Cette semaine, Rodrigo Sorogoyen était à Marseille à l’invitation de Cinehorizontes qui a mis à l’honneur le réalisateur madrilène, parrain du festival.
Propulsé dans la reconnaissance internationale en 2006 avec le palpitant thriller policier Que Dieu nous pardonne, Rodrigo Sorogoyen, continue de tracer son sillon dans le paysage cinématographique contemporain. Porté par une exigence absolue dans l’écriture et une indépendance rare, son travail se distingue par sa capacité à capturer l’angoisse et la tension à l’écran, combinant des scénarios élaborés avec une mise en scène dynamique. Ses films, portés par des personnages moralement ambigus, offrent un regard sans concession sur la société contemporaine espagnole.
Cinéaste francophile, également scénariste et producteur, Rodrigo Sorogoyen, a débuté sa carrière en 2008 avec une comédie romantique 8 Citas co-réalisée avec Peris Romano et en tournant plusieurs séries pour la télévision espagnole. En 2013, il revient au cinéma avec le film Stockholm débutant une collaboration avec la scénariste Isabelle Peña avec laquelle il ne va cesser de travailler sur les films suivants. Figure emblématique du nouveau cinéma espagnol, ses oeuvres sont depuis régulièrement couronnées de succès, notamment El Reino, un thriller politique interprété par Antonio de la Torre, récompensé par neuf Goyas en 2018 ou encore As Bestas, un thriller psychologique porté par l’interprétation magistrale des duos Denis Menochet/Marina Foïs et Luis Zahera/Diego Anido, récompensé par deux Goyas et par le César du meilleur film étranger en 2022.
Vous êtes à Marseille en tant que parrrain de la 23e édition de Cinehorizontes dédiée cette année au thriller dont vous êtes passé maître dans le genre. Comment expliquez-vous le succès du thriller espagnol, notamment des séries dont vous êtes également l’auteur (Antidisturbios réalisé en 2020,n.d.l.r), et diriez-vous qu’il y a une spécificité du thriller espagnol ?
Rodrigo Sorogoyen : Je ne sais pas s’il y a une spécificité, parce que je ne connais pas tous les thrillers du monde. Mais c’est vrai que lorsque je me rends dans les festivals en France, on me dit souvent : “Ah ! le thriller espagnol” Donc il doit y avoir quelque chose. Et si je réfléchis aux dernières années, depuis 2006/2008 jusqu’à aujourd’hui, je pense que nous, les réalisateurs espagnols, on a trouvé une façon de raconter des choses qui nous intéressent, de raconter un pays, une société, de solutionner des problèmes, à travers des thrillers, des histoires sur le pouvoir de la justice, de la police avec des personnages obscurs. Donc, c’est vrai qu’on a trouvé cela. Mais je pense qu’on essaie aussi d’autres chemins plus intéressants.
Pour revenir à votre filmographie, vous vous inspirez souvent de faits réels dans lesquels vous brossez un tableau assez dur de la société contemporaine espagnole. Qu’est-ce qui vous a donné ce goût pour investiger des sujets de société que ce soit la violence policière (Que Dieu nous pardonne) ou la corruption politique (El Reino) ?
Rodrigo Sorogoyen : Je pense que suis une personne très curieuse, heureusement ma copine scénariste Isabelle Peña, également. Donc, on est très enthousiaste au moment d’essayer de comprendre les comportements humains : Comment et pourquoi cette personne a fait cela. On est très psychologique. Personnellement j’adore essayer de comprendre ces mécanismes, quelquefois absurdes, apparemment illogiques, mais après quand tu fais une étude plus poussée, tu comprends que c’est totalement logique. Donc, tout cela on l’a mis dans ces thrillers. La police, la politique, ce sont des milieux que l’on ne connaissait pas avant de commencer à écrire. C’est un travail fascinant d’étudier et de comprendre les mécanismes de ces personnes.
Justement, à propos de comportement humain, ce qui est très intéressant dans vos films, c’est que vous mettez en parallèle, un fait de société comme le mouvement des Indignés avec les violences policières (Que Dieu nous pardonne), qui vont interférer, non pas en parallèle mais en cercles concentriques sur la trajectoire des policiers. Idem pour As bestas, au départ les protagonistes sont des gens tout à fait banals, sauf qu’ils vont commettre un crime horrible. Comme si les événements agissaient en spirale sur ces individus.
Rodrigo Sorogoyen : C’est très joli que tu dises cela, car cela veut dire que le scénario est très bien construit et c’est vrai qu’ on travaille énormément l’écriture avec Isabelle que j’ai la chance d’avoir à mes côtés. Je pense que ton commentaire est la conséquence d’un gros travail sur le scénario. C’est clair qu’on ne voudrait pas créer un personnage très intéressant, et un contexte très intéressant en parallèle. C’est aussi la raison pour laquelle nos films sont longs, parce qu’on prend le temps de poser les personnages Nous, tout nous intéresse, le personnage et le contexte et on trouve toujours ! On a trouvé la violence policière avec les Indignés dans Que Dieu me pardonne, puis un contexte génial avec la corruption d’un homme politique dans El Reino, ou encore le petit village intéressant avec le crime dans As Bestas. Mais, si on veut comprendre pourquoi les deux policiers sont si violents, pourquoi ce politicien est corrompu, pourquoi ces deux frères finissent par tuer et pourquoi la femme finit par rester, on doit tomber amoureux de nos personnages, sinon ce n’est pas un film intéressant.
Ce sont des individus qui demeurent très obscurs malgré tout, et même si je sais que nous n’aimez pas citer vos références cinématographiques, vos personnages me font penser par certains aspects à ceux du cinéma coréen. Vous aussi, vous laissez le spectateur juger par lui-même à la fin du film.
Rodrigo Sorogoyen : Je n’avais pas réfléchi à cela, merci de m’y faire penser. C’est très curieux, parce que les quatre films qu’on a faits, finissent effectivement avec un personnage en train de regarder la caméra. Oui, c’est curieux, peut-être qu’on doit changer. (il rit). Mais c’est vrai que c’est une façon de dire au spectateur : “tu vas suivre ce personnage”, donc pour moi c’est cohérent de le laisser avec lui ou avec elle. Quand tu es à la fin d’un film, il semble que tu racontes la fin de la vie de ce personnage, mais la vie continue après. Je ne veux pas dire au spectateur ça y est ! et sa vie continuera encore. Peut-être c’est pour cela …
Pouvez-vous nous parler de votre prochain long-métrage co-écrit avec Isabelle Peña”El ser querido” avec Javier Bardem ?
Rodrigo Sorogoyen : Le film n’est pas encore réalisé, le tournage débutera en février 2025. C’est un film basé sur une idée originale qui vient de nous, ce n’est pas du tout un thriller. C’est l’histoire d’un réalisateur reconnu internationalement, interprété par Javier Bardem, qui vient tourner un film en Espagne et qui choisit sa fille pour interpréter un rôle secondaire dans son film. Mais c’est un père qui n’a pas une relation géniale avec sa fille, car elle se sent abandonnée. Le film retrace leur relation durant le tournage.
Et vous avez une star en tête d’affiche
Rodrigo Sorogoyen : C’est un rêve d’enfance, quand je voyais Javier Bardem au cinéma ! Pour moi c’est le plus grand. Je voulais travailler avec lui depuis longtemps et la vie m’a offert ce cadeau. C’est un des cinq plus grands acteurs du moment. En plus il est espagnol, c’est plus facile ! (il rit). Je suis évidemment très content qu’il ait accepté .
Vous êtes actuellement dans une ville où tous les jours les faits de violence font la Une de l’actualité, est-ce que ce sont des sujets qui pourraient vous inspirer ?
Rodrigo Sorogoyen : J’ai beaucoup de respect pour les lieux où je me rends, mais ces actes violents je les vis aussi en Espagne où je les comprends mieux, et dont je peux parler avec plus de liberté. Des faits de violence, ils s’en passent partout dans le monde, en Corée, au Brésil, à Madrid et à Marseille. J’ai eu des opportunités pour travailler en France, c’est quelque chose que j’adorerais mais j’aurais besoin de comprendre. En Espagne, j’ai mis quarante ans à les comprendre ! (il rit)
Vous avez été aussi approché par les Etats-Unis, cela ne vous intéresse pas Hollywood ?
Rodrigo Sorogoyen : Pas du tout. Quand je vois des réalisateurs qui me ressemblent et que je pense aux concessions qu’ils doivent faire, je préfère ma liberté. Quant à ceux qui réussissent, comme Alejandro González Iñárritu, ce n’est pas la même chose car il est mexicain et donc très proche des Etats Unis. Même si je l’adore, c’est un très grand réalisateur, je pense que je ne réussirai pas comme lui car c’est très difficile. Cela demande beaucoup trop de force et cela me ferait perdre trop de cheveux ! Autant le faire ici. (il rit).
Nous tenons à remercier Rodrigo Sorogoyen pour s’être exprimé en français. À cet égard, nous nous sommes efforcés de restituer au mieux ses propos et son humour. Rappelons que Cinehorizontes propose une soirée festive en clôture du festival, au cours de laquelle sera projeté le film lauréat de cette 23e édition, Un amor de Isabel Coixet, Prix Horizon d’Or, suivi du documentaire Juan Carmona, le flamenco, à fleur de peau de Jean-Marie David, puis d’une rencontre musicale autour des oeuvres de la tradition flamenca, interprétés par les élèves du conservatoire de Toulon et d’Aubagne, au cinéma l’Alhambra, samedi 19 octobre de 18h jusqu’à tard dans la nuit.