelfa. « Ce n’est pas un argument qui tient la route : l’étang de Berre est à l’origine un étang d’eau salée, pas saumâtre. Il n’a pas besoin d’eau douce. Certes, le milieu naturel a pu y trouver son équilibre mais de là à continuer de verser de l’eau douce … » assume de son côté Stéphane Coppey, porte-parole de FNE 13 également contacté par Gomet’.
Dérivation du canal EDF de Saint-Chamas : France nature environnement dénonce une « marchandisation de l’eau »
L’association environnementale voit davantage les raisons économiques derrière ce choix et va jusqu’à dénoncer une « marchandisation de l’eau » au travers des projets de valorisation. « On essaye de vendre l’eau potable et les limons aux agriculteurs, voire à des régions qui ont besoin d’eau potable, par exemple la Catalogne », poursuit Stéphane Coppey. De son côté, Didier Khelfa défend la nécessité de valoriser l’eau, tout en « privilégiant les besoins locaux » avant d’envisager l’approvisionnement d’autres territoires.
« J’entends le monde associatif qui nous dit que nous sommes dans une impasse, mais nous continuons à avancer. Il nous faut désormais trouver un modèle économique pour financer tout cela », plaide Didier Khelfa, qui précise que ce projet se fera « sur le temps long », mais n’avance pas de date précise.
En termes de tracés de la dérivation, le Gipreb privilégie un tracé par le nord, rejetant les limons dans le Rhône, plutôt qu’un tracé au sud logé sur l’étang de Lavalduc et serait beaucoup plus coûteux. Mais une autre piste est également évoquée, qui emploierait des tuyaux flexibles : si la solution paraît complexe à mettre en œuvre (risque d’ensouillage et d’écrasement des tuyaux), elle présente l’avantage, entre autres, d’être moins coûteuse…
De son côté FNE Provence Alpes Côte d’Azur plaide pour une alternative qui passerait par l’installation d’une STEP (station de transfert d’énergie par pompage), qui consisterait à pomper de l’eau de mer pour l’injecter dans l’étang, compensant les rejets d’eau douce d’EDF et permettant ainsi de maintenir son état biologique. Une piste évoquée un temps par le comité mais écartée par une étude du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) jugeant la solution « coûteuse et aux résultats incertains. »
La réouverture à la courantologie du tunnel du Rove pour améliorer l’état de l’étang de Berre
Autre sujet au cœur des discussions de la réunion du 16 juillet, la réouverture à la courantologie du tunnel du Rove, qui relie l’étang de Berre à la Méditerranée, avance vers la concrétisation. Là encore, le projet ne date pas d’hier. Il pourrait entrer dans le concret « bien avant 2030 » avance le maire de Saint-Chamas, qui se montre optimiste : « Nous allons désormais lancer une étude d’impact pour voir si nous pouvons continuer dans cette voie, on l’espère très vite. »
Ce projet vient en complément de celui de la dérivation du canal EDF : l’objectif, en effet, est de prélever de l’eau de mer au niveau de l’Estaque pour approvisionner en eau salée l’étang de Bolmon et, par ricochet, l’étang de Berre. (voir la carte ci-dessous).
« Ce projet est bénéfique. Cependant, il ne faut pas se faire d’illusions sur les résultats. Le tunnel est un bras mort, il est donc toujours bien de refaire circuler de l’eau dans les canaux mais il y a aussi un risque de déséquilibre de l’étang de Bolmon et celui de Berre. Il faudra donc être assez prudent sur l’évaluation de l’impact écologique », tempère pour sa part Stéphane Coppey.
Une pré-concertation publique au premier trimestre 2025
Dans un communiqué, la préfecture des Bouches-du-Rhône confirme le lancement de cette étude d’impact, menée sous la maîtrise d’ouvrage du Gipreb, d’ici la fin 2024. En parallèle, un comité de surveillance de la qualité des eaux des deux étangs sera mis en place. Ce n’est pas tout : une mission de préfiguration doit également être lancée en septembre 2024 pour imbriquer le projet de dérivation dans une stratégie plus large de décarbonation de la zone de Fos-Berre, afin de prendre en compte à la fois les enjeux d’énergie renouvelable, les considérations environnementales et industrielles.
Enfin, à la demande des associations, une pré-concertation du public sera impulsée au premier trimestre 2025, en lien avec le Lab territorial, et portera à la fois sur la dérivation, la valorisation de l’eau et la réouverture du tunnel du Rove.
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