Initialement, la société Navimed a été créée en 2008 comme agent maritime pour représenter en France l’armateur algérien Cnan Med. La société s’est développée sur des lignes régulières et de chartering avec d’autres armateurs à destination et/ou provenance des pays du Maghreb. La société avait deux actionnaires européens, de très anciens groupes indépendants dans l’activité shipping,
- Le groupe Dario Perioli entreprise italienne fondée en 1908, avec une expertise maritime pour la gestion des trafics à destination et en provenance d’Afrique du Nord.
- Le groupe Transcoma, entreprise logistique espagnole fondée en 1810.
Depuis le printemps, Rafik Belhadj Amara, ancien directeur du développement de Bolloré Logistics, dans la zone Afrique du Nord en a repris la direction et il vient d’entrer à hauteur de 30% au capital. D’origine algérienne, cet expert en logistique est engagé dans le développement des liens économique entre les deux rives. Il a été un délégué dynamique pour la région Sud France de la Chambre algérienne de commerce et d’industrie (Caci) et il milite pour que Marseille se positionne plus activement sur les échanges maritimes Nord Sud. Interview.
La nouvelle ligne Tanger-Marseille est partie à un mauvais moment, mais La Méridionale persiste. Navimed est l’agent de cette ligne, qu’en attendez-vous ?
Tanger-Marseille : cette ligne relève du bon sens, de l’intérêt collectif sur un plan écologique
Refik Belhadj Amara
Rafik Belhadj Amara : C’est un retour aux sources, aux flux naturels, à la ligne qui existait il y a 30 ou 40 ans. La connexion maritime entre Marseille et le Maroc existait. Il y avait des flux énormes, qui ont périclité au profit de la route par le détroit de Gibraltar ou le port d’Algésiras, qui assure des fréquences cadencées. Le retour de cette ligne relève du bon sens, de l’intérêt collectif sur un plan écologique. Il y a, de plus, avec la noria des camions qui traversent l’Espagne et l’Europe un risque de sécurité, et en période de pandémie un risque sanitaire puisque le ou les chauffeurs accompagnent la marchandise de bout en bout. Alors qu’avec la solution mise en place par La Méridionale, le Ropac : le camion arrive, il décroche le tracteur. La remorque va sur le bateau, c’est un autre tracteur qui la reprend au Maroc. C’est la bonne solution pour les logisticiens industriels, pour les Européens, et dans les deux sens, Sud-Nord et Nord Sud. L’ambition de Marseille devrait d’être compétitive sur une partie de l’hinterland, le sud est européen, notamment la partie italienne. Nous assurons une réduction d’une tonne de CO2 au moins par trajet.
Mais c’est quand même plus cher que le camion…
R. B A : Si l’on met bout à bout tous les coûts, tous les petits maillons, de quai à quai, c’est plus compétitif, c’est moins cher, sauf qu’on se heurte à des habitudes. L’innovation est toujours perçue comme un changement ou une menace, qui peut perturber les intérêts de certains. Mais avec la pénurie de chauffeurs, avec la question des visas, la libre circulation est devenue problématique. Notre vocation n’est pas de capter tout le marché, nous avons un potentiel de 400 000 remorques, c’est déjà beaucoup, si on arrive. Nous voulons juste une part du gâteau !
Quel est le type de marchandise qui voyage, dans un sens et dans l’autre ?
R. B A : Le Maroc a développé l’industrie automobile et aéronautique. C’est devenu un pays exportateur de pièces détachées. Et inversement son industrie a besoin de pièces qui viennent du Nord, de l’Italie, de l’Est et qui passent par Marseille notamment. Nous faisons aussi du groupage avec l’agroalimentaire pour les grandes enseignes et des flux dans le sens Nord Sud des fruits et légumes et Maroc Europe, ou certains poissons frais. L’agroalimentaire frais est très important. Nous avons des remorques réfrigérées, qui arrivées à bord, sont branchées sur notre système d’alimentation, elles ne tournent pas avec leur moteur, elles sont monitorées par notre système qui permet de suivre l’évolution des températures pour s’assurer qu’il n’y ait pas de rupture de la chaîne du froid. C’est un service offert à bord. Le Maroc est un grand producteur, c’est l’un des greniers de l’Europe !
Marseille retrouve-t-elle sa place sur les flux de l’alimentaire ?
R. B A : Ce sont des flux hypertendus. Il y avait autrefois un microcosme très professionnel qui traitait ces marchandises aux Arnavaux notamment. La Méridionale réveille cette activité qui a disparu en une trentaine d’années. Nous avons besoin des contrôles phytosanitaires et vétérinaires sur les conteneurs dans des plages horaires spécifiques, le ministère de l’agriculture doit remettre des effectifs, il faut recréer une chaîne à Marseille. Pour le moment, nous travaillons plus avec Saint Charles à Perpignan et avec Rungis. Je trouve que les opérateurs économiques de la région, n’ont pas tous saisi l’enjeu pour la métropole.
Et côté passager, la ligne a-t-elle retrouvé l’engouement des “MRE”, les Marocains résidants à l’étranger qui avaient pris l’habitude d’aller à Sète ?
R. B A : C’est complet, les passagers apprécient le traitement à bord. Ils sont contents d’avoir des restaurants de qualité et un certain standing que La Méridionale leur propose. Elle garantit le même standard que sur la Corse.
Cette ligne est un choix stratégique pour Navimed et La Méridionale…
R. B A : C’est un pont logistique, plus qu’une ligne régulière, il y a trois départs par semaine, un jour sur deux. Le maritime s’imposera tôt ou tard aussi parce que les camions traversent l’Espagne le dimanche, ce qui déroge à toutes les règles européennes : pourquoi en Italie, en France, en Belgique c’est interdit et pourquoi on laisse faire en Espagne. Ça s’arrêtera un jour. 40 millions de remorques traversent l’Espagne, ce n’est pas très écologique et les clients vont devenir de plus en plus sensibles au bilan carbone de leurs produits.
Il faut détricoter le schéma devenu traditionnel du “tout route”
Rafik Belhadj Amara
Les opérateurs n’ont plus de doute sur la pérennité de la ligne. La Méridionale a fait un choix stratégique, elle a un actionnaire solide qui a supporté un démarrage chaotique avec la pandémie. Mais il faut détricoter le schéma devenu traditionnel du “tout route”. Ça marche en maritime sur la Tunisie avec un départ par jour.
Navimed est aussi actif sur l’Algérie, vous êtes agent de la CNAN la compagnie algérienne.
R. B A : Attention, il y a deux “Cnan” ! La Compagnie nationale algérienne de navigation, la CNAN, est publique, elle a connu quelques difficultés, et CnanMed dont Navimed est l’agent, qui a été créée en 2018 est détenue à 49% par un acteur européen : le Groupe Dario Perioli, entreprise fondée en 1908 en Italie. C’est en quelque sorte une société mixte : d’un côté, à 51 % c’est le public, une société de droit algérien avec pavillon et bateaux algériens. De l’autre côté c’est le groupe italien qui assure le management, qui a révolutionné son organisation, qui a rajeuni la flotte avec cinq navires dernière génération, des porte-conteneurs et des cargos project. Ils transportent des équipements lourds, des usines clefs en main avec par exemple deux grues de 250 tonnes jumelables. Ce type de bateau est exploité en ligne régulière.
Vers l’Algérie quels sont les ports desservis ?
R. BA : Nous desservons en Algérie, Skikda, Bejaia, Alger et Oran ; en Italie Gênes, Marina di Carrara et La Spezzia ; en Espagne : Barcelone Castellón et Valence.
Quel pourrait être l’intérêt pour des opérateurs de la région d’avoir des liaisons avec l’Algérie ?
R. BA : Nous ne sommes pas seuls ! Visiblement il y a vraiment un intérêt puisque nous sommes plusieurs compétiteurs sur la ligne. Les flux sont importants, l’Algérie importe un million de conteneurs par an. Nous avons une flotte récente et des départs réguliers. Nous desservons Oran qui a du potentiel : c’est la capitale économique de demain
L’Algérie est un pays qui a d’énormes besoins, mais il faut être patient.
Rafik Belhadj Amara
C’est un pays qui a d’énormes besoins mais il faut être patient. Pour la 19e édition des Jeux méditerranéens, organisés à Oran en Algérie du 25 juin au 5 juillet 2022, nous étions sollicités pour des expéditions dans l’urgence. Nous avons acheminé des chevaux, des obstacles, des vitrages blindés ou des hélicos et des drones. C’était énorme. On a fait de belles opérations.
Liens utiles :
> Le site de Navimed
> [Dossier] Marseille-Tanger : La Méridionale prend le risque d’une liaison durable
Document source : la flotte de CNAM MED
(1) NDLR : Pour le seul mois de mai 2022 , le trafic de fret entre les deux rives du détroit a enregistré un flux de plus de 44 000 camions sur la ligne Algésiras-Tanger Med.