« Le lecteur pénètre au cœur des secrets de la ville, dans le monde des affaires où règnent coups et spéculation éhontée, où un banquier véreux organise des faillites qui l’enrichissent, un notaire vend des biens qui ne lui appartiennent pas, des usuriers poussent leur victime aux suicides… ». N’en jetez plus la coupe est pleine. La ville en question c’est Marseille. Le roman feuilleton, dont parle ainsi dans une utile préface Roger Martin, c’est « Les mystères de Marseille ». On retrouve ce chef d’œuvre, depuis peu réimprimé aux éditions Archipoche, dans les rayons de la Fnac et de toutes les bonnes librairies. On s’en réjouit d’autant que l’auteur qui porte ainsi sa plume dans la plaie phocéenne est un certain Emile Zola. C’était il y a plus d’un siècle et la ville portuaire était encore, par bien des aspects et des quartiers, un coupe-gorge. Les pages que Zola livre dans un premier temps sous forme de feuilleton au Messager de Provence n’ont pas été on s’en doute appréciées par tous les Marseillais. Leurs détracteurs n’usaient pas encore du mot « bashing » mais plus souvent de « caricature ». Celui qui écrira plus tard un célèbre « J’accuse » forçait au goût de certains un peu trop le trait, même si l’on sait aujourd’hui que l’auteur s’inspirait des archives des tribunaux de Marseille et d’Aix pour nourrir ses lignes de faits avérés. Ainsi va cette cité au pied de la Bonne Mère, elle accepte d’être une cour des miracles à condition que cela ne se sache pas.
Ainsi dans un passé encore proche on a entendu un patron des taxis défendre mordicus quelques garnements de sa profession. Ils avaient été rattrapés par la patrouille préfectorale pour divers comportements condamnables. Notre plaideur jugeait ainsi la main sur le cœur que « chaque profession comportait son lot de brebis galeuses ». Du même tonneau cette réflexion d’un maire solidement amarré à son opulent bureau du Vieux Port. Il rejetait péremptoire malgré diverses études incontestées toute menace de pollution sur la cité dont il avait la charge : « On ne risque rien parce qu’ici on a le Mistral ! ». On pourrait multiplier les exemples mais on arrêtera là, tant la réalité de certaines situations dépasse souvent l’affliction. Comme le disent les « djeunes » rivés sur leurs petits écrans : « eh, c’est Marseille bébé ! ».
Il faudra donc ranger le dernier avatar de ces pagnolades au rayon d’une fatalité qui ne dit pas son nom. Ce vendredi la chaîne d’information continue BFM-TV a ainsi révélé, quelques images à l’appui, qu’il s’était passé de drôles de choses il y a un an au sein de la police municipale. Un témoin à charge qui fut de ce service-là (Centre de supervision urbaine) explique, face à la caméra, que des policiers qui ont à charge de scruter les images vidéo couvrant partie de nos quartiers, auraient commis des actes pour le moins répréhensibles. On voit ainsi un homme titubant sévèrement frappé par un policier avant qu’opportunément la caméra qui filme la scène ne balaye la rue loin de ces agissements coupables. Notre témoin qui a quitté ce service pour, qui dit avoir été harcelés par ses collègues, explique que ces images ont volontairement été manipulées par ceux qui étaient alors aux manettes au centre de supervision.
L’affaire est assez grave pour faire l’objet d’un signalement auprès du procureur de la République par la direction de la police municipale. Si la gravité des faits est patente, le scandale comme toujours à Marseille ne fait pas l’économie d’une part comique qui devrait réjouir tous ceux qui aiment en parlant de la ville utiliser l’expression : « mais c’est quoi encore ce pastis ? ». Car on apprend dans ce court reportage que nos policiers superviseurs s’adonnaient aussi pendant leur service à des Karaoke, quand ils ne sacrifiaient pas à leur passion télévisuelle, la téléréalité. Tout cela loin des écrans qu’ils devaient a priori contrôler.
On pourrait se consoler en se disant que là encore nous sommes « à jamais les premiers ». Mais la drôlerie est sévèrement atteinte lorsqu’au-delà de cette affaire on pose quelques questions. La municipalité avait pour objectif de faire de la police municipale la première de France. Il parait alors urgent de verrouiller les conditions du recrutement. Les élus ont attendu le résultat d’un audit avant de s’engager récemment dans le développement du réseau vidéo censé renforcer la sécurité des citoyens. Visiblement l’enquête a été en partie bâclée puisque l’épicentre de cette vigie n’a pas été évalué pour son efficacité. Pour l’arrivée, le 8 mai, du Belem et de la flamme olympique, M. Darmanin a annoncé un renforcement singulier des forces de police. Il est urgent aussi de jeter un œil sur la farce qui vient d’être mise au jour. Et plus de cent ans après Zola d’éclairer les Marseillais sur ce nouveau mystère.
Hervé Nedelec
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