Au XIXe siècle, Émile Zola décrivait les Halles de Paris comme « le ventre » de la ville : un lieu central, propice aux foisonnements de denrées et d’idées. A Marseille, l’envie d’un lieu commun pour les métiers de bouches n’est pas nouvelle. La Chambre de Commerce et d’Industrie d’Aix-Marseille avait mené une étude en 2019. Mais ce sont sept associés, dont un communiquant, un promoteur et un restaurateur, qui la concrétiseront au 30A cours d’Estienne d’Orves pour fin mai 2022. Gomet’ a rencontré son président-fondateur, Julien Fabre, qui nous livre les ingrédients de sa recette : des halles privées, accessibles à tous, sur 2 000 m2 au coeur de Marseille.
L’idée a germé dans la tête de Julien et de son ami Laurent Battisti en mai 2020, pendant le premier confinement. L’un, directeur de l’agence de communication Sunmade et l’autre gérant du café Le Phonographe et fondateur de plusieurs affaires comme Le pointu. « Du temps, on en avait ! » s’exclame le fondateur. Alors, ils ont monté « un dossier bien ficelé » avant de se prononcer sur le rachat des 900 m2 de l’ancien Buffalo Grill, classés aux bâtiments de France. Julien Fabre pointe la façade balisée par les échafaudages et montre « le travail méticuleux pour respecter l’authenticité de la vieille pierre. » Un esprit qui fait écho à l’engagement des fondateurs de ne pas avoir laissé la bâtisse « tomber sous l’escarcelle de grands groupes. »

La Méditerranée dans l’assiette
Le bâtiment sera métamorphosé en « food hall », un espace qui rassemblera 15 enseignes de restaurateurs locaux, déjà connus pour la plupart. « Nous nous sommes payé le luxe de les choisir nous-même ! » assume Julien Fabre qui énumère les échoppes culinaires d’influences des deux rives de la Méditerranée : « un libanais, un rôtisseur, une trattoria italienne tenue par la cheffe Maheva de la pizzeria La Bonne Mère, un comptoir du poissonnier-écailler de l’enseigne du Panier entre Terre et mer, une cave à vin… » Ludovic Turac, chef et propriétaire du restaurant gastronomique Une Table au Sud, disposera d’un espace dédié pour confectionner ses entremets. Le restaurateur s’est associé au projet comme quatre autres personnalités du territoire.

Parmi eux, le promoteur immobilier Reza Zographos, également propriétaire de l’hôtel de luxe le Misincu du cap Corse, s’est rapidement associé au projet. Sa femme, Olympe Zographos, sera chargée de designer l’espace par son style épuré. Puis, la cheffe concierge de l’hôtel Intercontinental, Audrey Berr, a rejoint le projet. Elle prendra les fonctions de directrice d’exploitation du lieu. Enfin, Johann Charrier et Olivier Haron, respectivement président et directeur général du groupe d’ingénierie industrielle Parlym, basé dans le 16e arrondissement de Marseille, se sont ajoutés au tableau.
Un marché de commerçants locaux
Avec cette liste d’associés, Julien Fabre affirme la vocation de son nouveau concept culinaire à être « le maitre étalon du nouveau visage de Marseille ». Une occasion de « professionnaliser » Marseille pour « monter en qualité. » Sans mâcher ses mots, il ajoute : « C’est une ville bordélique. On se doit d’avoir une ligne directrice pour montrer qu’à Marseille, on est pas du tout à la débrouille. »
A la carte du “food hall,” les associés ont ajouté un marché de commerçants de 1 000 m2. Une fromagerie, une boucherie ou une brasserie artisanale… de multiples commerces de bouche investiront l’ancienne Maison de l’artisanat et des métiers d’art (MAMA) de Marseille, fermée en août 2019. Un bâtiment chargé d’histoire qui abritait l’Arsenal des galères quand le cours d’Estienne d’Orves était encore un canal. L’immeuble sera loué au propriétaire Jérôme Dor, devenu actionnaire de la partie marché. « Cela pérennisera l’avenir du marché » explicite Julien Fabre. Au départ, le marché devait accueillir des producteurs locaux et non des commerçants, mais l’idée a été abandonnée. « Les halles privées, c’est une approche plus sophistiquée que les halles publiques. C’est plus concept, moins comme un marché forain » précise-t-il.
La terrasse végétale, un pont entre les deux bâtiments
Une terrasse de 400 places assises reliera les deux bâtiments. L’emplacement est en concertation avec plusieurs adjoints de mairie de Marseille dont Rolland Cazzola, conseiller municipal délégué aux emplacements et Rebecca Bernardi, adjointe au commerce et à l’artisanat.

Pour assainir la rue Fortia, entre le bâtiment de La Marseillaise et le futur marché, les associés ont demandé à déplacer les poubelles. « La maire du premier secteur, Sophie Camard, nous a soutenu auprès de la Métropole » assure le patron. Et cela a fonctionné. La collecte des déchets (compostes, compactage…) sera ainsi mutualisée pour tous les nouveaux locataires, aussi bien restaurateurs que commerçants, au même titre que l’électricité, la plonge, les runners (serveurs qui débarrassent les tables), le ménage, la sécurité, le stockage sec et la communication. « Nous leur offrons un service clés en mains » assure Julien Fabre avant de préciser que « chaque locataire paiera ce service en fonction de son chiffre d’affaires réalisé. »
Un projet à plus de 3 millions d’euros
Pour mettre ce projet sur pieds, les associés étaient conscients du coût de la manœuvre. « Travaux compris, le montant global de l’opération est entre 3 et 4 millions d’euros » avance Julien Fabre qui salue « le risque » du Crédit lyonnais (LCL) en région qui a accordé un prêt bancaire de la moitié des fonds nécessaires. « On peut dire qu’ils ont mouillé leur chemise ! » s’exclame-t-il.
Les revenus générés par la société d’exploitation proviendront de la location d’espaces et, dix jours par an, de la privatisation pour des événements ou séminaires. Julien Fabre annonce que la commercialisation affiche déjà presque complet, 95% pour les deux espaces. Il tient à harmoniser les prix et que chacun affiche un prix d’appel. « Nous avons construit une vraie identité de marque qui passe aussi par le prix. » étaye le communiquant.

Si les fondateurs ambitionnent d’attirer à termes des touristes, ils souhaitent avant tout plaire aux Marseillais. « Ici, il n’y aura pas de chichis » prévient Julien Fabre qui entend dédier cette expérience pour « les grandes gueules et fines bouches ». À la question « Quel est votre ingrédient pour réussir la recette des Grandes Halles ? », il répond sans hésiter : « La faire par des Marseillais pour les Marseillais, ça ne marchera que comme ça. »
Liens utiles :
> Martine Vassal lance sa « halle gastronomique » sur la place de La Joliette
> La Métropole débloque 2,3 millions pour l’agriculture urbaine