Un nouveau consortium industriel compte investir 2,2 milliards d’euros dans une usine de production de fer réduit et d’acier décarboné à Fos-sur-Mer. Le projet GravitHy entend remplacer le charbon par de l’hydrogène.
La première usine d’acier décarboné de France pourrait sortir de terre à Fos-sur-Mer en 2024. L’incubateur européen EIT InnoEnergy, à l’origine de cette annonce, se présente comme « le plus grand investisseur au monde en matière d’innovation dans l’énergie durable ». Pour mener à bien son projet de haut-fourneau à hydrogène baptisé GravitHy, il s’est récemment entouré de cinq noms de l’industrie européenne.
Parmi les pères fondateurs de cette structure, on compte trois acteurs français ; l’énergéticien Engie, à travers sa filiale capital-risque Engie New Ventures, le promoteur et aménageur Groupe Idec, lui aussi via sa filiale « Invest innovation », ainsi que l’équipementier automobile Faurecia, devenu Forvia après avoir racheté en février dernier la société allemande Hella. Deux autres firmes étrangères complètent le tour de table. Il s’agit de Primetals Technologies – le constructeur d’usines londonien dont la filiale française a été cédée en 2021 par Mitsubishi Heavy Metals au fonds d’investissement allemand Mutares – et de Plug Power, un électrolyseur américain spécialiste de la pile à hydrogène.
Tous ont paraphé jeudi 30 juin l’acte de naissance de la société GravitHy au siège du groupe Idec, dans le VIIIe arrondissement de Paris. La future gouvernance n’est pas encore connue. Et l’alliance industrielle se donne deux ans pour décrocher l’ensemble des permis. À terme, le projet pourrait créer près 3000 nouveaux postes directs ou indirects en Provence-Alpes-Côte d’Azur. « Nous créons aujourd’hui une société qui va construire sa première usine (…) à Fos-sur-Mer, et on n’a pas l’intention de s’arrêter là », annonce au journal Le Point Karine Vernier, la patronne d’EIT InnoEnergy France. Elle s’est récemment spécialisée dans la décarbonation des industries après avoir travaillé pendant 20 ans dans la filière gaz.
Serge Bornarel, délégué général de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) Alpes – Méditerranée, interrogé par Gomet’, considère que c’est « une très bonne nouvelle pour le territoire ». Il appelle tout de même à la prudence vis-à-vis du projet GravitHy. « Nous n’en sommes qu’aux prémices », remarque ce fin connaisseur du monde industriel. Il préfère attendre la pose de la première pierre avant de se réjouir totalement. Même mélange de satisfaction, mais aussi d’interrogations chez la plupart des acteurs économiques locaux, qui reconnaissent ne pas être au courant du dossier à l’instar de la CCI métrpolitaine AMP ou de la CCI régionale Provence Alpes Côte d’Azur.
Le GMIF « agréablement surpris par cette annonce »
Jean-Michel Diaz, le président du Groupement maritime et industriel de Fos (GMIF), se dit « agréablement surpris par cette annonce ». Et le terme est bien choisi. Le président du GMIF n’a en effet appris l’existence du projet GravitHy que début juillet, par voie de presse, et ne signale aucun bruit de couloir ces derniers mois qui aurait pu lui mettre la puce à l’oreille. Mais Jean-Michel Diaz ne boude pas son plaisir. « La zone de Fos-sur-Mer n’a pas connu d’implantation industrielle de cette taille, et génératrice d’autant d’emplois depuis plus 35 ans, se réjouit-il, et d’ajouter : si un industriel de cette envergure viendrait en effet s’implanter à Fos, on serait ravi de l’accueillir ». Le patron du GMIF n’a toutefois pas d’idée précise concernant la zone géographique que pourrait privilégier GravitHy pour l’implantation de son usine.
De l’hydrogène plutôt que du charbon
Très gourmande en énergie, la filière acier est responsable de 7% des émissions de CO² du secteur de l’énergie. EIT InnoEnergy explique vouloir faire de GravitHy un « acteur incontournable du marché de l’acier vert ». Comment ? En produisant à partir d’hydrogène deux millions de tonnes de « fer de réduction directe » par an. Cette matière appelée DRI (direct reduced iron) est le produit issu d’un procédé sidérurgique de réduction des oxydes de fer, mais sans fusion du métal. Relancée au milieu des années 70 par la société américaine Midrex, cette technique s’est peu à peu démocratisée. L’hydrogène garantit aujourd’hui la quasi-neutralité carbone de la réduction directe, une étape préalable à la production d’acier. Il pourrait demain totalement se substituer au gaz naturel et ainsi bouleverser le marché mondial de la sidérurgie.
Une fois collecté, le fer de réduction directe sera exploité par GravitHy de deux manières différentes. « Il sera utilisé sur place comme matière première pour la fabrication d’acier vert ou commercialisé au niveau mondial sous la forme de (briquette) ». GravitHy ne précise cependant pas la proportion de chaque issue. L’usine de Fos-sur-Mer, la première du projet, permettra selon ses fondateurs d’éviter jusqu’à quatre millions de tonnes de CO² par an, soit 5% des émissions industrielles françaises. Sa construction commencera en 2024 – la localisation précise du site n’a pas été révélée – pour un début d’exploitation attendu en 2027 « sous réserve des autorisations réglementaires requises », tempère l’incubateur européen. « Il est temps de remplacer les anciens hauts fourneaux par des DRI produits à partir d’hydrogène (…) combinés à des fours à arc électrique », estime Karine Vernier. Si l’initiative GravitHy est à la pointe, elle n’est toutefois pas inédite.
Acier vert : ArcelorMittal est aussi sur le coup
GravitHy s’attaque à un marché récent, mais déjà trusté par plusieurs industriels d’envergure à l’échelle mondiale. Le groupe ArcelorMittal (76,6 milliards de CA annoncé en 2021) en fait partie. Face à l’urgence climatique, il a récemment lancé une stratégie de production d’acier bas carbone, lui aussi à partir d’hydrogène. Une ambition que le groupe porte à l’international, mais aussi dans l’Hexagone, à Dunkerque et Fos-sur-Mer, avec des projets chiffrés à 1,7 milliard d’euros – un montant en partie couvert par l’État à travers le plan France 2030. Le sidérurgiste va en effet construire à Dunkerque une nouvelle « unité DRI » d’une capacité de 2,5 millions de tonnes. ArcelorMittal compte également installer un four électrique au cœur de son site de Fos-sur-Mer. Les dates des travaux ne sont toutefois pas connues. Les hauts fourneaux des grands sidérurgistes représentent 70% de la production mondiale d’acier, mais ils ne sont pas tous compatibles avec l’utilisation d’hydrogène. ArcelorMittal compte investir dix milliards d’ici 2030 pour verdir l’activité de ses sites de production européens et réduire ses émissions à hauteur de 40%.
GravitHy : un projet soutenu par l’Europe
Le consortium industriel initié par EIT InnoEnergy est soutenu par l’Institut européen d’innovation et de technologie (EIT) – un organe créé par l’Union européenne en 2008 pour « renforcer la capacité d’innovation de l’Europe ». Pour mener à bien le projet GravitHy, EIT InnoEnergy fournira ses services « d’accélération commerciale » par l’intermédiaire de l’European green hydrogen acceleration center (EGHAC). Cette structure entend développer une économie de l’hydrogène vert de 100 milliards d’euros par an d’ici 2025. « Le projet GravitHy est un jalon important, commente Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur, il contribuera à notre objectif européen de produire 10 millions de tonnes d’hydrogène propre d’ici 2030 et à notre quête de résilience ». GravitHy aura pour défi principal de produire de l’acier vert tout en restant compétitif à l’échelle européenne et mondiale.
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