Noailles est un quartier marseillais (1er) réputé pour son tumulte, son marché, ses logements dégradés et ses rues commerçantes baignées dans un fumet d’épices. Au fil des années, les vendeurs de cigarettes s’étaients inscrits dans le paysage du “ventre de Marseille” sans trop déranger. Mais cet équilibre s’est fragilisé avec l’arrivée en nombre des vendeurs à la sauvette. « Ça a vraiment changé depuis un an, souffle une habitante membre du collectif rue Pollack Aubagne, On ne peut plus laisser nos enfants sortir seuls, et les plus vieux ne sortent même plus de chez eux… »
En juillet dernier, un groupe de commerçants alertait la Ville, la préfecture de Police et les journalistes du phénomène. Le restaurant typique Pizza Charly et la boucherie sur la place du marché regrettaient une perte de chiffre d’affaires de 30%. La fleuriste installée au croisement de la rue Vacon et de la rue d’Aubagne menaçait de fermer car une dizaine de biffins s’adossaient sur sa terrasse en journée.
« Mais rien n’a changé depuis, ça s’est même empiré, on est tous au bord de la crise de nerfs ! », déplore Fabienne, une autre habitante membre du collectif. La fleuriste et la rôtisserie Noailles ont mis la clef sous la porte. Les commerçants encore debout, comme ceux de la grande boutique de décoration berbère rue d’Aubagne, estiment « une perte de 40 à 50% de chiffre d’affaires. » La patronne se démène tous les matins pour camoufler les odeurs des déchets abandonnés dans la rue avec de l’encens. « A quoi ça sert que je paie des charges ?», s’étouffe-t-elle.
Suspicions de recel de marchandises
C’est en soirée que la cohabitation avec les habitants devient encore plus délicate. « Entre 18h et 21h, ils montent leur sono à fond, ils parlent fort et l’insécurité règne… Ils sont shootés et violents entre eux », poursuivent les Marseillaises. Quand on cherche à prendre quelques clichés avec notre portable, un habitant lance, le pas pressé : « Rangez votre téléphone, ici ça vole ! » Les membres du collectif pointent aussi des vols réguliers : « Leurs stocks sont renouvelés tous les jours. On retrouve les antivols dans les pots de fleurs... »
Les habitantes interpellent la maire de secteur, Sophie Camard, et le maire de Marseille, Benoît Payan, depuis plusieurs mois : « sans succès ». Alors elles ont créé un profil sur X (ex-Twitter) pour publier une série de posts entre août et septembre. En réponse, la mairie du 1-7 a envoyé un communiqué le 6 septembre également partagé sur le réseau social : « On se pose les mêmes questions que les habitants sur l’existence de réseaux de recels de marchandises, de réserves de stocks, et d’attribution des places dans l’espace public. (…) Nous demandons aujourd’hui plus d’enquêtes et d’opérations en profondeur pour apporter des réponses claires. »
Des démarches judiciaires envisagées
Les agents de la police nationale et de la police municipale patrouillent tour à tour dans les rues. « Pendant la saison estivale, nous avons renforcé les équipages sur l’îlot Noailles pour la lutte contre les sauvettes. Aujourd’hui nous avons neuf agents le jour et neuf la nuit six jours sur sept. », assure Yannick Ohanessian, l’adjoint à la sécurité de Marseille. Si nous n’avons pas obtenu de chiffres précis, la police municipale aurait réalisé une centaine de verbalisations cet été.
« Mais ce n’est pas suffisant. Parfois les policiers ne leur demande pas de remballer… », explique une habitante avec des vidéos à l’appui. La police municipale n’a en effet pas la compétence de saisir directement la marchandise des vendeurs et de la détruire, contrairement à la police nationale. « Nous avons sollicité la préfète de police qui s’est retrouvée face à la difficulté de gérer les arrêts maladies en cascade (…) Elle a aussi un regard à 360 sur la ville avec ce qui se passe à La Cayolle ou à la cité Saint-Thys », abonde Yannick Ohanessian.
Ne sachant plus comment lutter, les habitants sont prêts à se pourvoir en justice. « On paiera les avocats avec nos deniers s’il le faut », soutiennent-ils. La maire, Sophie Camard, souhaite les aider à « faire le lien avec la préfecture de police pour que leurs signalements aient de la valeur aux yeux de la justice. », relaie son directeur de cabinet, Jérémy Nicolaï, interrogé par Gomet’. Mais la mairie de secteur ne dispose pas de la compétence sécurité, contrairement à la maire centrale. Elle peut donc se faire l’intermédiaire entre les institutions sans prendre de décision.
Un quartier loin d’être piétonnisé et végétalisé
Malgré ces tensions durables, la municipalité affiche toujours sa volonté de piétionniser Noailles. « La maire souhaite d’abord financer des études pour comprendre comment agir avec des prestataires qui nous guident », assure Jérémy Nicolaï. Mais les habitants le martèlent : « Dans ces conditions, on ne veut surtout pas piétonniser le quartier. Les vendeurs s’étendront sur le trottoir alors que notre chance, c’est qu’il y a encore des véhicules pour tracer un chemin. »
Depuis trois ans, les habitants militent pour végétaliser les rues. Une association de 60 membres, les jardins de Noailles, a même été créée par Edwige Monod. La retraitée a obtenu l’installation d’une dizaine de poubelles et d’un linéaire de six mètres de plantes vertes pour embellir la place Vacon l’été dernier. Mais cette tentative a rapidement échoué.
L’adjointe aux espaces verts de Marseille, Nassera Benmarnia, a accepté de disposer trois pots. « Mais ils ont été retirés quelques semaines plus tard car les agents municipaux se faisaient agresser en venant arroser », retrace-t-elle, amer. Et puis elle a fini par déménager… comme une dizaine d’habitants redoutent de le faire si la situation dégénère.
Lien utile :
> Le quartier de Noailles entamera sa piétonnisation à compter de 2023