Le Nobel d’économie a été décerné à trois chercheurs qui travaillent sur le lien entre les institutions et le développement économique. Pour les lecteurs de Gomet’, l’économiste marseillais Alain Trannoy décrypte le sens de ce choix et l’intérêt des travaux du trinôme pour répondre à la question fondamentale : pourquoi certains pays sont-ils riches et d’autres pauvres ?
Daron Acemoglu (1) né en Turquie, Simon Johnson et James Robinson nés au Royaume-Uni, se sont vus décerner le prix Nobel d’économie décerné par la Banque de Suède, lundi dernier. Daron Acemoglu était attendu car son œuvre prolifique et protéiforme le signalait déjà comme un économiste hors pair. Les trois économistes sont distingués par leur contribution à la compréhension du rôle des institutions dans la croissance économique ou l’absence de celle-ci. Les sources de la richesse sont l’un des grands thèmes abordés par les économistes, comme le signale le premier best-seller de l’édition économique au XIXe siècle, « La Richesse des Nations » d’Adam Smith considéré avec un peu d’abus comme le père de la discipline. Leur grand opus (en fait écrit par Acemoglu et Robinson) s’intéresse au même sujet, mais en renversant la problématique, comment expliquer l’échec des économies (Why Nations fail ?)
Le respect du droit de propriété et des institutions politiques pluralistes inclusives
Pour être juste, cette idée de scruter le rôle des institutions n’est pas nouvelle, et Douglass North, prix Nobel d’économie en 1993, avait déjà pointé le rôle clé des institutions. L’apport des prix Nobel de cette année est d’avoir précisé quelles institutions jouaient un rôle et d’avoir cherché à démontrer théoriquement, et surtout empiriquement leur thèse en comparant l’évolution de pays proches, en considérant un large éventail de par le monde et en intégrant la profondeur historique.
Pour les auteurs, les institutions clés sont le respect du droit de propriété sur le plan économique et des institutions politiques pluralistes inclusives qui empêchent la captation du pouvoir économique par une minorité. En gros, ce sont les idées politiques et économiques portées par le mouvement des Lumières, le libéralisme politique et économique. Ils ajoutent, ce qui est nouveau, la présence d’un état central respecté et fort. Ils mettent en avant également le cercle vertueux économique entre la croissance économique et des institutions pluralistes en étudiant spécifiquement comment la structure du pouvoir a changé lors de la glorieuse révolution anglaise (Cromwell).
Le rôle des marchands en Angleterre s’est développé avec la croissance de l’empire colonial anglais au XVIIe siècle et ils ont pesé pour l’adoption des structures politiques plus inclusives (rôle plus important du parlement anglais) pour avoir un rôle dans la définition de politiques les favorisant. Le développement spectaculaire de la Chine avec l’arrivée de Deng Xiaoping peut être aussi mis en avant à l’appui de cette thèse, avec, à l’époque, une certaine ouverture politique et des institutions plus inclusives.
La thèse du rôle clé des institutions politiques et économiques dans le développement économique sur le long terme prend place à côté de théories mettant en avant la géographie (Jared Diamond) ou des facteurs culturels (David Landes). Comme on peut s’en douter, si l’on veut rendre compte dans sa dispersion géographique et sa profondeur historique des situations très contrastées des évolutions économiques et des positions des pays, il faut marier les explications.
Alain Trannoy, économiste,
professeur à l’École d’économie d’Aix Marseille.
(1) Né en 1967 à Istanbul, d’origine arménienne et maintenant citoyen américain