Qu’il semble loin le temps où un des pères de l’Europe, un Belge, Paul-Henri Spaak, concluait son discours par cette phrase : « Dans la fragilité humaine et dans le succès de cette grande entreprise, dans cette heure apaisée et heureuse, tâchons de léguer au futur la source d’inspiration que nous puisons dans l’immortel passé. » C’était le 25 mars 1957, dans la ville éternelle, à Rome, où naissait une communauté inédite et prometteuse.
A regarder et écouter la campagne qui vient de commencer et s’achèvera le 9 juin prochain par le plus démocratique des scrutins – le vote à la proportionnelle intégrale – on ne peut qu’être pessimiste. L’Europe si proche, si présente dans notre quotidien, si nécessaire pour construire un avenir incertain, est devenu un alibi pour les tribuns qui s’affrontent à des années lumières de l’esprit des pères fondateurs.
Albert Camus par anticipation répondait aux contempteurs de l’Europe : « Je ne crois pas à une Europe unifiée sous le poids d’une idéologie ou d’une religion technique qui oublierait ses différences. Pas plus que je ne crois à une Europe livrée à ses seules différences, c’est-à-dire livrée à une anarchie de nationalismes ennemis ».
On n’imagine pas, à subir leurs vociférations, les Bardella et autres Mélenchon, avoir en mémoire ces mots du Prix Nobel de Littérature. Pourtant ils disaient tout de l’enjeu qui passera par les urnes le 9 juin prochain. Dans la confusion qui règne sur les plateaux de télévision, à la radio ou encore dans les colonnes des journaux, c’est à celui qui parlera le moins d’Europe pour préparer l’avènement de l’après-Macron, en enjambant cyniquement le chemin qui reste à parcourir aux plans économique, social, éducatif, environnemental, sécuritaire… comme si ces problématiques n’étaient qu’affaire nationale, comme si les aventures personnelles prévalaient, comme si plus d’un demi-siècle après sa naissance, on pouvait jeter l’Europe avec l’eau du bain.
Il faut s’y résoudre, tout en le déplorant, on n’a pas fini de voir les Cassandre de gauche et de droite emprunter des chemins de traverse pour réduire cette élection à une passe d’armes où la démagogie, les faux-bons sentiments, les mensonges seront portés par les professionnels de la mauvaise foi. Le drapeau étoilés et l’hymne à la joie sont d’ores et déjà proscrits par les porteurs de Keffieh ou les élus écharpés qui ont arraché de leurs parvis l’étendard bleu et jaune de l’Europe.
La Paix face à Poutine, la guerre contre Macron
Poussant leurs démarches aux extrêmes, ces pôles convergent vers un même mot d’ordre : la Paix face à Poutine, la guerre contre Macron. Le maître du Kremlin salive déjà de cette perspective-là. Alors comme aurait pu le dire Jacques Chancel : « et l’Europe dans tout ça ? ». La réponse a été donnée par Charles De Gaulle il y a longtemps : « Oui c’est l’Europe, depuis l’Atlantique à l’Oural, c’est l’Europe, c’est toute l’Europe, qui décidera du destin du monde ».
Les petits télégraphistes de Moscou peuvent-ils encore l’entendre ? Il y a 80 ans à Rethondes, dans la forêt de Compiègne, Philippe Pétain, engoncé dans un uniforme de maréchal trop grand pour lui, capitulait sous l’œil goguenard d’un petit caporal autrichien. C’était dans un wagon à l’arrêt, avant que des convois ferroviaires ne s’ébranlent vers Auschwitz Birkenau pour une solution finale voulue par Adolf Hitler. L’histoire ne se répète pas, mais elle bégaye souvent. Avis à ceux qui prendront le mauvais train.
Hervé Nedelec