L’analyse de la situation relative aux élections législatives en cours ne relève pas seulement de l’approche politique.
Qu’un grand parti de gouvernement s’effondre électoralement, c’est déjà arrivé. Mais qu’il s’effondre moralement au même moment sur l’étrange et solitaire dissolution de l’Assemblée par son principal dirigeant, qui plus est président de la République, est bien plus rare. Qu’il s’effondre, non pas sur une erreur de pilotage, mais sur une profonde faute de jugement, relève du mystère, sûrement de la solitude du pouvoir, de l’orgueil.
L’impossibilité de la part du Président à rendre la dissolution objective, politiquement explicable, ne doit pas être minorée. Elle est le fondement de ce que doit être la révision future et nécessaire de la Constitution de notre pays pour en finir avec le monarchisme républicain, la toute-puissance d’un seul homme. Mais pas seulement.
Le début d’un cycle de changements institutionnels
L’urgence du vote qui s’ensuit, et dont l’issue aura lieu au moins sur le plan électoral ce dimanche 7 juillet, ne sera qu’une étape. Il est à parier que nous entrons dans un cycle de changements institutionnels durables, profonds, et dont l’aboutissement n’est pas écrit. Ce cycle risque de passer hélas par des étapes de chaos, de remise en cause, de grandes difficultés pour nous tous.
En effet, dans notre pays et de par notre Constitution, le pouvoir exécutif est aux mains du chef de l’Etat, et de sa majorité parlementaire. Si ce n’est la sienne, une cohabitation est alors possible, et déjà expérimentée en France.
La question relative au changement de majorité éventuelle nécessite d’en trouver une. Absolue ? Relative ? Autrement dit, l’exercice d’un projet de coalition… ?Mais quelle coalition ? En réalité, il sera bien difficile d’en sortir rapidement et de retrouver un semblant de stabilité politique, tant les cartes idéologiques sont désormais confuses, les alliances difficiles voir improbables, intenables.
L’accès au pouvoir d’une coalition menée par l’extrême droite fera rentrer notre pays dans un cycle de convulsions politiques, sociales et économiques qui déclasseront l’ensemble de notre société. La suspicion va s’installer contre la Maison France et marginaliser chacune et chacun de nous, fragiliser l’Europe un peu plus.
Concernant une coalition de gauche de gouvernement, elle reste à construire humainement, intellectuellement et ne doit pas dépendre des circonstances mais bien du fond, du projet de société. Concernant enfin un « arc républicain », allant des écologistes, dont je suis, aux LR modérés, cela pourrait relever de la moins pire hypothèse, mais nécessite une culture du partage du pouvoir qui n’est pas dans les habitudes de notre classe politique actuelle, ni dans l’esprit de nos institutions.
A ce titre, le président Macron a choisi très exactement de dissoudre l’Assemblée nationale au soir du résultat des élections européennes, pensant que les forces de gauche étaient divisées, et ne pouvaient pas avoir le temps de s’unir à nouveau, comme en 2022. Il a eu tort. C’était oublier que l’extrême droite était de son côté en ordre de bataille, avec des scores très élevés, qu’aucun sondage n’a déjugé. Il a eu également tort de penser être le rempart contre l’extrême droite. Autant dire que l’attitude future du Président n’est guère prévisible…
Nous voilà donc pour beaucoup à essayer de « faire barrage » au Rassemblement national dans son accession au pouvoir, barrage qui avait déjà donné le pouvoir à Macron dès 2017, puis à nouveau en 2022. La martingale pouvait encore marcher en 2024, pensa-t-il sûrement… Bien sûr que l’urgence est de tout faire pour empêcher la digue de casser et de stopper l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. Et pour beaucoup, au passage, de retrouver le chemin des urnes ! Mais au-delà, il nous faut dores et déjà réfléchir et mettre en place une nouvelle force sociale, humaine, économique, éthique, qui propose une voie nouvelle, durable, empêchant notre pays de sombrer dans un chaos politique sans fin.
Les clivages politiques sont à bout de souffle, cette élection va les emporter définitivement
Les clivages politiques sont à bout de souffle, cette élection va les emporter définitivement. L’extrême droite qui a commencé sa banalisation le sait bien, et en profite largement. Elle avance sur des décombres. Et n’apportera rien de favorable au pays. Une énorme fraction de la classe politique va ainsi disparaitre dans les jours qui viennent, et quelques nouvelles têtes apparaitre ; mais dans ce brouhaha intense, qui va entendre qui et quoi ?
Le réforme d’une société dépend de bien des paramètres. La France est un vieux, grand pays, en perte de vitesse économique depuis longtemps, surendetté, en déclin démographique, désormais, et qui commence à ressentir les conséquences majeures de cette situation sur le déclassement de sa vie quotidienne. Pouvoir d’achat, logement, santé, services publics, sont au cœur de ce malaise. Le pacte républicain est malmené.
La peur est la pire conseillère. Mais elle concerne bon nombre de nos concitoyens, vulnérables face à un avenir très incertain.
Le 9 juillet 1789 (encore un mois de juillet !), les Etats Généraux de notre pays se déclarent Assemblée constituante vue l’extrême gravité de la situation de la France, avec pour mandat de proposer au peuple français une Constitution, et plus encore un nouveau pacte de société. La base intellectuelle de cette assemblée tournait autour de la philosophie des Lumières.
Aujourd’hui, et à cette heure, il est de notre responsabilité de tout faire pour éviter l’accès au pouvoir à l’extrême droite, mais, plus encore de commencer à poser les bases d’un processus de rénovation politique, social et écologique profond, qui seul peut empêcher l’effondrement de notre pays. Les circonstances dans lesquelles nous sommes, nécessitent de penser ainsi. Nous ne nous y attendions pas, certes. Mais c’est ainsi ; et il va falloir être à la hauteur.
L’espoir d’une société plus juste peut et doit renaître
Le redémarrage d’une histoire politique française singulière, va passer par sa société civile, ses corps intermédiaires, tous ces espaces médians dont l’impact a peu à peu été réduit ces dernières années par un mouvement de fond d’une société individualiste et d’un pouvoir politique jaloux de ses prérogatives. La société civile n’est plus écoutée. Quand elle s’exprime, ce ne sont que de simples avis sans portée politique.
Ce décalage dangereux doit entrer en ligne de compte dans l’analyse de notre crise démocratique ; une démocratie s’alimente d’idées, de projets, de diversités, dont le pouvoir politique n’a pas à être l’arbitre. Car il n’a pas la capacité à en juger. Et bien, elle n’a qu’à s’en saisir elle-même et sans désormais attendre d’un pouvoir affaibli une quelconque autorisation, et proposer un nouveau pacte social, économique et politique acceptable par tous, dans un contexte durable de bouleversement climatique.
On verra ainsi rapidement que derrière le fractionnement artificiel imposé par les forces politiques, relayé par certains médias et leurs extensions numériques souvent complaisants sinon complices, les constats comme les solutions sont peut-être plus simples qu’il n’y parait et que l’espoir d’une société plus juste peut et doit renaitre.
Stéphane Salord
Engagé dans la finance solidaire ; chef d’entreprise
Membre du bureau de Génération Ecologie 13