Alors que Marseille vient de commémorer le drame de la rue d’Aubagne, samedi 5 novembre dernier, la question de la rénovation de l’habitat marseillais se fait de plus en plus pressante. Le processus semble s’accélérer depuis quelques mois, avec les débuts opérationnels de la Société publique locale d’aménagement d’intérêt national (SPLA-In) qui va démarrer les premiers travaux sur les immeubles du centre-ville dans quelques mois. La Ville de Marseille vient par ailleurs de dévoiler un objectif de production de 4500 logements par an sur toute la ville pour la période 2021-2027. Comment la municipalité compte-t-elle atteindre cet objectif et ainsi rattraper un retard colossal accumulé au fil des ans ? Que faire des 40 000 logements indignes toujours recensés aujourd’hui ? L’adjointe à l’urbanisme de la Ville de Marseille Mathilde Chaboche, qui a la main sur le sujet du logement en l’absence de l’adjoint Patrick Amico, toujours alité, répond aux questions de Gomet’ sur cette thématique et fait un tour d’horizon des projets urbanistiques à Marseille.
Vous venez de dévoiler vos objectifs dans le cadre de l’élaboration du plan local pour l’habitat métropolitain (PLH). Cet objectif est fixé à 4500 logements créés par an, dont 1500 logements sociaux. Comment comptez-vous vous y prendre pour respecter ces objectifs ? Est-ce un rétropédalage sur votre stratégie du qualitatif plutôt que du quantitatif ?
Mathilde Chaboche : Il ne faut pas opposer les deux. Ce n’est pas un rétropédalage. La qualité passe par le combat que j’ai mené contre l’illégalité et cette culture de passe-droits qui existait auparavant, mais aussi par le respect de la charte de la construction durable et l’impératif de fabriquer pas juste la ville mécaniquement mais créer un cadre de vie. Ce PLH était très attendu, la Métropole aurait dû s’en doter depuis 2016 ! Il permet certes de chiffrer les besoins en habitat, mais surtout de construire une stratégie du logement à l’échelle métropolitaine.
Pour Marseille, nous visons effectivement un objectif de 4500 logements créés par an, ce qui comprend 2300 logements abordables (1500 logements neufs et 800 en recyclage urbain. Le détail pour les 4500 logements n’est pas fourni par la Ville car il dépend du nombre d’opérations privées, ndlr). Cet objectif est en raccord avec l’objectif national fixé par la loi SRU qui fixe un nombre de logements métropolitains compris entre 12 000 et 12 500 logements.
En revanche, nous posons des conditions pour la concrétisation de cet objectif : cela implique en effet une révision du plan local d’urbanisme intercommunal (Plui) notamment pour faciliter le verdissement, ainsi qu’un abaissement du seuil de logement requis à 30 dans une opération pour y construire du logement social. Pour l’heure, ce seuil est appliqué uniquement dans les zones bien desservies par les transports.
Il ne faut pas que tout le logement social soit concentré à Marseille
Mathilde Chaboche
Enfin, il faut s’assurer que nos objectifs aient du répondant par rapport aux autres communes. Il ne faut pas que tout le logement social soit concentré à Marseille. Pour l’heure, nous n’avons aucune visibilité sur les chiffres demandés par les autres communes, que la Métropole ne nous a pas communiqués.
Comment expliquer ce retard dans la transmission de ces objectifs ? David Ytier (vice-président au logement de la Métropole, ndlr) déplorait récemment que vous soyez la dernière municipalité à produire ces chiffres …
M. C : Marseille comprend un million d’habitants, donc établir ces objectifs est forcément plus complexe ! De plus, je trouve ces réflexions mal venues, quand la Métropole a elle-même six ans de retard dans la production de ce document.
On peut également déplorer qu’elle n’ait pas le courage d’adopter une position globale. A la place, elle compile les données commune par commune. Nous risquons ainsi d’avoir un document à la carte. Il faut réfléchir à une stratégie métropolitaine, en fonction du style de vie des gens, de leurs emplois, de leurs déplacements d’une commune à l’autre …
Une nouvelle version de la charte de la construction durable est prévue pour la fin d’année. Avez-vous prévu de l’adapter en fonction des nouveaux objectifs de production ?
M.C : La charte est davantage un guide de bonnes pratiques, elle ne comporte pas d’objectifs quantitatifs. Cette V2 aura principalement des ajouts en lien avec la végétalisation. Marseille a perdu la moitié de ses arbres en 75 ans. C’est pourquoi nous souhaitons pousser les promoteurs à véritablement intégrer la nature dans leurs opérations, non pas se contenter d’une nature cosmétique.
Par ailleurs, nous allons désormais exiger que les toitures soient aménagées. Ce peut être des équipements sportifs, des jardins plantés, des espaces de convivialité, ou encore des emplacements pour panneaux photovoltaïques. Je ne veux plus de mètres carrés inutiles. A l’heure de la sobriété énergétique, on ne peut plus se le permettre. Bien sûr, nous veillerons à ce que cette exigence soit en adéquation avec le projet d’immeuble.
Vos relations avec les promoteurs, assez critiques de la charte de l’urbanisme, se sont-elles améliorées ?
M.C : Il y a effectivement eu une première étape compliquée, lorsque nous avons pris les rênes de la Ville. Nous avons entraîné les acteurs de la construction dans notre manière de faire, radicalement différente de ce qui était pratiqué jusqu’alors. Aujourd’hui, les relations se sont vraiment apaisées. Nous arrivons à discuter, et eux aussi s’accordent à dire qu’il faut changer les codes de la construction pour la rendre plus vertueuse. Ils ont d’ailleurs pris part aux échanges lors du séminaire pour la V2 de la charte. Nous sommes en canicule depuis mai et, en ce mois de novembre, nous sommes toujours en arrêté sécheresse. Tout le monde a conscience qu’il faut agir, y compris les promoteurs.
« Nous avons mis fin à la culture des passe-droits en matière d’immobilier qui existait sous l’ancienne majorité »
Mathilde Chaboche
Par conséquent, il n’est pas du tout question d’infléchir les règles fixées pour délivrer les permis de construire. De plus, les refus de ces derniers sont motivés au regard d’infractions au code de l’urbanisme : si beaucoup ont été refusés, c’est qu’ils ne respectaient tout simplement pas la loi. En revanche, il est possible d’influer sur le Plui lorsque les règles sont inadaptées. C’est ce que nous plaidons auprès de la Métropole notamment pour l’abaissement du seuil de construction de logements sociaux évoqué plus tôt.
Marseille est aussi frappée par une forte inflation des prix des logements et loyers. Lors du conseil municipal de septembre, la majorité du Printemps Marseillais a réitéré sa demande à la Métropole de faire de Marseille une ville test pour l’encadrement des loyers. Où en est ce projet à ce jour ?
M.C : Effectivement, nous avions déjà introduit cette requête auprès de la Métropole en 2020, qui avait été refusée. Nous avons donc réitéré cette demande et, cette fois, les choses sont différentes : si la présidente de la Métropole Martine Vassal a refusé d’inscrire cette demande à l’ordre du jour du prochain conseil métropolitain, elle a tout de même écrit au ministre délégué à la Ville pour lui transmettre notre requête. En effet, la décision d’encadrer les loyers ne peut venir que de l’Etat, mais la demande doit être faite par la Métropole. Nous sommes donc pour l’heure dans l’attente d’une réponse, que nous devrions avoir lors de la venue du ministre Olivier Klein à Marseille prochainement.
Cet encadrement des loyers, s’il aboutit, s’appuiera sur une grille de loyers en fonction du type de logement et du quartier. Difficile, par conséquent, de chiffrer cet encadrement.
Quelle est votre vision globale de l’urbanisme ? Quels sont les points à améliorer à Marseille ?
M.C : Marseille est une ville qui s’est faite de façon spontanée, anarchique. Son développement s’est fait en fonction de l’opportunité foncière et des intérêt privés des constructeurs. Vous l’observez dans certaines rues : on a une petite maison puis d’un coup un immeuble immense… Or, la ville s’organise depuis l’Antiquité autour des espaces publics, pour faire société. C’est le principe de la cité. Or, il y a des rues, voire des quartiers à Marseille, comme la Capelette et Château-Gombert, totalement dépourvus de tels espaces, où il n’y a même pas de trottoirs. Le privé a grignoté tout l’espace. Nous devons donc remettre des espaces publics, c’est-à-dire des crèches, des écoles, des équipements sportifs et culturels … La Ville doit reprendre les commandes et mettre fin à l’hyperspéculation. Le logement n’est pas un produit marchand comme les autres, nous devons encadrer sa circulation.
Nous voulons aussi revégétaliser la ville. Nous planchons actuellement sur la création de nouveaux espaces verts, par exemple dans le 3e arrondissement, à côté de l’école Kléber. De plus, ma collègue Nassera Benmarnia (ajointe en charge des espaces verts, ndlr) porte un projet de plantation de 200 000 arbres dans la ville. Cela s’ajoute à la végétalisation des constructions nouvelles, comme expliqué précédemment. Enfin, nous sommes en discussion avec la Métropole afin que chaque réhabilitation de la voirie soit pensée pour lutter contre la chaleur, par exemple en utilisant des matériaux plus clair, plus perméables à l’eau.
Comment comptez-vous faire ? Il y a aussi le cas du quartier d’Euroméditerranée, où beaucoup d’immeubles de bureaux et quelques logements émergent mais peu de lieux de vie…
Les cours pourront être ouvertes hors temps scolaire pour accueillir les habitants
Mathilde Chaboche
M.C : Nous avons commencé à implanter de nouveaux espaces publics et sommes notamment en train de construire une école à la Capelette. Idem à Château-Gombert.
Concernant Euroméditerranée, nous menons un travail avec l’établissement public pour mixer la programmation, notamment sur le quartier des Fabriques. Nous allons agir sur les Crottes et la Cabucelle, à côté, qui sont des quartiers très mal dotés en équipement publics. En centre-ville, nous avons préempté le théâtre Mazenod qui deviendra un lieu culturel ou sportif et avons également racheté un bâtiment industriel rue Loubon pour en faire une bibliothèque. Enfin, le plan écoles va nous permettre de remédier au manque d’équipements publics dans la mesure où nous allons penser les écoles comme des espaces communs pour le quartier : les cours pourront être ouvertes hors temps scolaire pour accueillir les habitants. Les cours végétalisées pourront ainsi être des jardins collectifs pour la population sur ces temps-là.
Peut-on vraiment réussir à « recoudre » Marseille ? A quelle échéance ?
M.C : Nous nous heurtons à la problématique de l’habitat indigne qui rend la tâche très complexe … Le retard est tel qu’il a atteint des proportions vertigineuses. Mais les signaux que nous envoyons sont positifs et montrent que le processus est en marche : le lancement opérationnel de la SPLA-In, les financements de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), des équipements concrets… Je crois aussi beaucoup au changement de braquet de promoteurs. Les projets qui nous sont soumis sont beaucoup plus qualitatifs.
Transformer une ville dans la situation où nous l’avons trouvée ne pourra se faire que sur le temps long. Je suis pour la politique des petits pas. La stratégie, c’est de démoder les idées de ce qui vont à l’encontre de notre vision de la ville, de montrer qu’elles sont ringardes.
Comme l’expliquait à Gomet’ le directeur du logement de la Ville de Marseille Florent Houdmon lors de sa prise de fonctions, l’un des défis à relever était de réguler la prolifération des Airbnb et des bureaux. Avez-vous travaillé là-dessus depuis ?
M.C : Airbnb est en effet un véritable problème, car cela enlève du logement pour les personnes qui en ont vraiment besoin. C’est pourquoi nous avons voté lors du conseil municipal de mai 2021 de nouvelles règles pour encadrer la location de meublés touristiques. Cette délibération implique notamment de conserver 50% de part d’habitation dans un immeuble et restreint le nombre de biens à la location par foyer. Les utilisateurs d’Airbnb qui voudraient louer davantage doivent passer sur un modèle économique officiel et donc payer des impôts en conséquent.
Le cas des bureaux est très différent. Nous avons besoin d’immobilier de bureaux à Marseille, en particulier dans le centre-ville. Qui dit bureaux, dit logements proches, transports… C’est indispensable dans notre lutte contre le chômage et ce n’est donc pas incompatible avec le logement. La bonne nouvelle, c’est que les entreprises veulent venir s’installer chez nous, mais il faut leur fournir des locaux. Concernant Euroméditerranée, nous travaillons énormément à la réversibilité des espaces. Nous sommes dans un monde incertain, le covid-19 nous l’a montré. Nous ne savons pas comment nous travaillerons demain, c’est pourquoi il faut faire en sorte de pouvoir adapter les espaces en fonction des besoins, mettre des cloisons sèches que l’on peut déplacer, transformer les bureaux en d’autres lieux si besoin …
Quel bilan tirez-vous de votre propre action et plus largement de l’action de la majorité municipale sur ces deux années de mandat ? Qu’est-ce qui aurait pu être mieux fait ?
M.C : Je suis exigeante donc j’aurais tendance à dire qu’on aurait pu aller plus vite et plus loin ! Mais avec le recul, je réalise que le travail que nous avons mené est admirable, aux vues de la situation de la ville dont nous avons hérité. Pendant ces deux années, nous avons été dans la gestion des urgences du quotidien et la structuration des bases pour la suite. Nous avons adressé tous les permis et demandes d’autorisation tout en faisant des rappels à la règle auprès des constructeurs, nous avons mis en place la charte. Les concessions d’aménagement dans le cadre du projet partenarial d’aménagement ont été approuvées. Les résultats ne sont peut-être pas encore palpables mais ils sont là. Noailles va entamer sa piétonnisation en 2023. C’est le début d’une ville plus apaisée.
Liens utiles :
> Florent Houdmon en charge du dossier sur le logement à la Ville
> Plan local pour l’habitat : la Ville de Marseille veut 27 000 logements neufs d’ici 2028
> [Logement] La SPLA-IN en quête de bailleurs sociaux pour l’accompagner
> Logement à Marseille : la Ville maintient sa stratégie du « qualitatif » (Mathilde Chaboche)
> Nos actualités sur le logement