Collectionneur compulsif, Justin Thannhauser a perdu ses deux fils au milieu du siècle dernier. Avant de mourir, en 1976 (âgé de 84 ans), ce riche amateur lègue au fonds Guggenheim de New York la plupart de ses joyaux. Avant lui, son père Heinrich, ancien tailleur, ouvrait, dès 1909 à Munich, une galerie d’art. Il promettait alors de s’intéresser «à tout ce qui est frais, puissant et original », en un mot «moderne».
Les persécutions nazies contraindront cette famille juive-allemande à l’exil, c’est ainsi que ces œuvres majeures traverseront l’Atlantique, passant d’Europe en Amérique.
Après une escale à Bilbao, une cinquantaine de ces toiles font retour vers le Sud. Pour la première fois, plus d’un siècle après leur puissante évocation colorée, les carrières de Bibemus et les arbres épais du Jas de Bouffan retrouvent – via la palette de Paul Cézanne – la terre natale. Combinant l’olfactif au visuel et au toucher, l’artiste aimait à décrire comment «l’odeur bleue des pins» se mêle à celle des pierres, et «à l’odeur verte des prairies»!
Solomon R. Guggenheim Museum, New York, Thannhauser Collection.
Non loin du visiteur non plus, les montagnes de Saint-Rémy, telles que les sentit vibrer Vincent Van Gogh, lors de sa convalescence tourmentée après le séjour arlésien en compagnie de Gauguin. Suite à ce passage en Provence, (jusqu’au 29 septembre), l’exposition rebondira au Palazzo Reale de Milan.
Homard bleu
A l’occasion de son second mariage, en 1965, le galeriste Justin Thannhauser reçoit de son ami Picasso une invention que chacun appréciera cet été hôtel de Caumont : l’improbable rencontre, tendue, entre un homard tout bleu, ses larges pinces ouvertes, et un chat marron, le poil hérissé, queue en l’air et regard furibard, les griffes fortement arrimées au sol. A l’encre rouge, en haut gauche de la toile, Pablo Picasso dédicace le tableau à son ami Justin, qui possède déjà une trentaine d’œuvres du même génie du récit pictural.
Solomon R. Guggenheim Museum, New York, Thannhauser Collection, legs Hilde Thannhauser, 91.3916 © Succession Picasso 2019.
Parmi d’autres créations exceptionnelles suspendues ici, le Palais ducal de Venise, signé Claude Monet qui parvient surtout à restituer l’atmosphère cernant le monument. A lui seul, ce tableau permet de comprendre pourquoi le peintre tient le motif comme «secondaire». Il affirme, en effet : « Ce que je veux reproduire, c’est ce qu’il y a entre le motif et moi».
Le ballon du douanier
La Montagne bleue de Kandinsky, comme la guitare de Braque ou les joueurs de football façon douanier Rousseau mériteraient tout autant de commentaires contemplatifs. Un peu comme des cariatides, trois portraits grand format de femmes chères à Picasso (Fernande, Olga et Marie Thérèse ) ferment la présentation , qui s’est ouverte avec un « homme aux bras croisés», peint par Cézanne, non sans mélancolie.
2. Paul Klee (1879-1940), Parterre de fleurs (Blumenbeet), 1913. Solomon R. Guggenheim Museum, New York
Par delà cet hommage aux muséographes en charge de la scénographie, osons un bémol en regrettant le choix de certains cadres… Trop souvent surchargés d’arabesques et de dorures, et parfois de dimensions peu appropriées.
A l’affût de la modernité en art , des mécènes tels que les dynasties Thannhauser ou Guggenheim permettent ainsi de (re)découvrir quelques moments marquants de la création plastique, à la charnière des siècles 19e et 20e, sur le registre figuratif aussi bien qu’ abstrait. Que leur souvenir en soit honoré.
Pratique :
> Chefs d’oeuvre du Guggenheim. De Manet à Picasso, la collection Thannhauser, du 1er mai au 29 septembre 2019 à l’Hôtel de Caumont – Centre d’Art.
> Liens utiles : les expositions de l’Hôtel de Caumont dans les archives de Gomet’