Dans son discours du Pharo consacré à Marseille en grand, le président Macron a, au chapitre culture plaidé pour une action cinéma forte : « à Marseille, a-t-il dit, on doit créer les grands studios de la Méditerranée, innover et en même temps créer des grandes écoles de formation. » Un projet qui s’inscrit dans l’histoire longue du cinéma à Marseille et des projets aboutis ou non. Philippe Mano, fut le premier Monsieur cinéma de Marseille, nommé par le maire, Robert Vigouroux et son premier adjoint à la culture Christian Poitevin. Pour Gomet’ (*), revenu vivre à Marseille, Philippe Mano parcourt ces 30 années d’essais non transformés et propose des pistes de développement.
J’ai été, dans une autre vie, le premier chargé de mission cinéma de la Ville de Marseille de 1989 à 1995. Les débats de 2021 ne peuvent que me rappeler les débats, mais surtout les actions entreprises sous le mandat de Robert Vigouroux. Entendre aujourd’hui parler de studios, de métiers du cinéma et de l’audiovisuel à développer, c’est comme un remake d’ill y a trente ans. Ce qui me fait plaisir, c’est le mot « cinéma » employé par le Président. A l’heure de l’audiovisuel, du web, de ses productions et surtout de ses plates-formes, valoriser le mot « cinéma » n’est pas qu’une figure de style mais bien une volonté de désir.
CineMarseille 1989-1995
Je tiens à rappeler cette époque pour rectifier les fariboles de certains qui font remonter le travail de renaissance du cinéma à Marseille à l’arrivée de Jean-Claude Gaudin comme Maire. La période, 1989-1995 était une période faste pour la renaissance culturelle de la Ville, idem pour le cinéma, sous la houlette du maire, Robert Vigouroux, de son adjoint au cinéma, Christian Poitevin, du directeur des affaires culturelles Dominique Wallon (futur patron du CNC) et du chargé de mission cinéma que j’étais.
La situation est alors très limitée quant à la propre intervention de la ville dans ce domaine. Quelques réalisateurs dont René Allio et Robert Guédiguian, des salles de cinémas insuffisantes, une production et des services insuffisants, dont émergeaient Les Films du Soleil et Vidéo 13. Et naturellement FR3 Marseille. Dès 89- 90 le diagnostic est clair : il faut se situer dans une géographie régionale et méditerranéenne au niveau international. Avec pour objectifs de :
- créer des studios de cinéma,
- développer le secteur professionnel quitte à importer des entreprises d’ailleurs,
- créer des manifestations dédiées à l’image,
- sensibiliser les jeunes au cinéma.
Je ne développerai que les studios et les manifestations.
La question des studios
1990 : visite des studios existants en France, venues de professionnels étrangers, tout cela prend du temps. La bascule est venue de Tarak Ben Ammar, qui avait alors des projets de studios à Barcelone. Ben Ammar tourne à Marseille les deux films Mayrig de Verneuil, le America America de Marseille. Il apprend à connaître Marseille et s’entend bien avec le maire. À cette époque j’étais partisan de studios tenus par un producteur et d’une dimension méditerranéenne, c’est-à-dire internationale. D’où le choix de Ben Ammar, franco tunisien et à l’assise internationale.
Des contrats signés avec la ville pour une Cité du cinéma aux Abattoirs
À l’époque, qu’y avait-il en matière de studios sur la façade méditerranéenne française ? Pas grand-chose à part la Victorine à Nice qui avait perdu de son éclat. Dès 1994, le projet de studios à Marseille de Tarak Ben Ammar est décidé et son implantation est proposée aux anciens abattoirs. Ben Ammar pousse alors l’idée, à côté des studios et sur le même emplacement, d’une cité du cinéma, un parc thématique et ludique grand public. Les contrats avec la ville sont signés et les plans des futurs studios dessinés par un architecte italien, sont de toute beauté.
1995 : patatras, les élections municipales mettent Gaudin au pouvoir. Le projet Ben Ammar est bloqué. Les origines de ce franco-tunisien de réputation internationale semblent gêner les nouveaux élus. Ben Ammar se fendra au festival de Cannes de 1996 d’un article incendiaire dans Le Film Français sur le comportement de la nouvelle municipalité de Gaudin. Ben Ammar reviendra un peu plus tard vers son désir de studios qu’il implantera en Tunisie, là où il avait commencé, comme prestataire avec Spielberg.
L’option méditerranéenne
Le choix de Ben Ammar pour les studios s’inscrit dans une optique méditerranéenne clairement mise en œuvre à Marseille alors. Citons la création du Centre méditerranéen de la communication audiovisuelle (CMCA) conçu et crée en 1995 par l’association Medi-Media avec le concours de l’URTI (International Radio and Television Union) et dont le premier président fut Serge Moati, directeur général de FR3 national. Le CMCA a poursuivi sa route avec succès. Il existe encore, toujours implanté à Marseille, organise un concours annuel d’œuvres audiovisuelles et réalise une newsletter passionnante.
Autre dossier cassé par l’équipe Gaudin : « La vidéothèque méditerranéenne » prévue au Palais du Pharo et dont les études de faisabilité avaient été faites et financées. Ce projet se retrouve, des années après au Mucem, avec la Médiathèque ouverte en 2014 avec le partenariat de l’INA. De son côté à la même époque FR3 Marseille se joint à initiative des RAI, les télévisions publiques italiennes, régionales pour créer un magazine de reportage : Méditerranéo. Ce magazine, hebdomadaire existe toujours avec une place de choix pour l’équipe marseillaise de FR3 qui s’en occupe aux côtés des Italiens.
Qu’en est-il aujourd’hui de cette option euroméditerranéenne ?
La question des Festivals
Nous nous demandions à l’époque comment Marseille pouvait se positionner en Paca à côté de Monaco et surtout évidemment de Cannes sur ce segment du Festival. Nous avions choisi le documentaire et lorsqu’il nous fut proposé de récupérer le Festival du documentaire de Lyon qui, après une année, avait de grands problèmes nous acceptions de l’implanter à Marseille à condition d’y adjoindre un marché professionnel. Le Sunny Side naquit à côté du Festival du documentaire, les deux remportant pendant plusieurs années un grand succès, national et international. Marseille de Gaudin ne sut retenir le Sunny Side qui partit à La Rochelle, mais le FID demeura marseillais et se développa jusqu’à aujourd’hui.
Ces exemples de réussite correspondent à une époque mais la leçon est le préalable à une réflexion sur la stratégie. Que voulons-nous faire de Marseille comme ville de cinéma et d’audiovisuel ? Question que nous retrouvons en 2021.
Cinemarseille 1996-2020
Un constat en cinq flashs :
- Les tournages à Marseille, lancés sous Vigouroux, se développent avec la poursuite du Bureau du cinéma que nous avions créé en 1990. La ville créative s’affirme nettement dans les années 2010 – 2020 avec Marseille capitale européenne 2013, dont le cinéma est curieusement absent. Mais, boite de production, professionnels, techniciens, lieux de tournages, lieux formation, tout s’accroît et tant mieux.
- Ouverture des studios de la Belle de Mai, sauvés et phagocytés par FR3 qui y produit Plus belle la vie, une réussite, mais qui bloque le studio. L’outil studio « ouvert à tous » se développe ailleurs, en particulier à Martigues.
- Pas de nouvel événement cinématographique, arrêt de Cinestival pourtant très populaire. Fin de Sunny Side déjà signalé.
- Création et réhabilitation de la Buzine, dont la vocation méditerranéenne affichée disparaît rapidement. Nous avions écarté cette réhabilitation jugée trop chère et non urgente. Mais Gaudin aimait Pagnol… Pour honorer Pagnol nous avions préféré, avec sa famille, une grande exposition pour les 100 ans du créateur, présentée dans l’ancien cinéma Pathé sur la Canebière, exposition qui circula ensuite largement.
- Ouverture de nouveaux cinémas privés hors des quartiers Nord où seule la salle municipale de l’Alhambra perdura.
Pour résumer cette période, la vie cinématographique se développe plus par le secteur privé que par l’activité municipale.
2021… le booster Macron… ?
Depuis une dizaine d’années, le milieu professionnel et créatif autour du cinéma ne cesse de se développer avec une mairie curieusement absente. Le cinéma est surtout devenu un enjeu économique. La CCI prend la main, avec l’étude qu’elle pilote en septembre 2018 envisageant des actions pour 2020. Développer emplois et retombées économiques tel est le nouveau mantra.
En 25 ans la géographie du milieu de l’audiovisuel a changé. La priorité à Marseille n’a plus le même sens. De par sa taille Marseille a profité du boom, mais elle n’est plus seule. Les studios de Martigues font un tabac, La Victorine existe encore, Montpellier s’y est mis, ainsi que la région Occitanie. Alors reprenons les projets mis en avant par Emmanuel Macron et sur lesquels travaillaient déjà la nouvelle municipalité et son adjoint à la culture, Jean-Marc Coppola, avec les très nombreux acteurs apparus ces dernières années.
L’option méditerranéenne et internationale
Se reposer la question du positionnement international de Marseille est fondamental même si l’enjeu méditerranéen et africain ne se pose plus exactement de la même manière, Marseille est et restera essentiellement liée à la Méditerranée et à l’Afrique. Voir quel rôle peut jouer Marseille dans ce domaine n’est pas neutre. On n’en parle plus dans nos beaux projets locaux. Et alors ?
Nous avons la capacité de porter un cinéma et des séries qui parleront à toute l’Afrique et à la Méditerranée
Emmanuel Macron
Emmanuel Macron en reprend la stratégie dans son discours sur le cinéma pour le Grand Marseille : « … ici, Il y a une chance formidable, il y a des enfants, des familles qui viennent de partout dans la Méditerranée, des rives européennes, libanaise, marocaine, algérienne, tunisienne, égyptienne. Et ils ont leurs imaginaires, ils ont leurs histoires. Mais ils ont aussi du coup la capacité à les exporter et nous avons la capacité en France, et surtout depuis Marseille, à créer, créer des histoires, des contenus qui vont parler à ces jeunesses de l’Afrique et du bassin méditerranéen. C’est cette ambition que nous devons avoir. Nous avons la capacité de porter un cinéma et des séries qui parleront à toute l’Afrique et la Méditerranée. Ce que je vous dis n’est pas un rêve, c’est une conviction. »
Que Marseille reprenne le flambeau… Nous avons pour l’instant trois orientations.
La création de nouveaux studios
Multiplier les hangars de tournage oui mais plusieurs dans la région. Nous avions, il y a 25 ans, choisi un studio tenu par un producteur de niveau national voire international avec Tarak Ben Ammar. Et non uniquement un prestataire de services. Ce serait toujours valable mais qui serait aujourd’hui le producteur de ce niveau disponible ? Le milieu du cinéma est-il désormais condamné à Netflix… Il me semble qu’il serait bon de se reposer la question. Les auteurs, les producteurs sont des maillons essentiels. Le projet d’une Cinémathèque reliée à la Cinémathèque de Paris est la rencontre entre deux réalisateurs de dimension nationale et internationale, Costa Gavras et Guediguian mais qui sont des hommes qui savent très bien ce que c’est que la création… et la Méditerranée…
La modernisation du pôle média de la Belle de Mai
Il eut et a toujours un producteur, FR3 Méditerranée, avec Plus Belle la Vie. La Mairie peut être un élément moteur. Plus Belle la Vie ne sera pas éternelle et la Belle de Mai dispose d’un faisceau d’acteurs publics (dont l’INA) et privés.
La création d’un bassin de tournage en mer
Existe-t-il un marché pour un second équipement de ce type après le succès de Malte en la matière ? N’ayant pas les études de rentabilité et des besoins je n’en sais rien. Mais Marseille est-elle la mieux placée ? À voir. L’hypothèse La Ciotat serait plausible.
Quelle que soit l’importance de l’enjeu des tournages, ce n’est qu’une partie du problème. Le cœur du métier, c’est la capacité créative de cette ville, l’aide aux auteurs, producteurs de Marseille, l’installation de nouveaux producteurs, le développement des formations pour répondre avec du personnel local à la demande qui s’accroît.
L’ensemble du domaine culturel de Marseille et sa nouvelle population créative sont au cœur du sujet.
L’ensemble du domaine culturel de Marseille et sa nouvelle population créative sont au cœur du sujet. Emmanuel Macron y fait référence : « c’est la France qui est en train de conquérir l’Europe en transmettant ce virus qui est de protéger les auteurs, de reconnaître la place de la création ». C’est là que Marseille a les cartes en main. La société créative est liée à la plus grande des cités de la région. Marseille s’est développée sur les tournages, mais qui le sait vraiment parmi les Marseillais eux-mêmes ? Suivons l’exemple de Lyon qui, autour de l’Institut de l’image, a su créer la seule grande manifestation cinématographique en région, alliant actualités et archives. (Cannes exceptée évidemment). Lyon a trouvé avec l’Institut Lumière, la carte de visite créative la plus importante de France en matière de cinéma.
La symbolique du 7e art
Il manque à Marseille un grand festival, Cinemarseille, qui mettrait à l’honneur les films tournés récemment ici ou ailleurs par des producteurs marseillais, les films les plus emblématiques, les archives, les métiers du cinéma, de l’audiovisuel, des nouvelles images ? À Marseille de réfléchir, de lancer ce grand festival uniquement consacré à Marseille et que la municipalité pourrait initier sur ce mandat. Le cinéma c’est aussi cela, c’est surtout cela, les festivals, la communication intelligente et médiatique sur cet art. Car c’est cela qui manque à des projets présentés surtout sur leur dimension économique, et non sur la valeur symbolique du 7e art. C’est un nouveau type de festival à inventer dans une ville photogénique à souhait.
Philippe Mano.
Novembre 2021
(*) Gomet’, attaché à la vitalité du débat local, publie régulièrement des tribunes de contributeurs extérieurs. Ces points de vue n’engagent pas la rédaction.