Le second tour hors normes qui s’annonce nous renvoie au premier tour dont nous n’avons pas eu le temps de mesurer les effets, tant la pandémie, « la guerre » selon le Président a mobilisé les esprits. D’ordinaire, en démocratie, le premier et le second tour se déroulent de façon très rapprochée de manière à ce que les conditions de décision des citoyens soient homogènes. Le 28 juin nous dérogeons à la règle, il se sera écoulé plus de 100 jours entre les deux tours de scrutin. Reprenons donc le film de l’histoire pour remettre en perspective ces élections.
À Marseille les observateurs et nous-mêmes avions envisagé un vote très éclaté qui fasse émerger des forces nouvelles prenant une part substantielle des suffrages. Le déclenchement du confinement à la veille des élections a quelque peu changé la donne puisqu’un tiers seulement des électeurs, 32,76 %, a pris la direction des isoloirs. Certains ont alors parlé d’un sondage grandeur nature : faux, les sondeurs répartissent leurs interrogations selon la méthode des quotas et un panel restitue la sociologie du territoire.
Vote du 15 mars, second tour, une campagne inédite…
Dans une situation de guerre déclarée, chacun revient à un réflexe légitimiste. Quand tout chavire, on ne change pas le capitaine d’où cette vague de reconduction massive des élus en place et cette prime inédite aux sortants qui a bénéficié aux maires de droite comme de gauche. A Marseille, Martine Vassal, avec 22,3 %, au regard de ce légitimisme (même si elle n’est pas le maire sortant, elle est soutenue par celui-ci), décroche et n’incarne pas un pôle rassurant.
La méfiance de deux tiers des électeurs vis-à-vis de ce premier tour en confinement a pu entamer deux électorats : celui des Verts dont les soutiens ont eu un réflexe de précaution car ils sont attentifs, plus que d’autres, aux risques sanitaires et environnementaux ; celui du Rassemblement national qui cultive les peurs françaises et qui a vu ses électeurs fondre dans les pourcentages de façon conséquente, sans qu’il s’agisse d’une disparition de cet électorat. La menace du covid-19 a pu aussi décourager les personnes âgées, plus en risques face au virus, de se rendre aux urnes. Une population âgée qui vote traditionnellement plus à droite. L’analyse par bureaux témoigne de réserves dont pourraient bénéficier Martine Vassal le 28 juin.
Le législateur de la constitution avait judicieusement prévu entre les deux tours une période courte de recomposition des listes de 48 heures et une campagne de quelques jours. Le second tour se présentait alors systématiquement comme une prolongation des votes exprimés au premier tour. Dans la situation d’exception que nous vivons, nous sommes quasiment dans une autre « constitution » puisque la recomposition se fait sur la place publique et nous voyons en ce moment émerger les enchères que font monter les uns et les autres. Cette « constitution » différente se traduira aussi par une campagne inédite puisque quatre semaines seront allouées aux finalistes au lieu de quelques jours auparavant. D’où les grandes interrogations sur le sens des résultats du premier tour.