Bernard Morel, économiste, enseignant et chercheur a orienté ses travaux vers le développement et la prospective territoriales. Engagé un temps en politique, il a été vice-président du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur, durant la mandature de Michel Vauzelle, et président de l’Établissement public Euroméditerranée – il invite dans cette tribune (*) à repenser nos outils de planification économique, afin que le “monde de l’après-covid” ne soit pas pire que le monde d’avant…
« Rien ne sera plus comme avant », disait-on en plein confinement. L’histoire des crises pouvait inciter à en douter. Et il n’a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre que tout est fait pour que cela revienne comme avant. La multiplication « des plans » qui se mettent en place à coup (coût) de milliards d’euros témoigne de cette volonté de revenir le plus vite possible à une situation « normale », « quoiqu’il en coûte ».
La question est donc de savoir « comment ne pas revenir au monde ancien »
Bernard Morel
Plan de soutien à l’automobile, plan de soutien à l’aéronautique, plan de soutien au tourisme, plan pour la réforme hospitalière, etc. Tous les jours nous amènent, avec force communications, notre lot de plans sectoriels dont le but affiché et justifié est le soutien de l’emploi, mais dont la conséquence directe est la survie de pratiques entrepreneuriales et managériales dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne préparent pas un avenir serein et font souvent fi des leçons qu’on croyait devoir tirer de la crise sanitaire. Tous ces plans, loin de nous libérer, nous enferment, si on n’y prend garde, même si la relance pour assurer les revenus de milliers de salariés frappés de plein fouet n’est pas contestable. La question est donc de savoir « comment ne pas revenir au monde ancien », comme l’écrivait l’économiste Gaël Giraud.
Des plans pour sortir de situations économiques dramatiques ou difficiles, on connaît bien en France. Cela s’appelait, – j’espère qu’on s’en souvient encore, car cela n’est plus beaucoup enseigné – « LE PLAN ». Une vraie planification qui a permis la reconstruction de la France au lendemain de la guerre ou le déploiement industriel des années soixante 70, etc. Je vois le sourire ironique de certains me renvoyant à un autre temps dépassé où les gouvernements pouvaient s’appuyer sur des entreprises nationales et une économie administrée. Mais dépassé par quoi ? Par la seule recherche par les entreprises du profit et par la mainmise de l’économie financière. Le Plan, lui, avait pour but le développement et l’organisation de l’économie réelle dans une perspective de long terme et la déclinaison sur les territoires des mesures nationales. Tout incite à y revenir.
Repenser une planification stratégique en l’orientant dans une autre direction que celle d’antan
À partir du moment où, d’une certaine manière, par les aides colossales apportées aux entreprises et la nationalisation des salaires à travers le chômage partiel, l’État est intervenu massivement dans l’économie et dans les entreprises, il n’est pas hors de propos de considérer qu’il doit « diriger » leur orientation et celle des secteurs auxquels elles appartiennent au nom de l’intérêt général. À partir du moment où l’avenir de nos enfants et petits-enfants est impacté par les dettes qu’on leur laisse, il n’est pas inopportun de profiter de l’occasion pour prendre des mesures attendues pour rendre le monde plus vivable.
Ce qu’il faudrait, c’est un plan global dans lequel tous ces plans partiels trouveraient leur sens
Bernard Morel
Mais le faire au coup par coup, secteur par secteur, en imposant et conditionnant ceci à l’un et cela à l’autre au nom d’objectifs divers (environnement, relocalisation, culture… que sais-je encore) ne peut que contribuer à revenir à « l’ancien monde du pur néolibéralisme ». Ce qu’il faudrait, c’est un PLAN global dans lequel tous ces plans partiels trouveraient leur sens. Bref une stratégie à long terme planifiée. Est-ce un gros mot que de parler de cela ?
Un Plan concentré sur les activités porteuses de sens et pas seulement de « valeur »
Mais, naturellement, il ne s’agit pas de refaire le coup du GOSPLAN. Il faut repenser une planification stratégique en l’orientant dans une autre direction que celle d’antan, productiviste et uniquement en termes sectoriels et quantitatifs. Une nouvelle direction plus conviviale, comme l’exprime fort à propos « le second manifeste convivialiste » que viennent de signer plus de 300 penseurs, sociologues, économistes, philosophes de 33 pays différents (1).
Il faudrait que les politiques publiques contribuent à redonner du sens à l’activité économique et donc au travail en se centrant sur « des pôles d’activités » qui répondent aux demandes essentielles que sont le logement, la nourriture, le soin, l’éducation, la culture, le transport, le climat…, bref les biens communs auxquels chacun a droit. Et qui incluraient autant des entreprises privées que des services publics ou d’autres formes associatives. Et, dans ce cadre, le plan pourrait décider que l’aide publique ne viendrait se porter que sur les activités porteuses de sens et pas seulement de « valeur ». Il faut donc un Plan national – et mieux encore européen – qui viendrait redéfinir des stratégies de long terme, nourries par des politiques de court terme. On a bien vu, lors de la crise sanitaire que l’efficacité d’une politique de santé ne s’arrêtait pas aux portes des hôpitaux, mais engageait un nombre considérable d’autres politiques (industrielles, d’aménagement… etc.).
Mais cette nouvelle planification ne saurait s’arrêter à un PLAN national, même si s’impose donc aujourd’hui un nouveau COMMISSARIAT GÉNÉRAL AU PLAN – à l’échelon européen ? Il faut donc repenser les méthodes planificatrices, totalement abandonnées depuis plus d’un quart de siècle, penser de nouveaux outils en s’appuyant d’abord sur les territoires de sorte que les décisions planifiées et partagées irriguent le pays en s’y adaptant.
Dès lors les collectivités territoriales (Région, département, métropole, commune) qui ont apporté, elles aussi, d’une manière ou d’une autre selon leurs compétences légales, des aides financières considérables à l’activité économique pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire ne sauraient s’en tenir à ce soutien sans conditions.
Des plans régionaux, associant perspectives de long terme et actions de court terme devraient être insérés dans ce plan national.
Bernard Morel
Là aussi, il conviendrait, si l’on veut éviter que demain ressemble à hier en pire, d’intégrer ces politiques dans des plans rigoureux qui intègrent les perspectives d’un autre développement plus qualitatif, plus respectueux de l’homme et de son environnement. La Région, comme chef de file dans l’intervention économique et l’aménagement du territoire, a un rôle spécifique à jouer en ce domaine. Des PLANS régionaux, associant perspectives de long terme et actions de court terme devraient être insérés dans ce PLAN national. Les aides dotées de réels moyens nécessaires à leur mise en œuvre devraient être conditionnées à une série d’objectifs régionaux comme la relocalisation des entreprises, le respect de normes environnementales, le développement technologique, etc.
Communes et métropoles : porter une volonté planificatrice et collaborative
Il est indispensable que les collectivités locales (communes et métropoles) soient étroitement associées à cette planification stratégique, et même qu’elles en prennent l’initiative. Nous avons une chance, celle que de nouvelles équipes municipales se mettent en place. Réclamons d’elles qu’elles portent cette volonté planificatrice et collaborative avec les « autres échelons territoriaux » en proposant dans la première année de leur mandat un véritable plan de développement raisonné et convivial.
Bernard MOREL
Marseille, juin 2020
(1) Internationale convivialiste, Second manifeste convivialiste. Pour un monde post-néolibéral, Actes-Sud, février 2020.
(*) Gomet’ Media, attaché à la vitalité du débat local, publie régulièrement des tribunes de contributeurs extérieurs. Ces points de vue n’engagent pas la rédaction.