Quelques bourgeons prometteurs, en ce printemps renaissant, sont-ils la promesse de belles récoltes ? Les plus avisés en politique savent bien que non. Surtout presqu’un an après la dissolution ratée qui devait, selon son instigateur, Emmanuel Macron, recomposer le paysage en sa faveur.
Le sondage que nous ont livré ce samedi BFM et La Provence doit-il du coup être pris au pied des chiffres (réalisé entre le 28 février et le 8 mars par l’Ifop sur un échantillon de 1007 Marseillais). La longue histoire des élections municipales contraint les plus sages à ne pas s’avancer imprudemment sur un chemin dont on ne distingue pas encore l’horizon. Certes le maire, Benoît Payan, sera dans la perspective 2026, un « bon maire » pour 57% des sondés. Il relègue à dix points sa principale adversaire républicaine, Martine Vassal et à vingt Renaud Muselier.
83% des sondés satisfaits de vivre à Marseille
Certes encore, le Premier magistrat peut s’enorgueillir des 59% qui sont satisfaits aujourd’hui de sa gouvernance, même si avec une mauvaise foi décomplexée, Génération pour Marseille, les jeunes militants entraînés par Romain Simmarano, le directeur de cabinet du président de la Région, estime qu’il est « le maire le plus faible de France ». Une partie du sondage s’inscrit en faux de cette audacieuse analyse, puisque 83% des citoyens phocéens sont satisfaits de vivre à Marseille et qu’une large majorité s’impose sur beaucoup d’items : activités sportives et animations culturelles, attractivité économique, transports en commun, logement, urbanisme et aménagement de la ville.
Pour autant la retenue est lisible et audible dans la majorité municipale où on préfère taire les cocoricos, les « cocoricouacs » n’étant pas toujours prévisibles. On se souvient ainsi d’un précédent qui en bien des points ressemble à ce que l’on observe aujourd’hui à Marseille. C’était en 2001. Un sondage de la Sofres donnait à Aix-en-Provence le maire sortant, Jean-François Picheral (PS), largement en tête distançant de plus de vingt points chacune des trois listes de droite et du centre. On jugeait alors incompatibles des personnalités comme Maryse Joissains (divers droite) Jean Chorro (UMP) et François-Xavier De Peretti (Centre). Le maire sortant s’offrait même le luxe de repousser les voix du Parti Communiste Français. A tort, ses opposants faisaient une alliance jugée improbable jusqu’à la veille du second tour et Mme Joissains, 18 ans après son époux chassé après un scandale, s’installait dans le fauteuil qu’une gauche modérée croyait imprenable de manière immodérée.
Les extrêmes face au plafond de verre ?
Revenons donc à Marseille. Payan ne crie pas victoire et se garde bien d’insulter l’avenir, même si les scores sondagiers de ses plus véhéments adversaires, l’extrême droite et l’extrême gauche, peuvent être rassurants pour lui. Stéphane Ravier (Ex FN, et ex-zemmouriste) ferait un bon maire pour 33% des Marseillais consultés. 29% pour Sébastien Delogu (LFI) et 23% pour Franck Allisio, un des cadres très proches du RN de Marine Le Pen. Faut-il cependant juger ces adversaires définitivement impuissants ? Rien n’est moins sûr.
Pour l’extrême droite, la rengaine est connue. Le Rassemblement National de Marine Le Pen est toujours le Front National de Jean-Marie Le Pen. La présidente du RN n’est pas cohérente qui balance entre un Trumpisme honteux et un Poutinisme dissimulé. Aux affaires municipales le RN ou naguère le FN sombrent souvent dans les scandales comme à Orange, Vitrolles, Toulon, Fréjus ou Nice. Ses élus ne proposent rien et ne font que jeter des brassées de sel sur les plaies de notre société : immigration, insécurité, pauvreté… Enfin les partis réputés « républicains » tentent de se rassurer, élection après élection, affirmant que Le Pen et ses affidés « n’arriveront jamais à briser le plafond de verre ».
La classe politique marseillaise peut-elle s’abriter, elle aussi, derrière ces constats. Reprenant la formule de Jacques Chirac qui parlait, lui, au Ive sommet de la Terre en 2002 du dérèglement climatique, quelques-uns autour de Benoît Payan, préviennent : « notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Les chiffres, un scrutin après l’autre (municipales, européennes, législatives), démontrent que l’incendie dévore des secteurs entiers de la ville. Le RN aux portes du pouvoir municipal n’est pas un fantasme ou un épouvantail, c’est encore une probabilité tangible. C’est sans doute pour cette raison que les Marseillais dans le sondage de l’Ifop hésitent sur l’hypothèse d’une alliance entre Benoît Payan et Martine Vassal.
Marine Le Pen enfin sait que pour l’emporter à la Présidentielle de 2027, elle aura besoin d’une victoire symbolique dans une des dix grandes villes françaises. Elle n’ignore pas qu’avec son père la deuxième ville de France a eu « une histoire complexe et inachevée ». Mais le parti à la flamme n’a jamais cessé de progresser sur les rives du Lacydon, depuis qu’en 1988 son fondateur a viré en tête devant François Mitterrand et Jacques Chirac.
Et même avec sa réputation de repris de justesse, Le Pen père n’a jamais cessé d’accoler ses mots aux maux marseillais : immigration et insécurité en tête. En 2009 il surnommait encore le maire de Marseille « Ben Gaudin » et martelait son entêtant message : « L’immigration de masse tend à prendre l’allure d’une véritable colonisation”. Seize ans plus tard le RN, dans un langage débarrassé de ses scories racistes, s’entête sur cette thématique, parlant de « submersion » et désignant les 250 000 Maghrébins (ou musulmans c’est selon) de Marseille, comme fauteurs de tous les troubles. La brouille avec l’Algérie est pour le RN un formidable accélérateur et il n’a même pas besoin d’appuyer sur ce champignon. « La bataille de Marseille, tête de pont de la République et de la Nation », dont parlait le « menhir » en 1988 au vélodrome, est donc plus que jamais pour le RN « la bataille de la France ». Il ne serait pas surprenant, dans les mois à venir, de voir partie des cadres nationaux du RN faire des incursions en terre phocéenne. Ils savent qu’autour du Vieux Port, le contenu de leurs diatribes sera relayé au quotidien par l’opinion publique.
Allisio à la pêche aux transfuges de la droite
Benoît Payan est donc contraint à la plus grande vigilance, malgré les encouragements que lui adressent une majorité de Marseillais. D’autant que son opposition de droite républicaine, encouragée par les sondages flatteurs de deux de ses ministres (Bruno Retailleau et Gérard Darmanin), croit porteurs les thèmes favoris de l’extrême droite. Renaud Muselier, président néo-macroniste de la Région Sud, a ainsi musclé son discours en accusant le socialiste Benoît Payan de ne pas se projeter vers l’avenir et de condamner la ville au déclin avec une politique qu’il juge laxiste. Son camp passablement ensablé, renforce de fait le RN où on entend de plus en plus ce refrain : « On vous l’avait dit ! Muselier dit aujourd’hui ce que nous dénonçons depuis toujours ».
Quelques signaux jugés faibles le confirment. C’est un collaborateur important proche de Renaud Muselier et de Martine Vassal, Fabien Bravi, qui rejoint le RN. La présidente de la Métropole a vu rouge lorsque le député Franck Allisio a écrit aux maires des Bouches-du-Rhône pour les inciter à rejoindre son mouvement local « La Provence qu’on aime » en s’adressant justement à… Bravi. Des élus n’ont pas attendu cette invitation pour abandonner leur famille et rejoindre l’extrême droite. Ainsi en fut-il, fin 2024, d’une partie de la majorité LR du maire de secteur (11/12e) Sylvain Souvestre. La liste s’allonge peu à peu. Une leçon s’impose donc : attendre et voir n’est pas une option pour la gauche.
Le cocktail Jibrayel-Delogu reste explosif
La gauche marseillaise veut continuer à se construire comme le seul rempart crédible face au RN. Elle devra pour y arriver dépasser les turbulences qu’elle traverse avec La France Insoumise et moindrement avec les Verts. Les récents échanges pugilistiques entre les deux Sébastien des quartiers Nord ne vont pas dans ce sens. Le cocktail Jibrayel-Delogu reste explosif et il faudra passer par la case tribunal pour régler un compte où aucun de ces protagonistes ne s’est grandi. « La politique c’est la guerre sans effusion de sang » disait Mao que le grand timonier des Insoumis aurait dû enseigner à quelques-uns de ses turbulents élèves marseillais.
Après les éphémères lauriers d’un sondage, le Printemps marseillais (1) a donc l’impérieux devoir de réactualiser la prière : « Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis, je m’en charge ! ». La couronne promise par les chiffres a encore beaucoup d’épines.
(1) Vendredi 21 mars à 18h, les associations citoyennes qui ont participé à la victoire du « Printemps marseillais » se rassembleront au centre d’Animation Loisirs, 2 rue des Grands Carmes (13002) pour « battre la droite et l’extrême droite et faire gagner une gauche plus juste, plus verte et plus démocratique ».