Présenté en compétition officielle au festival de Cannes Les Intranquilles, soutenu par la Région Sud, le neuvième long-métrage de fiction de Joachim Lafosse est sorti dans les salles de la métropole fin septembre. Cinq ans après L’Economie du couple, le cinéaste belge revient sur ses sujets de prédilection : la famille et le couple. Dans Les Intranquilles, il nous livre un récit autobiographique, intense et bouleversant, dans le lequel on assiste au vacillement d’une famille confrontée à la maladie.
Porté par le duo Damien Bonnard (Les Misérables, Rester vertical), et Leïla Bekhti (Le Grand Bain, Tout ce qui brille), qui forme un couple particulièrement attachant, on y découvre le jeune Gabriel Merz Chammah (le petit-fils d’Isabelle Huppert) dont c’est la première apparition, au côté de Patrick Descamps
(Nue propriété, La French) et Alexandre Gavras (Le monde est à toi, Le Capital). Le film dépeint le quotidien d’une famille aimante composée de Damien, artiste peintre qui souffre de troubles bipolaires, sa compagne Leïla, décoratrice de meubles et de leur fils Amine. Tantôt euphorique souvent insomniaque, le comportement imprévisible de Damien a de quoi inquiéter ses proches, notamment Amine plus mature que son père. Persuadé que les médicaments nuisent à sa création et à sa relation amoureuse, Damien tente de lutter et refuse de prendre son traitement. Quant à Leïla, elle met toute son énergie pour maintenir son couple, parfois au risque de se perdre. Jusqu’où pourront-t-ils tenir …
Gomet’ a rencontré Joachim Lafosse, à l’occasion de sa venue à Marseille au cinéma Les Variétés.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire un film sur ce sujet ?
Joachim Lafosse : La phrase de ma mère lorsqu’elle s’est séparée de mon père. Elle m’a dit : “Je n’en peux plus ! ton père je l’aime encore, mais c’est trop dur”. C’était lors de la dernière hospitalisation de mon père. J’ai mis du temps à comprendre cette phrase, quand on aime quelqu’un, on reste non ?
C’est la question que pose le film sur les limites de l’engagement amoureux.
Joachim Lafosse : Ce qui m’intéressait c’était la rencontre amoureuse. On le sait bien, quand on s’engage dans une relation à un moment on va être nu. On ne peut pas cacher longtemps nos défaillances, nos fragilités ou nos défauts. Il y a toujours un choix à faire : soit on a envie de fuir parce qu’on s’est trop dévoilé et qu’on n’est pas à l’abri d’une défaillance parce que le réel est toujours difficile ou alors on se demande est-ce que je vais tenir ? Est-ce que j’accepte les défauts de l’autre ? Tous les deux luttent pour rester multiples. Ni l’un, ni l’autre ne souhaitent être figés dans un rôle. Leïla refuse de n’être qu’une infirmière, elle se rend compte qu’elle a cédé et qu’elle s’est oubliée. Elle veut rester une amante, une mère, une décoratrice de meubles, une amie. C’est la même chose pour Damien. Il ne veut pas être qu’un malade, il lutte contre cela, il dit “Je suis aussi un peintre, un amour, un ami et un
père”et je trouve cela bouleversant. Et c’est la leçon de mes parents. Quand le soin devient sacrifice, il n’y a plus de soin, en fait c’est dévastateur.
Vous réussissez à créer du suspense à travers le comportement imprévisible de Damien, je pense notamment à la scène sur le bateau ou celle au bord du lac avec les amis d’ Amine
Joachim Lafosse : Quand vous vivez dans une maison où quelqu’un a une montée maniaque c’est un thriller. Je me souviens,
adolescent, lors de la dernière hospitalisation de mon père, avoir eu peur d’être avec lui. On s’est dit avec mon frère qu’il faudrait faire un film pour raconter ce que c’est. Il aura fallu du temps pour y arriver ! Mais oui , cela peut être cauchemardesque. Mais je suis très fier de mon père qui n’a plus été hospitalisé depuis trente ans et qui a réussi à vivre sans prendre de traitement.
Avez-vous donné des conseils à Damien Bonnard qui compose un personnage de peintre psychotique très nuancé, jamais dans l’excès ?
Joachim Lafosse : Je lui ai suggéré d’aller en analyse pendant trois mois avant le tournage afin d’observer les peurs et les craintes qu’il pouvait avoir dans l’engagement vis à vis de ce personnage. Mais je n’ai pas eu besoin de lui faire des propositions car dès qu’il a lu le scénario, il m’a rassuré, il m’a dit : “Je vais aller voir des spécialistes à Saint-Anne, je vais aller travailler la peinture avec Piet Raemdonck (artiste contemporain belge ndlr).
Justement à propos de peinture, c’est assez rare de voir au cinéma un acteur peindre lui-même des tableaux, pouvez-vous nous en dire plus d’autant que Damien Bonnard porte un nom prémonitoire ?
Joachim Lafosse : Absolument, quand on s’appelle Bonnard on peut jouer un peintre ! Mais ce ne sont pas ses propres toiles, ce sont celles d’un peintre anversois, Piet Raemdonck que j’admire beaucoup. Je ne concevais pas de tourner un film sur la vie d’un peintre sans filmer des peintures que j’admire. Damien est allé dans l’atelier de ce peintre pendant quelques semaines et ils ont travaillé le geste. Damien a déjà une formation de peintre, ils ont travaillé le geste de sorte que Damien ait le même geste que Pietr.
Au début du film, le couple passe ses vacances dans le sud de la France, où avez-vous tourné ?
Joachim Lafosse : Sur l’île de Giens et à Toulon.
Vous avez demandé aux acteurs de choisir la fin du film, était-elle écrite au départ ? Sans la dévoiler avez-choisi la même ?
Joachim Lafosse : Oui, c’est moi qui l’ai choisie, mais ils me l’ont proposé. Mais je pense que je n’aurais pas été capable de choisir une fin aussi juste. On a eu la chance de pouvoir répéter tout le film dans la continuité avant de le tourner et là on a précisé l’écriture. Quand j’ai vu la générosité des acteurs, je me suis dit qu’ ils allaient vivre quelque chose de tellement puissant qu’ils seraient mes premiers alliés pour trouver une fin vraiment juste. J’adore ce qu’ils m’ont proposé ! Par contre, je ne le referai plus parce que c’est hyper-flippant !
Votre père était photographe d’oeuvres d’artistes, pensez-vous que son travail a participé à former votre regard de cinéaste ?
Joachim Lafosse : J’ai toujours vu mon père être très admiratif de ses amis artistes sculpteurs, peintres et c’est vrai que quand
je me suis retrouvé sur le plateau des Intranquilles, j’avais l’impression de retrouver cette complicité assez Proustienne.
Est -ce que cela vous a influencé ?
Joachim Lafosse : Je pense que oui. Mon père n’est pas resté photographe mais j’ai vu les photos qu’il avait faites. J’ai grandi
avec. J’ adore les portraitistes, je pense que c’est l’art suprême !
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