Gomet’, attaché à la vitalité du débat local, ouvre ses colonnes à des contributeurs extérieurs, pour partager les points de vue sur les grandes questions du territoire. Aujourd’hui nous donnons la parole à Sébastien Chaze, directeur régional de l’Adie, sur le thème sensible de la mise en place de la Zone à faibles émissions à Marseille.
Une étude récente réalisée par BNP Paribas, publiée dans Gomet’, montre l’impact très significatif et inégalitaire du dispositif. Sébastien Chaze explore ici les conséquences de la mise en place de la ZFE en septembre 2024 pour les petits professionnels qui dépendent de leur véhicule pour leurs activités. Et il fait des propositions pour que la ZFE ne soit pas une nouvelle secousse qui fragilise la cohésion sociale du pays.
Anthony a 27 ans. Il habite Marseille et s’est lancé à son compte il y a près de deux ans dans le home staging et la décoration d’intérieur. Un parcours d’entrepreneur comme nous en rencontrons tous les jours à l’Adie (1). De ceux qui démarrent petits avec la ferme ambition de faire grandir leur affaire. Et pour grandir, Anthony a un problème, son véhicule personnel ne suffit plus à transporter son matériel sur ses chantiers : il lui faut une fourgonnette. C’est là qu’il s’est mis en quête d’une solution de financement accessible et rapide pour l’acheter… Rapide, car les véhicules utilitaires d’occasion à prix abordable, il n’est pas le seul à en chercher, et ils sont particulièrement difficiles à trouver dans un contexte où les seuls autorisés à rouler à partir de septembre 2024 dans la Zone à Faibles Émissions (ZFE) de Marseille seront ceux classés Crit’Air 2 (2).
Cette solution, c’est à l’Adie qu’il l’a trouvé. La ZFE, Anthony n’en avait pas vraiment entendu parler avant que son conseiller à l’Adie lui fasse connaître son existence. Et ses conséquences : une amende de 68 € s’il n’a pas le bon Crit’Air. Qui aurait envie de prendre le risque de perdre l’équivalent d’une journée de revenus en se rendant quotidiennement sur son lieu de travail ? Après avoir caressé l’idée d’acheter une Tesla grâce aux bonus écologiques fournis sans conditions de ressources, son manque de place pour y mettre son matériel de chantier (et surtout ses ressources qui ne sont pas – encore – très élevées) lui font changer d’avis. Ce sera une fourgonnette. Et elle aura droit de cité.
Combien sont-ils ces petits entrepreneurs dont les véhicules Crit’Air 3 ou plus ne seront bientôt plus autorisés dans plusieurs grandes ZFE dès 2024 ? Plus de la moitié (3) parmi les seuls entrepreneurs financés par l’Adie selon une enquête réalisée en 2022. Pour se prémunir d’une gronde sociale, des dérogations ont été apportées pour les secteurs les plus exposés (comme les vendeurs ambulants à Marseille). Peu connues, ces dérogations ne lèvent pas toutes les craintes et ne résolvent rien sur le fond : peut-on choisir entre travailler sereinement ou respirer un air de qualité ?
Les petits entrepreneurs locaux ne veulent pas être rassurés, mais simplement reconnus en tant qu’acteurs économiques, accompagnés pour surmonter les barrières qui s’imposent à l’exercice de leur activité et pouvoir continuer d’en vivre sereinement en respectant la loi.
Parce que les personnes en situation de fragilité économique sont celles qui souffrent le plus de la pollution de l’air et du réchauffement climatique et que ce sont celles qui ont le moins de marge manœuvre pour s’adapter aux contraintes écologiques et sanitaires, l’Adie défend l’idée d’une transition écologique juste à laquelle chacun peut prendre part et dont tout le monde bénéficiera.
La mobilité est un vrai challenge pour les petits entrepreneurs indépendants. Et pour ceux soutenus par l’Adie, décarboner leurs déplacements, s’équiper « vert » est un enjeu crucial pour poursuivre leur activité. Le véhicule est souvent leur principal outil de travail. Si 34% d’entre eux ont déjà pu franchir le pas vers un moyen de transport plus écologique, il n’en reste pas moins une grande majorité pour lesquels le changement de leur fourgonnette « ou de leur bagnole » bien souvent âgée de plus de 10 ans, roulant au diesel, et tombant souvent en panne relève trop souvent de la mission impossible.
L’envie d’acquérir un nouveau véhicule est bien présente, cependant, le coût demeure un obstacle de taille, une montagne ! Les dispositifs publics encourageant l’achat d’un véhicule propre ne comblent pas le fossé et de toute façon, les organismes financiers ne prêtent pas les fonds nécessaires correspondant à ces aides dont il faut faire l’avance (ce qui suppose d’en avoir les moyens …).
Pas de véhicule récent et c’est la triple peine : un entretien coûteux, un accès aux métropoles bientôt interdit et l’image d’un entrepreneur peu respectueux des enjeux environnementaux.
La petite activité est en danger et une partie de la cohésion sociale risque d’être encore une fois fragilisée si rien n’est fait. Face à ce constat, l’Adie a décidé d’agir et d’apporter des solutions : à travers des partenariats avec des loueurs et constructeurs nationaux et régionaux (une initiative avec Olympic Location verra le jour en 2024), des offres de financement adaptées, l’orientation vers des solutions de mobilité douce (pour faciliter l’acquisition de vélos cargo pour ceux qui exercent dans des villes par exemple).
Pour Anthony, le casse-tête de la fourgonnette est résolu. Pour les 80 000 porteurs de projets actuellement soutenus par l’Adie et les 35 000 à venir en 2024, bienvenue aux amateurs de casses-têtes ! Acteurs publics, dirigeants d’entreprises ou simples citoyens si vous partagez comme nous la conviction que la transition écologique ne pourra réussir que si elle se conjugue avec une plus grande justice sociale, les portes de l’Adie vous sont ouvertes pour agir et les résoudre à nos côtés !
Les propositions de l’Adie pour faire des Zones à Faibles Émissions des Zones à Forte inclusion :
• S’assurer que le leasing social soit réellement social. La voiture électrique à 100€ promise par le gouvernement risque de ne pas toucher les publics les plus précaires, car les loueurs refusent les dossiers trop risqués. En s’associant avec l’Adie, ces derniers pourraient garantir une partie de leur risque et travailler avec un acteur expert dans l’accompagnement de ces publics. Et pour la majorité qui ne pourra de toute façon pas utiliser une voiture électrique pour ses déplacements professionnels :
• Simplifier l’accès aux primes par des guichets uniques (car l’ASP ne remplit pas ce rôle pour le moment) en permettant à des structures comme l’Adie qui connaissent ce public de faire l’avance des primes (l’acheteur ne peut pas attendre 6 mois d’être remboursé d’un montant qu’il n’est pas en mesure d’avancer). L’enjeu est de pouvoir apporter “en une fois” la totalité du financement nécessaire : via un microcrédit, une prime à la conversion et un prêt à taux zéro adapté (c’est-à-dire disposant d’un différé de remboursement suffisant pour tenir compte des capacités de remboursement des plus modestes). Et permettre ainsi aux travailleurs indépendants les plus modestes d’envisager l’acquisition d’un véhicule compatible ZFE.
• Prime à la conversion : ouvrir son accès en augmentant les aides nationales au Crit’Air 1 d’occasion sans condition d’émission, car cela ouvre le marché des véhicules pour les plus modestes (il y en a plus, plus accessibles financièrement avec des aides ciblées et elles sont disponibles tout de suite, ce dont a besoin notre public). Compte tenu des véhicules de notre public, on améliore grandement la lutte contre la pollution, même s’ils ne sont pas électriques ou Crit’Air 1 sous condition émission (des analyses de l’Ademe montrent bien l’amélioration niveau pollution quand on passe d’un Crit’Air 5 à un Crit’Air 1 même sans seuil d’émission, et même en passant à un Crit’Air 2).
• Proposer des aides pour les primo-accédants à faibles revenus dépendants d’un véhicule pour leur mobilité. Nombreux sont les jeunes, familles monoparentales et entrepreneurs à faibles revenus dont les déplacements professionnels ne peuvent se réaliser autrement qu’avec un véhicule, mais qui ne bénéficieront pas de la prime à la conversion car ils n’ont pas de véhicule à mettre à la casse. Leur permettre d’accéder à un véhicule décent et compatible ZFE est primordial.
Sébastien Chaze
Directeur régional de l’Adie
L’Adie est une association nationale reconnue d’utilité publique qui défend l’idée que chacun, même sans capital, même sans diplôme, peut devenir entrepreneur, s’il a accès à un crédit et un accompagnement professionnel. Depuis plus de 30 ans, l’Adie grâce à ses équipes composées de bénévoles et salariés, finance et accompagne les créateurs d’entreprises dont les projets n’ont pas accès au crédit bancaire, pour une économie plus inclusive.
- (1) En 2022, l’Adie a financé plus de 400 entrepreneurs marseillais et franchi le cap des 3000 personnes soutenues.
- (2) De janvier 2020, qui correspond à la période pré-Covid, à décembre 2022, ils ont augmenté de 43,7 % en moyenne, selon les données fournies
par les vendeurs sur La Centrale. - (3) Au 1er septembre 2024 et selon le résultat d’une enquête réalisée auprès des entrepreneurs soutenus par l’Adie, 50% de leurs véhicules
professionnels sont supérieurs aux Crit’Air 2 et seront interdits de circulation dans la ZFE de Marseille.
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