Lors de sa venue à Marseille, le président de la République a insisté sur la nécessité d’accélérer sur les énergies renouvelables sur le territoire. Parmi les projets emblématiques pour représenter cette industrie, Emmanuel Macron cite l’implantation de l’usine Carbon à Fos-sur-Mer pour relancer la production de panneaux photovoltaïques en France. En effet, Carbon implantera d’ici 2025 une usine de 60 hectares sur la zone industrialo-portuaire de Fos, dans les bassins ouest du Grand Port, à proximité de la darse 1.
L’installation de cette entreprise lyonnaise sur le territoire symbolise également la collaboration sur l’axe Méditerranée-Rhône-Saône que le chef de l’Etat souhaite renforcer. Le président directeur général de Carbon, Pierre-Emmanuel Martin, était présent à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron, qui s’est clôturée par un échange depuis le Port de Marseille (voir la vidéo plus bas). Il détaille pour Gomet’ le projet de Carbon sur Fos et livre son analyse de l’industrie photovoltaïque en France.
Vous dites vouloir relancer l’industrie photovoltaïque en France. Cette industrie est-elle moribonde aujourd’hui ?
Pierre-Emmanuel Martin : Dans les années 90, la France était le leader de l’industrie photovoltaïque. L’Allemagne a pris le relais dans les années 2000 et la France ne l’a pas suivie dans sa stratégie de faire du solaire une énergie centrale, d’autant que cela coûtait très cher. En effet, jusqu’alors, la France ne l’utilisait que dans les endroits où l’électricité classique n’arrivait pas, notamment dans ses anciennes colonies au Vietnam, au Cambodge ou en Afrique. Les Allemands, en revanche, en ont vraiment fait une source de production massive d’énergie en achetant notamment des panneaux solaires à la Chine. A l’époque, personne ne pensait que le solaire deviendrait un jour compétitif. Aujourd’hui, la Chine domine le marché et la France a stagné.
En tant qu’entrepreneur, il y avait un défi à relever lorsque nous avons fondé Carbon en 2020, après plusieurs années de réflexion. Le solaire est devenu un marché très important, qui constitue 60% des nouvelles capacités de production. Combiné avec d’autres énergies renouvelables, le solaire est aujourd’hui une brique essentielle du mix énergétique.
S’ajoutent à cela des enjeux de souveraineté économique, accélérés par la guerre en Ukraine, qui poussent à se demander si l’on veut vraiment confier la production de cette énergie à un seul pays qui non seulement ne partage pas nos valeurs, mais se montre aussi parfois agressif vis-à-vis de l’Occident …
Lien utile : [Solaire] Giga-usine : Carbon (Lyon) cherche 120 M€ pour amorcer son implantation à Fos
Comment comptez vous rivaliser avec la Chine ?
P-E. M : On va les battre en sortant du monopole de la Chine sur l’extraction du minerai de base pour produire les panneaux, le polysilicium. Or, il est possible de se fournir ailleurs, comme aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, au Canada et d’autres pays d’Asie. Cela nous permettra aussi d’assurer une traçabilité pour être sûr qu’il n’y a pas de travail forcé à la source.
Aujourd’hui, le coût du solaire est stabilisé. Nous sommes passés de 2€50 le watt crête à environ 20 centimes. Si on arrive à faire comme les Chinois avec une usine intégrée, il n’y a pas de raison qu’on ne les dépasse pas.
Vous êtes une entreprise lyonnaise. Pourquoi avoir choisi Fos pour vous implanter ?
P-E. M : Nous avons examiné une quinzaine de sites pour implanter notre usine, qui s’étalera sur 60 hectares. Sur Fos, les conditions idéales étaient réunies pour la fabrication : il fallait d’abord de préférence un port, pour l’acheminement des marchandises, car nous allons avoir 500 000 tonnes de matériaux en entrée et sortie, et 90% des arrivées se font en bateau. Il y a eu une conjonction très forte des collectivités locales : le président de la Région Sud, Renaud Muselier, la présidente de la Métropole, Martine Vassal, ainsi que des maires de Fos et Port-Saint-Louis-du-Rhône, se sont montrés très incitatifs. L’Etat a aussi joué son rôle. Bien sûr, il y a un levier financier, mais comme dans tous les autres territoires que nous avons examinés. Mais cela faisait sens pour nous de nous installer ici, dans une zone emblématique de la décarbonation industrielle, avec des projets comme l’éolien flottant, Gravithy, H2V … Fos est une sorte de cluster d’entreprises impliquées, situé dans la région pilote de la planification écologique. Il était écrit que nous venions ici.
Quel est le calendrier de développement de cette « giga-factory » ?
P-E. M : Nous avons saisi en mai dernier la Commission nationale du débat public, car il s’agit d’un projet d’intérêt national. Il nous faut maintenant l’acceptation des communes concernées et des habitants. Il va sûrement y avoir beaucoup de questions qui vont émerger et nous devons tenir compte des avis et des retours. Une fois que ce processus sera terminé, pour pourrons demander des autorisations pour construire. A priori, il ne devrait pas y avoir de souci : notre activité ne génère pas de dégagement atmosphérique qui pourrait être problématique. Les seuls panaches de fumée qui peuvent se dégager sont de la vapeur créée lorsque nous mettons de l’eau pour refroidir les fours.
Nous espérons que l’usine sortira de terre en 2025 et comptons embaucher 3500 salariés. Nous allons être le deuxième employeur de la région, après Airbus Helicopters.
Tout de même, la production de panneaux photovoltaïques n’est pas totalement écologique : il y a l’extraction du minerai, les importations et exportations, et surtout l’utilisation de fours électriques pour la conception des panneaux …
P-E. M : Pour les fours, nous avons prévu de nous connecter au réseau d’électricité verte d’EDF. L’électricité que nous allons utiliser sera donc décarbonée pour 95% de notre utilisation, le reste étant produit en autoconsommation grâce à des panneaux photovoltaïques que nous allons installer en toiture. Ce sera une boucle vertueuse.
Nous allons aussi récupérer les chutes de sciage. Lorsqu’on produit des panneaux photovoltaïques, on perd à chaque fois 30% du polysilicium lors du processus de sciage. Là, nous allons récupérer ces chutes pour les réutiliser, plutôt que d’utiliser le polysilicium « neuf.» Les eaux de process seront également réutilisées. Nous avons une logique « zero liquid waste » (aucune perte liquide, ndlr).
Enfin, nous tenons à nous approvisionner auprès d’équipementiers européens, pour s’affranchir du monopole chinois.
Le projet d’implantation est chiffré à 1,6 milliard d’euros. Comment est financée cette somme ? Le PDG de CMA-CGM Rodolphe Saadé a annoncé lors de la venue d’Emmanuel Macron vouloir investir dans Carbon, pouvez-vous nous en dire plus ?
P-E. M : Sur 1,6 milliard, nous finançons 800 millions d’euros par de la dette, le reste est en fonds propres. Il y a 300 millions d’euros d’aides publiques (Etat, Région, Métropole et Europe, dont 90 millions d’euros pour cette dernière). Derrière, il y a des investisseurs privés qui nous suivent à hauteur de 500 millions d’euros, à partir du moment où on aura dérisqué le projet. La décision finale d’investissement est planifiée à partir de l’automne 2024.
CMA-CGM s’est positionnée sur la 1ère levée de fonds, de 85 millions d’euros : ils apportent une participation très importante, mais je ne peux pas en dire plus … D’autres levées de fonds seront organisées pour trouver le reste des 500 millions.
Marseille en Grand : échange sur l’économie bleue depuis la gare maritime de la Joliette. pic.twitter.com/7VDNVWy7fn
— Élysée (@Elysee) June 28, 2023
Qu’est-ce exactement qu’une usine intégrée, comme vous projetez de faire ?
P-E. M : Nous allons produire les panneaux photovoltaïques de A à Z. Cette usine va se décomposer en trois types d’activité : d’abord, une activité métallurgique pour fondre et scier le polysilicium, matière première des panneaux. Ensuite, ces panneaux vont être traités chimiquement pour qu’ils puissent générer de l’électricité, nous aurons donc une partie dédiée à cela. Enfin, il y aura un travail d’assemblage des cellules entre des plaques de verre et un cadre en aluminium pour former les modules. Au final, nous aurons donc trois usines en une. C’est inédit en France.
Vous dites qu’il y a très peu de production de panneaux photovoltaïques en France. Par conséquent, la main d’oeuvre et les compétences seront-elles disponibles sur le territoire ?
P-E. M : C’est le défi : nous avons trois ans pour identifier et former nos futurs salariés. Nous travaillons en relation avec la Métropole et les communes pour trouver un lieu de formation. Le choix de s’installer dans le Sud n’était pas évident : il est vrai qu’il y a davantage une tradition industrielle au Nord. Il y a énormément de travail non seulement sur la formation, mais aussi sur le développement des transports et du logement pour accueillir la main d’œuvre. Il y a un plan d’urbanisme complet à revoir. Carbon peut en être le catalyseur.
Vous allez donc créer un nouveau lieu de formation dédié au solaire ?
P-E. M : C’est le projet. Dans un premier temps, nous allons former pour les besoins de notre future usine mais, à terme, nous voulons créer une académie du solaire sur le territoire. Il faudra voir si nous trouvons un terrain. Le projet est encore en gestation.
Liens utiles :
> Région Sud : une aide de 2 millions d’euros pour appuyer l’implantation de Carbon Solar
> Notre rubrique économie