Le Plan Bleu que l’on connaît pour son travail de prospective environnementale s’est emparé depuis plusieurs mois de la question du rapport entre la durabilité et la finance.
« Un élément clé pour atteindre la durabilité réside dans l’abandon des subventions nocives à l’environnement (SNE) lit-on sur le site du Plan bleu, et la mise en avant des finances publiques vertes et des outils économiques verts. Ces mécanismes, comprenant les taxes écologiques, les obligations vertes, la tarification du carbone et les incitations pour les énergies renouvelables, peuvent aider à orienter les ressources financières vers des pratiques durables, favorisant ainsi la préservation de l’environnement et l’efficacité des ressources. Les outils et finances verts intègrent les considérations environnementales dans la planification économique, favorisant une économie plus résiliente et écologiquement responsable. »
En effet, dans le cadre de la révision de la Stratégie méditerranéenne pour le développement durable (SMDD), le Plan Bleu, centre d’expertise du Plan d’action pour la Méditerranée (PAM/PNUE), joue un rôle clé dans l’intégration des enjeux de finance durable.
En analysant à la fois ce qui contribue au maintien d’une économie carbonée et les outils de la finance verte, le Plan bleu rejoint les réflexions que nous avons ouvertes avec les Rencontres de la finance verte et solidaire. Et nous mettrons ces sujets en débat lors de la troisième édition qui aura lieu en novembre prochain.
Pour Gomet’, Robin Degron, directeur du Plan Bleu et Constantin Tsakas, chef économiste du Plan Bleu, répondent à nos questions sur cette démarche et sur la place croissante de la finance durable en Méditerranée
« La finance doit devenir un levier au service des biens communs »
Pourquoi le Plan Bleu se mobilise-t-il sur cette « prospective » financière ?
Robin Degron : La transition écologique en Méditerranée exige un profond réalignement des flux financiers avec les objectifs de durabilité. C’est dans cette optique que le Plan Bleu se mobilise sur les enjeux de finance durable : nous considérons que la finance doit devenir un levier au service des biens communs. Préserver la biodiversité, protéger les ressources en eau, renforcer la résilience des territoires : autant d’objectifs qui ne pourront être atteints sans une évolution cohérente des politiques économiques et budgétaires.
Notre rôle, dans le cadre de la révision en cours de la Stratégie méditerranéenne pour le développement durable (SMDD), est justement de contribuer à identifier les instruments concrets capables de traduire ces priorités environnementales en leviers d’action efficaces. Depuis 2024, nous avons organisé plusieurs ateliers thématiques dans le cadre du groupe de travail PAM/PNUE sur la finance durable. La session finale, tenue récemment, a permis de faire émerger des priorités communes qui viendront alimenter la prochaine version de la SMDD, attendue pour la fin 2025.
Au-delà de ce processus politique du système des Nations unies pour l’environnement, nous poursuivons également un travail de fond, appuyé sur des recherches empiriques rigoureuses. Ce travail s’appuie sur un réseau de chercheurs méditerranéens de haut niveau, avec lesquels nous explorons les outils économiques et financiers les plus adaptés aux réalités de la région.
Sur quoi portent concrètement vos travaux ?
Constantin Tsakas : Nos travaux s’articulent autour de deux grands axes : d’une part, l’identification des financements nuisibles à l’environnement – un rapport exhaustif a été publié sur ce sujet en 2024 (disponible ici) – et, d’autre part, la promotion d’outils économiques et financiers capables d’accompagner une transition juste. Ce second volet fera l’objet d’un nouveau rapport à paraître en 2025.
Il faut en finir avec les incitations qui encouragent encore des pratiques destructrices.
Nous avons délibérément commencé par analyser les instruments les plus nocifs. Avant de bâtir une finance véritablement durable, il faut en finir avec les incitations qui encouragent encore des pratiques destructrices. Malgré les engagements pris en faveur du développement durable, de nombreuses politiques publiques continuent de soutenir des activités néfastes pour les ressources naturelles.
Les subventions préjudiciables à l’environnement – c’est-à-dire les aides qui favorisent des modèles polluants – sont aujourd’hui cinq à six fois plus élevées, à l’échelle mondiale, que les financements ayant un impact positif sur la biodiversité. Dans ce contexte, notre travail repose sur une analyse approfondie des subventions existantes dans des secteurs clés comme l’énergie, la pêche ou le tourisme.
Puis, nous explorons les leviers incitatifs à mobiliser : tarification environnementale, budgets verts à l’échelle locale, ou encore le rôle stratégique des obligations vertes. L’enjeu est d’orienter progressivement les flux financiers vers des modèles compatibles avec les limites écologiques et les besoins, économiques et sociaux, des territoires méditerranéens.
Quels sont les financements que vous jugez nuisibles au développement durable ?
C. T. : En Méditerranée, de nombreuses subventions publiques entretiennent des modèles économiques peu durables. C’est le cas dans la pêche, où des aides comme les subventions au carburant ou à la construction de navires contribuent à la surexploitation des stocks, au détriment de la biodiversité marine. Environ 60 % des aides dans ce secteur sont considérées comme nuisibles à l’échelle mondiale.
Le pétrole reste la source d’énergie la plus subventionnée, avec une croissance notable des aides au gaz naturel.
Le secteur de l’énergie concentre également un grand nombre de financements problématiques. Les subventions aux combustibles fossiles – qu’il s’agisse de transferts directs, d’exonérations fiscales ou de prix garantis – freinent la transition énergétique et alimentent la pollution de l’air ainsi que les émissions de gaz à effet de serre. Nos analyses sur huit pays méditerranéens montrent que le pétrole reste la source d’énergie la plus subventionnée, avec une croissance notable des aides au gaz naturel. De telles subventions freinent la transition énergétique et présentent aussi des effets sociaux pervers, comme une réduction de l’emploi féminin dans certains pays.
Autre exemple, la gestion de l’eau. Dans un contexte marqué par la raréfaction des ressources et un stress hydrique croissant, certaines subventions peuvent freiner l’adoption de pratiques durables. De manière générale, il ne s’agit pas de supprimer toutes les aides, mais de mieux les cibler. Certaines subventions peuvent devenir positives si elles soutiennent la transition, accompagnent les plus vulnérables ou renforcent la résilience écologique.
Quels outils pourraient, selon vous, faire de la finance verte une véritable pierre angulaire des politiques régionales ?
R. D. : Il est crucial d’accélérer l’intégration de la durabilité dans les outils budgétaires et financiers existants. Des instruments comme les budgets verts, la taxation environnementale et les obligations vertes sont déjà des leviers efficaces pour réorienter les flux financiers vers des projets durables. La taxation environnementale, en particulier, permet de mieux refléter le coût réel des externalités environnementales, incitant ainsi les entreprises et les citoyens à adopter des comportements plus responsables.
Cependant, au-delà des instruments financiers, il est essentiel d’adopter une logique de cohérence et d’impact systématique. Cela implique que les critères environnementaux soient mieux intégrés dans l’attribution des financements publics, en veillant à ce que les fonds publics soutiennent des projets qui contribuent directement à la transition écologique.
Plan Bleu : Pour une taxonomie des activités vertes et durables en Méditerranée…
Dans cette optique, nous avons lancé des réflexions sur une taxonomie des activités vertes et durables pour la Méditerranée. Un tel cadre permettra de mieux orienter les investissements verts et de garantir leur efficacité. La mise en place d’une telle taxonomie s’inscrit dans les dynamiques européennes, tout en prenant en compte les priorités et les réalités des pays méditerranéens.
Bien que ce processus prenne du temps et que nous visons une concrétisation à l’horizon 2035, il s’agit d’un levier clé pour attirer des investissements durables à long terme et pour aligner les financements avec les objectifs de développement durable de la région. Nous continuerons à mener ce travail, à la fois sur le plan politique et en matière de recherche, pour bâtir une Méditerranée plus durable pour les années à venir.
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