Grands débats et jeu d’acteurs en coulisses : la programmation pluriannuelle de l’énergie est l’objet de décisions erratiques, précipitées et qui mettent en danger une filière en train de se construire. Dans notre région s’affirment des belles entreprises productrices d’énergie en solaire, éolien et méthanisation ; le projet Carbon de giga factory de production tricolore de modules a tous les feux verts. La perspective étrange d’un moratoire, les remises en question de choix stratégiques, le plongeon du mix énergétique dans une tambouille politicienne n’augurent rien de bon pour notre région. Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables répond aux questions de Gomet’ sur ces enjeux en cours.
La programmation pluriannuelle de l’énergie est l’objet d’intenses débats et de jeux de pouvoirs contradictoires. À l’heure actuelle quels sont les points de friction les plus forts ?
Jules Nyssen : Le premier est la conditionnalité des objectifs réels de la PPE pour les filières ENR électriques à l’état de la demande. C’est une contradiction temporelle fondamentale. La programmation pluriannuelle de l’énergie cherche à construire les capacités de production à l’horizon 2030 et 2035. On ne peut pas les baser sur un signal de marché de court terme. Surtout quand on sait que la transition énergétique passe par une très forte électrification des usages, qui elle-même répondra à une très forte impulsion politique. Donc cette conditionnalité est un renoncement à la réalité de la transition.
Le second concerne la mobilisation énergétique de la biomasse, qui est notoirement sous-évaluée et mal appréhendée. Sans électricité et sans bioénergies, on est sûr que la transition ne se fera pas…
À l’heure des restrictions budgétaires, quel serait l’effort acceptable des ENR à l’équilibre du budget de l’État ?
J. N. : Le développement des ENR, comme le programme de grand carénage pour augmenter la durée de vie des réacteurs nucléaires, comme le programme des EPR2 (et même si j’ose dire l’effort de Défense nationale) répond à des enjeux majeurs d’intérêt général, pas à des considérations budgétaires. La dépendance aux énergies fossiles nous met dans la main des USA, de la Chine ou de la Russie. Si on ne veut pas être la succursale de ces pays, il faut réduire ces dépendances, et la seule manière de le faire, c’est en produisant de l’énergie sur le sol européen : principalement des ENR ! Ceci ne signifie pas qu’il ne faille pas optimiser les dispositifs de soutien ou innover dans les mécanismes de financement (par exemple des taux d’intérêt bonifiés, l’appel à l’épargne populaire, etc.)
Qui sont les perdants de cette PPE dans l’univers des ENR ?
J. N. : La France, l’Europe, notre souveraineté sont les premiers perdants.
Les victimes expiatoires principales sont les filières ENR électriques, et notamment celles qui peuvent se développer le plus vite : le solaire photovoltaïque en premier lieu.
Quels sont les risques pour la filière solaire ? Devenir une variable d’ajustement des consommations ? En installation et en production de modules photovoltaïques (Giga factories)
J. N. : Ces risques sont avérés. La filière est déjà la variable d’ajustement, parce qu’elle est la dernière arrivée et parce que c’est elle qui a le plus gros potentiel de développement. Quand tous nos voisins et tous les pays du monde cherchent à booster le solaire, nous sommes les seuls à appuyer sur le frein. C’est irrationnel, et surtout, c’est une catastrophe pour les projets industriels de la filière, les gigas factories, notamment. Car pour se développer, elles ont besoin d’un marché et de stabilité. Le marché a été réduit par rapport aux documents mis en consultation précédemment. Quant à la stabilité, elle est contredite par la conditionnalité.
Le nucléaire semble gagnant, mais la réalité n’est-elle pas que nous avons du retard dans le basculement vers l’électricité avec une résistance des énergies fossiles ?
J. N. : C’est exactement ça. Si nous renonçons à l’électrification massive, ce sont les fossiles qui vont gagner. Aucune filière électrique n’en tirera profit, pas même le nucléaire. À l’inverse, si on décide de mettre le paquet sur l’électrification, alors seuls les ENR électriques peuvent répondre à court terme, et resteront indispensables aux côtés du nucléaire dont le renforcement du parc sera alors une évidence.
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