C’était il y a trente ans. Autant dire un siècle. Le docteur Renaud Muselier faisait alors visiter, aux Camoins (11ème) sa clinique. Un établissement spécialisé en « rééducation et réadaptation fonctionnelle neurologique et orthopédique traumatique ». Au détour d’un long couloir blanc, il désigna du doigt, sur un lit, un jeune homme bardé de tuyaux et autres instruments : « c’est un soldat il a été criblé de balles à Timisoara et nous avons entamé sa rééducation ! » La Roumanie venait de vivre sa révolution et il y avait ainsi quelques miraculés. Muselier sera-t-il de ceux-là, lui qui vient de subir la mitraille de son propre camp, sous le regard gourmand de quelque hobereau vendéen qui, à l’instar d’un Philippe de Villiers, prédit un triomphe de son héraut, Thierry Mariani ?
Muselier est donc pour l’extrême-droite, une partie significative des Républicains et, sans doute, à gauche ceux qui ont intérêt au pire, l’homme à abattre. Sportif accompli – il brilla au rugby en universitaire avant de triompher sur les tatamis en karaté – il sait depuis longtemps que c’est dans les vestiaires, avant la remise des maillots, que se fomentent les sales coups.
Depuis ses débuts en politique, sous le parrainage d’un de ses pairs en médecine, le doyen Maurice Toga, Renaud Muselier a été admis, plus qu’accepté, dans la famille bâtie de longue date par le roué Jean-Claude Gaudin. Tout opposait à l’enfant de Mazargues – la culture, les origines sociales, l’histoire – celui qui avait eu le privilège, et le tort, de naître avec une cuillère d’argent dans la bouche.
« Villepin fait tout, je fais le reste ! »
Renaud Muselier
Les deux hommes cohabitèrent donc et l’ancien maire, qui lui concéda une place de choix à ses côtés – premier adjoint – deux mandats, n’a jamais caché son agacement devant l’impétueux Muselier. Ne s’était-il pas permis de rafler un prix de l’humour, le terrain favori de Gaudin, alors qu’il était secrétaire d’Etat auprès du ministre des affaires étrangères avec sa fameuse phrase : « Villepin fait tout, je fais le reste ! »
On connait la suite, avec le sommet du cynisme atteint en 2008, lorsque Muselier vit lui échapper, pour quelques voix renégates, la présidence de la communauté urbaine au profit d’Eugène Caselli, socialiste. Bien évidemment Jean-Claude Gaudin ne fut pas le dernier à dénoncer cette trahison, mais il y a fort à parier que son émotion fut de courte durée.
Aujourd’hui, c’est encore dans sa famille que Muselier doit repérer ceux qui vont tout faire pour mettre fin à sa présidence régionale. Il devra compter en premier lieu sur Thierry Mariani, qui a retrouvé ses accents provençaux, après avoir été séduits par les grands espaces internationaux où il a pu apporter son soutien aux régimes les plus liberticides. Philippe de Villiers dit de lui qu’il est « madré », un terme qui désignait naguère le renard, assez filou pour se glisser dans le poulailler des autres et y causer quelques dégâts. On ne s’étonnera pas non plus de l’acharnement d’un Eric Ciotti à le perdre. Le député des Alpes Maritimes a été en son temps à bonne école : il fut membre du cabinet de Jean-Claude Gaudin lorsque ce dernier présidait la région. Il y a encore dans cette liste, tenue plus ou moins secrète, tous ceux qui tiennent le Rassemblement National pour un parti comme les autres, et n’ont cure des nostalgies de quelques gaullistes survivants.
« L’univers abonde en sirènes qui nous chantent les douceurs du renoncement »
Charles de Gaulle
Muselier le sait, et les valeurs qui ont porté sa famille faisant de son grand-père le premier officier supérieur à rejoindre la France Libre et précipitant son père dans l’enfer de Dachau, ne portent pas chez les tenants d’un retour de la trilogie pétainiste : « travail, famille, patrie ! ».
Alors que la gauche affiche un front désuni dérisoire, et se mobilise pour obtenir quelques misérables strapontins dans l’hémicycle de la place Jules Guesde, Muselier a désormais l’accablante tâche d’éviter à cette région l’opprobre. Des villes comme Toulon, Fréjus, Orange, Vitrolles, Cogolin ont tenté l’expérience de l’extrême droite et elles attendent toujours ces lendemains où on leur promettait une sécurité infaillible, une économie florissante, une culture régénérée. De l’eau est passée sous ces ponts-là, et il n’a semblé à personne qu’elle fut plus claire. En 1963, Charles de Gaulle assurait que « l’univers abonde en sirènes qui nous chantent les douceurs du renoncement ». Muselier assure qu’il ne renoncera pas à l’idée qu’il se fait de la région. On veut le croire.