À l’heure de la sobriété, un réseau national d’élus, fondé cet été, s’interroge sur l’impact énergétique, spatial et environnemental des infrastructures du numérique. Ce consortium politique, majoritairement écologiste bien qu’il soit toujours « en gestation », est emmené à Marseille par les adjoints au maire Sébastien Barles (EELV), Hervé Menchon (EELV) ou encore Laurent Lhardit (DVG). Ensemble, les élus réclament une « régulation et une intégration urbaine maîtrisée des data centers », ces nœuds internet où circulent des milliards de données. Marseille en compte plusieurs, mais les quatre plus importants sont implantés dans les bassins est du port, au sein du campus Digital Realty (ex-Interxion). La ville est aujourd’hui le septième hub internet mondial, avec pas moins de 16 câbles sous-marins atterrés. Et pour fonctionner, les data centers ont évidemment un besoin conséquent en énergie.
La rédaction de Gomet’ a rencontré jeudi 17 novembre quelques-uns des écologistes impliqués dans la demande d’une plus grande régulation des data centers. Parmi eux, le député européen David Cormand (EELV), spécialiste du numérique et de ses impacts environnementaux. Après avoir visité le centre de données MRS3, le matin, les élus ont convié la presse l’après-midi à la brasserie Blum (1er). Sur place, l’adjoint marseillais à la transition écologique, Sébastien Barles, prend les devants. Il imagine, à l’échelle de la Métropole Aix-Marseille, « un moratoire sur l’implantation de tout nouveau data center ». Une mesure que l’élu soutiendra « tant qu’il n’y a pas de schéma directeur de planification, et tant qu’il n’y a pas une optimisation de l’impact énergétique de ces fermes de données ». Plusieurs grandes villes européennes, dont Stockholm et Amsterdam, ont mis en place ce type de moratoire. Toutefois, à l’heure actuelle, la mairie de Marseille manque de moyens de pression pour modérer l’effusion numérique sur son propre territoire.
Les écologistes veulent taxer le stockage de données pour forcer la décentralisation numérique
Les écologistes exposent leurs différentes pistes d’attaque. À la fois pour réguler l’expansion inévitable du numérique dans les prochaines années. Mais aussi pour se diriger vers un modèle plus décentralisé, et moins gourmand en énergie. « Avec plus de data centers, mais plus petits », précise David Cormand, qui imagine un numérique « en toile d’araignée, et pas en étoile ». Pour ce faire, l’eurodéputé veut mettre en place une taxe adressée aux Gafam sur le volume et la capacité de stockage des datas. Un tour de vis fiscal sur les data centers « qui doit se faire au niveau européen », selon lui. Et pour compléter cette ambition écologiste, Sébastien Barles surenchérit en évoquant le modèle numérique allemand. Là-bas, « un data center peut s’implanter à condition que 50% des besoins énergétiques soient d’origine renouvelable en 2024, et 100% en 2027 (…) avec un seuil minimum de récupération de la chaleur fatale ». Cette voie nécessiterait toutefois une reconversion onéreuse des principaux centres de données existants.
L’atterrage de câbles sous-marins, un danger pour les herbiers de posidonie ?
De son côté, Hervé Menchon alerte sur les dégâts environnementaux provoqués par l’atterrage des câbles sous-marins. Ces autoroutes de l’information transportent aujourd’hui 98% du débit internet mondial. Elles parcourent le globe, et relient entre eux les différents hubs internet mondiaux. « Ces câbles passent par les herbiers de posidonie qui sont des forêts sous-marines », signale l’élu. Pourtant Digital Realty a obtenu en mars 2021 un label « bas carbone » pour avoir contribué au lancement du projet Prométhée – Med, un programme de méthodologie en faveur de la préservation des herbiers marins.
Hervé Menchon affirme avoir récemment donné un avis négatif sur l’atterrage d’un câble au niveau de la plage Bonneveine (7e), au sein du parc balnéaire du Prado. L’élu critique par ailleurs l’emprise foncière des centres de données sur le bord de mer. « Ce serait nettement mieux si les data centers étaient installés un peu plus loin (…) pour laisser cet espace littoral aux structures qui ont un lien direct avec la mer », plaide-t-il. Plus globalement, les écologistes regrettent « l’opacité terrible » du port concernant ses activités internes.
Quelle consommation énergétique des data centers ?
D’après le réseau national d’élus mobilisé pour réguler l’activité des data centers, ces fermes de données consommeront en 2030 près de 13% de l’électricité mondiale. Interrogé sur ce chiffre, Fabrice Coquio, le président de Digital Realty France, le fournisseur local de data centers, reconnaît que le secteur est en croissance, mais commente : « Les experts que je connais semblent converger sur une photo actuelle qui indique que le numérique, dans sa globalité, consomme 4 à 5% de l’électricité mondiale ». Les data centers représenteraient aujourd’hui, en moyenne, un quart de cette portion exclusivement numérique. Soit 1% de la demande totale en énergie.
À Marseille, la consommation des data centers est, d’après Fabrice Coquio, bien moins importante. Et pour cause, Interxion France a investi 15 millions d’euros dans le processus river cooling – un système de refroidissement dernière génération, installé sur MRS2 et MRS3, offrant jusqu’à 18 400 MWh d’économie d’électricité par an. Par ailleurs, les bâtiments implantés au sein du parc marseillais sont relativement récents, ce qui réduit encore la facture énergétique. Les deux derniers data centers sont en effet sortis de terre en 2018 et 2020. MRS4 sera quant à lui entièrement livré en 2023.
Fabrice Coquio : « pas de transformation digitale sans infrastructure numérique »
Contacté par la rédaction, le président de Digital Realty France, Fabrice Coquio, se défend. « Je connais bien Sébastien Barles (…) il adore venir chez nous », sourit dans un premier temps ce spécialiste du droit et des affaires, à la tête du fournisseur local de data centers. Il expose plus sérieusement son argumentaire, et souligne : « un territoire et ses entreprises ne peuvent pas engager une transformation digitale s’il n’y a pas d’infrastructure numérique ». Quant à l’aspect énergétique, il reconnaît que le campus marseillais est une « usine électrique », mais il se substitue au fournisseur Enedis. « On a dépensé 26 millions pour créer notre propre poste privé, et pour se raccorder directement à monsieur RTE (…) C’est bénéfique pour Marseille puisqu’on relâche de la capacité Enedis », assure Fabrice Coquio.
Le port, ce n’est pas la Ville, mais l’État.
Fabrice Coquio
Et côté foncier alors ? Interxion a accouché en huit ans de 25 000 m² de salles informatiques. « Cela peut sembler beaucoup (…) mais nous avons transformé de la friche », explique le président France de Digital Realty. Il cite en exemple les bâtiments MRS2, une ex-chaudronnerie industrielle, ainsi que MRS3, une ancienne base de sous-marins allemands transformée en data center par l’entreprise, après 75 ans de jachère. Quant à MRS4, il s’agit à l’origine d’un entrepôt portuaire de 4000 m² que Interxion s’est occupé de désamianter et de dépolluer. « Est-ce que cela a consommé du foncier ? Je ne pense pas ». Fabrice Coquio rappelle au passage, comme pour clore la question spatiale, que « de toute façon cela ne concerne pas la Ville puisque c’est sur le port. Et le port, ce n’est pas la Ville, mais l’État ». Autrement dit, le foncier occupé par Digital Realty n’appartient pas à la mairie.
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