De retour du SXSW à Austin aux Etats-Unis, rencontre de la créativité mondiale, l’entrepreneur marseillais Philippe Guguen, président de MAP-Emulsion et créateur de Sorga Technology, nous raconte ce rendez-vous et ses solutions créatives pour lutter contre la contrefaçon et l’écoblanchiment.
Quel est votre parcours ?
Philippe Guguen : Après l’EM Lyon, une expérience en marketing produits, notamment chez L’Oréal, et une première vie entrepreneuriale comme co-fondateur de Cityvox, j’ai créée MAP en 2007, puis le studio Emulsion nous a rejoint en 2018. A ce jour MAP-Emulsion est une agence de marketing et communication qui emploie 15 personnes et offre ses services à des clients dans le luxe notamment, comme les groupes Puig (Jean-Paul Gautier, Rabanne,…) Coty (Parfums Gucci, Chloé, Burberry…) mais aussi à Pernod Ricard depuis 39 ans. Nous sommes basés au Pôle Média de Marseille et avons également une adresse parisienne.
Etre entreprise à mission, n’est-ce pas étonnant pour une agence de marketing ?
P. G. : En 2021, nous sommes devenus entreprise à mission, parmi les premières de notre secteur, en fixant des objectifs extra-financiers dans nos statuts. Notre objectif est de promouvoir la consommation responsable, en consommant mieux et non pas plus. Comment ? En équipant notamment les produits de passeports numériques inviolables permettant au consommateur d’accéder à la transparence vérifiable et voir les preuves des engagements des marques. MAP Emulsion, spécialiste de l’innovation digitale pour les marques retail, a ainsi développé la solution Sorga Technology avec son partenaire KeeeX et des brevets exclusifs du CNRS en cryptographie, pour équiper des produits de beauté, textiles ou maroquinerie de passeports blockchain sans impact environnemental pour les marques. Primés Tech for Retail à Vivatech et à Cosmetic 360, nous sommes partenaires de la French Tech Aix Marseille et de la French Touch de BPI, avec qui je me suis rendu à Austin au salon SXSW dès 2023 et encore le mois dernier.
Que représente SXSW Austin ?
P. G. : Le forum South by South West à Austin (Texas, USA), qui se tient chaque année en mars, depuis 1987 sur la musique d’abord puis 1994 le cinéma, à ce jour élargi à la créativité, la mode, la beauté, la santé, la nourriture, le sport, le climat… c’est une semaine avec 3000 conférences sur l’innovation des industries créatives. Au plan qualitatif, c’est un coup de projecteur intéressant vers l’avenir de notre société, ses modes de consommation et de créativité. C’est là qu’avait été révélé ChatGPT l’an dernier par exemple, et cette année, on y a approfondi l’IA et sa régulation. Au plan quantitatif, SXSW d’Austin cumule 345 000 visiteurs en six jours, à comparer avec Vivatech Paris et ses 150 000 visiteurs en trois jours et le CES de Las Vegas avec 120 000 visiteurs sur 3 jours.
Dans quel contexte est né Sorga Technology ?
P. G. : Sorga Technology répond à une urgence de transparence. Selon Forbes, 90% des consommateurs estiment quʼils nʼont pas assez d’informations sur les produits. Pire, le rapport Écoblanchiment de la Commission européenne de 2021 révélait qu’une marque sur deux triche en matière d’allégations environnementales : fausses, exagérées, non prouvées… Or PWC révélait dans son étude conso que 30% des consommateurs sont prêts à payer plus cher pour un produit réellement transparent. Parallèlement, l’industrie du faux prospère : la contrefaçon dépasse les 500 milliards de dollars en saisie de douanes selon les derniers chiffres de l’OCDE qui datent de 2019, soit avant l’explosion des ventes en ligne due au Covid. 37% des acheteurs de faux produits pensent avoir acheté un original. Le préjudice pour la marque va au-delà du chiffre d’affaires détourné, aussi sur son image et la perte de ventes à venir. De ces constats est né Sorga Technology, développée par MAP Emulsion : une solution digitale pour renforcer la consommation responsable, en permettant à tout consommateur de devenir un consomma(c)teur grâce à une information fiable et vérifiable, accessible sur chaque produit, par son code barres ou un QR code enrichi.
Comment fonctionne votre solution ?
P. G. : Sorga est une solution de passeports numériques inviolables pour chaque produit (Digital Product Passport, DPP), accessible sans télécharger d’application ni partage de données personnelles. Soit c’est un passeport générique à tous les produits d’une référence, lisible par le lecteur de codes barres de la page www.sorga.tech, soit c’est un passeport spécifique à chaque produit unique, lisible alors avec un QR code Sorga comme tout QR code. La technologie révèle de manière sécurisée toute l’histoire de chaque produit ainsi que les preuves vérifiables et inviolables des engagements de la marque à travers des photos, des vidéos, des cartes interactives. Cette transparence ne lutterait pas contre le greenwashing ou la contrefaçon si les preuves inviolables de chaque passeport n’étaient pas signées de leurs auteurs, ancrée de façon inviolable dans une blockchain publique (Bitcoin). Sorga donne accès aux sources de l’information, jusqu’aux signatures blockchain (« la source », sorga en provençal) à ceux qui souhaitent les vérifier.
Quels sont les bénéfices pour les parties ?
P. G. : Pour les consommateurs, le passeport Sorga offre une nouvelle expérience du produit : des infos fiables et vérifiables révèlent les engagements RSE des marques avant l’achat, de choisir son produit selon ces engagements, de lutter contre le greenwashing, de vérifier l’authenticité du produit, mais aussi de bénéficier d’avantages réservés par la marque à ceux qui possèdent ses passeports en déclarant les achats de ses produits. Pour les marques, le DPP Sorga apporte toutes les informations multilingues et visuelles que le packaging ne permet pas. Fini les notices que personne ne lit, place aux tutoriels vidéos ! Le passeport Sorga permet aussi de mieux connaître ses clients : en ajoutant ses produits à « mes envies » et « mes produits achetés», les clients permettent aux marques de mieux les connaître et de les remercier, ce qui est loin d’être facile avec des magasins ou market places multi marques. Pour le législateur, les DPP Sorga répondent aux attentes de la Commission Européenne sur l’information aux consommateurs : l’impact lié à la fabrication du produit, sa durabilité avec des conseils pour l’entretenir, le conserver plus longtemps et sa circularité pour le revendre, le transformer ou le recycler en suivant les consignes propres à chaque pays.
En quoi le passeport Sorga se différencie des autres solutions ?
P. G. : Map Emulsion a travaillé avec ses clients, marques de mode et beauté, pour résoudre trois contraintes courantes des solutions du marché. 1. L’impact énergétique et la transparence : inutile de prendre des solutions sur blockchain privée ou semi-privée pour prétendre apporter des preuves de transparence. De même, ne brûlons pas la planète avec des solutions énergivores à vouloir prouver qu’on la protège. Sorga est une solution à scope 3 nul pour l’empreinte carbone des marques qui l’utilisent et s’appuie sur la plus robuste blockchain publique, le Bitcoin.
2. La confidentialité des données des produits et des clients : toute solution hébergée chez Amazon Web Service, Microsoft Azure ou utilisant des solutions issues des Gafam est vulnérable, car ces entreprises américaines sont soumises au Patriot Act. Même si elles prétendent protéger les données de leurs clients, une organisation publique américaine peut les leur demander à tout moment. Sorga est 100% français : code, brevets, hébergement.
3. La traçabilité logistique, le standard pour la lecture en caisse et l’anti contrefaçon à moindre coûts : pouvoir lutter contre la contrefaçon, contre le marché gris ou développer son CRM à partir de chaque produit, impose un passeport différent pour chaque produit. Jusqu’à présent la sérialisation était l’avantage des puces RFID ou des NFC, dont les coûts sont conséquents. Sorga a ouvert une nouvelle voie avec le QR code lisible à haute vitesse par de simples smartphones. Le QR code Sorga est au standard GS1, qui remplacera les codes barres d’ici 2027, intègre le code de la référence, du lot et de l’unicité du produit et peut être enrichi.
Quel est votre avis sur la loi Sécuriser et réguler l’espace numérique (1) ?
P. G. : C’est globalement positif. On réagit après 20 ans de passivité qui nous coûtent très cher aujourd’hui. On a eu la démonstration que la donnée et l’accès à l’espace numérique sont l’or et l’eldorado de l’économie : en 20 ans les Gafam ont infiltré nos administrations, nos écoles, nos hôpitaux, nos vies quotidiennes alors qu’il existait des alternatives françaises ou européennes sur tous les services qu’ils proposent. La révolution numérique est beaucoup plus puissante et rapide que la révolution industrielle qui avait permis d’avoir progressivement des acteurs économiques puissants répartis dans chaque région du monde au service de leurs populations, de leurs Etats. L’Europe a laissé filer la révolution numérique aux Américains, et celle de l’IA sera probablement asiatique si on ne réagit pas. La régulation européenne (SREN, DSA, DMA) est un exercice nécessaire, peut-être pas suffisant mais en tous cas délicat : il s’agit de protéger les Etats, les entreprises et les ménages de l’espace européen sans freiner l’innovation ni les usages. Je me félicite que la France soit le premier pays au monde à réguler les usages de l’IA : même si tout n’est pas parfait, on montre que les intérêts communs de l‘humanité passent avant les bénéfices individuels de certaines entreprises. L’homme reste un animal social avant tout, il faut veiller à ce que ce lien reste réel et non virtuel ; malheureusement, il reste aussi un loup pour lui-même… donc avançons mais restons vigilants.
Enfin, avez-vous d’autres sujets d’inspiration ?
P. G. : Oui, je suis investi dans l’Institut Louis Germain, créé et dirigé par Julien Puel, pour soutenir les élèves brillants et méritants de quartiers défavorisés. Ce vendredi 3 mai 2024 à 19h au Palais des Congrès de Marseille auront lieu les 4e rencontres de l’Excellence par l’Institut Louis Germain : à cette occasion seront remis des prix et des diplômes aux élèves les plus talentueux et les plus méritants de l’Institut et les acteurs de la troupe de théâtre seront sur scène. Venez nombreux les applaudir, réservez vite, c’est gratuit mais presque déjà complet !
(1) La loi dite SREN a été adoptée mercredi 10 avril par l’Assemblée Nationale, adaptant le droit français au Digital Services Act (DSA), au Digital Markets Act (DMA) et au Data Act européens.