Hyvence, Carbon, Gravithy … Le bassin industriel du pourtour de l’étang de Berre, particulièrement la zone dite du Caban-Tonkin, grouille de projets industriels, qui projettent d’apporter des solutions au défi de la transition environnementale. Ces derniers ont notamment été mis en avant à l’occasion du business meeting organisé à Fos-sur-mer le 10 octobre dernier. Problème : pour fonctionner, tous ces projets vont nécessiter de l’électricité, beaucoup d’électricité … Alors que le nucléaire est décrié et que la ressource énergétique se raréfie, comment le gestionnaire de réseau RTE prévoit-il d’assurer un maintien de l’alimentation en électricité pour tout le territoire ? Gilles Odone, délégué RTE Méditerranée, détaille la stratégie mise en place à l’horizon 2030.
Les projets industriels autour du bassin de Fos vont nécessiter six à huit gigawatts d’électricité supplémentaires, selon le dernier bilan de RTE. Comment RTE envisage de répondre à cette demande ?
Gilles Odone : Tous ces gigawatts dont on parle sont indispensables pour transformer nos modes de consommation et réduire les gaz à effet de serre. Nous allons intervenir pour mettre notre réseau électrique au service de la neutralité carbone. Ce gain d’électricité ne va pas servir uniquement au développement de l’industrie, il va aussi permettre celui de la mobilité électrique, pour les voitures mais aussi pour brancher les navires à quai, la construction de bâtiments, le développement des datacenters, le remplacement des chaudières fonctionnant au fioul et au gaz … Tout cela combiné représente beaucoup d’opportunités pour le territoire. Ce n’est pas uniquement Fos-sur-Mer qui est concernée mais toute la région.
Aujourd’hui, notre réseau électrique date des années 70. Il est clair que l’on arrivera pas à satisfaire les besoins pour 2030 pour réussir la transition énergétique avec ces infrastructures, qui continuent néanmoins de fonctionner. Mais il va falloir qu’on les adapte, qu’on les développe et qu’on les renforce.
Actuellement la région Provence-Alpes-Côte d’azur consomme six à huit gigawattsen hiver, dont 900 mégawatts pour la zone de Fos. Or, les besoins estimés par les indsutriels sont de 6 à 8 mégawatts supplémentaires, ce qui équivaut à la consommation totale actuelle de la région Provence-Alpes-Côte d’azur. Il s’agit d’une estimation : la puissance demandée n’est pas forcément égale à celle qui sera consommée in fine.
La consommation énergétique des industriels ne risque-t-elle pas de se faire au détriment de la consommation des ménages ?
G. O. : Nous allons tout faire pour que les usages du quotidien ne soient pas impactés. D’abord, nous allons utiliser au maximum les capacités actuelles, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Nos prédécesseurs avaient anticipé : on va utiliser pleinement les capacités des lignes qui alimentent Lavera et Fos, par exemple, qui est fixée à 400 000 volts. Actuellement, ces lignes ne tournent qu’à 225 000 volts. Le fait d’utiliser cette capacité et d’adapter le réseau va déjà nous permettre de gagner 1200 mW sur la zone de Fos. Nous allons procéder en deux temps : à partir de 2024, le réseau sera renforcé de 600 mW, puis 600 supplémentaires à partir de 2026.
Pour autant, cela ne suffira pas pour atteindre les 5 à 6 gW demandés. Aujourd’hui, la région est alimentée à 40% par des énergies renouvelables ou décarbonées produites localement. Les 60% restants proviennent de la vallée du Rhône. Donc, il va nous falloir faire venir plus d’énergie de la vallée du Rhône. Pour cela, nous allons construire un nouvel axe, qui ira de Jonquières Saint-Vincent (sous la commune de Tavel, dans le Gard) à la zone industrielle de Feuillane, à Fos-sur-Mer (voir la carte ci-dessous). Actuellement, aucune ligne ne va directement à Fos, elles passent avant par Marseille. Cela permettra non seulement de combler la demande, mais aussi de décarboner la région.
Quel est le calendrier pour la construction de ce nouvel axe ?
G.O. : Pour l’heure, nous allons à peine en phase de concertation. Il nous faut d’abord valider une aire d’étude et évaluer le fuseau qui aura le moindre impact pour la création de la ligne entre Jonquières Saint-Vincent et Feuillane. Pour chacune des options, nous allons étudier l’acceptabilité du projet, les enjeux environnementaux. Le préfet coordinateur tranchera ensuite sur le fuseau à privilégier. Une fois le fuseau choisi, nous pourrons être plus précis sur le coût de la maîtrise d’ouvrage. L’objectif est de lancer les travaux en janvier 2027, sous réserve de l’avancée de la concertation, pour une mise en service en 2028.
Jusqu’où sera-t-il possible de combler la demande ? Est-ce qu’il y a des projets à prioriser ?
G.O. : Il y a plusieurs cas de figure : d’abord, les industriels déjà présents qui tournent au charbon et vont devoir faire leur transition énergétique ; ensuite, il y a les industriels avec des projets liés à l’hydrogène, qui nécessitent de l’électricité ; et enfin, il y a les entreprises qui n’existaient pas avant mais vont permettre à la France de se réindustrialiser, comme c’est le cas pour l’entreprise photovoltaïque Carbon. Pour moi, ces trois cas de figure sont au même niveau que les usages ménagers. Et au milieu de tout ça, il y a les datacenters, qui vont servir à l’usage de tous. Ce sont des demandes complémentaires dont on les intègre car cela fait partie de nos missions. Ce n’est pas notre rôle de refuser d’alimenter en énergie. Eventuellement, nous pouvons émettre des recommandations. Si un choix devait être fait, ce ne serait pas par RTE.
En terme de priorité, la règle du “premier arrivé, premier servi” ne prévaut plus. Depuis la loi Aper (loi relative à l’accélération de la production des énergies renouvelables, 2023), les autorités (les communes précisément, ndlr) ont davantage de liberté pour faire évoluer les critères.
Pour l’heure, le réseau actuel continue de fonctionner aux normes et il n’a pas de raison de disparaître. Il y aura toujours des adaptations à faire : chaque fois qu’un industriel arrivera, il faudra construire un petit bout de ligne. C’est pourquoi RTE est co-maître d’ouvrage pour tous les projets industriels concentrés sur le bassin de Fos.
Pouvez-vous chiffrer le coût du renforcement du réseau ainsi que la création de la nouvelle ligne ?
G.O. : Il est encore trop tôt pour donner un chiffre. Il y aura une partie payée par RTE et le reste par les industriels qui s’installent. Il y a quelques temps, nous avions annoncé un chiffre de 800 millions d’euros, mais j’aimerais nuancer ce montant “fourre-tout.” Il s’agit d’une simple estimation, qui reste à consolider. Ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un investissement conséquent, de l’ordre de centaines de millions d’euros.
Liens utiles :
> Le site de RTE
> Notre dossier sur les projets industriels à Fos