« Les Arlésiens choisissent Clergue. » C’est un hommage, passé un peu inaperçu, mais qu’il ne faut surtout pas rater. Le Musée Réattu d’Arles propose, jusqu’au 30 mars, une sélection d’oeuvres du célèbre photographe, enfant du pays, Lucien Clergue.
L’initiative, parmi d’autres, prise à l’occasion des dix ans de la disparition du créateur des Rencontres de la photographie, offre un aperçu sélectif du travail de l’artiste où se mêlent les photos de nues, souvent sur le sable, les traditions tauromachiques ou gitanes, des portraits posés ou pris sur le vif. La Camargue et Arles sont partout ici, saisies dans la précision de l’oeil de Lucien Clergue.
Ces témoignages ne sont pas ici par hasard. Réattu a donné carte blanche à des Arlésiens pour choisir une photo et d’expliquer leur choix à travers un cours texte présenté à côté de l’oeuvre (voir plus bas les choix de Charlotte Yonnet et d’Andy Neyrotti.)
La vingtaine de personnalités, arlésiennes de naissance ou d’attache, issues du monde de la culture ou du commerce, artistes ou artisans, a ainsi accepté de répondre à une question simple : « Si vous ne deviez retenir qu’une seule image dans l’œuvre de Lucien Clergue, laquelle serait-elle ? »
La sélection constituée propose un parcours riche, qui va d’un iconique portrait de Pablo Picasso à la non moins emblématique femme nue zébrée, en passant par des images moins connues mais tout aussi magnifiques, à commencer par ce portrait de l’actrice Romy Schneider en avril 1971 dans les arênes d’Arles.
Lucien Clergue est ici chez lui tant il a oeuvré pour l’émergence de la photo au Musée Réattu (lire ci-desssous) comme dans toute la ville. Les Arlésiens le lui rendent bien.
1965 : à Réattu, la 1ère collection photographique en France dans un musée des beaux-arts
« Sur l’exemple des collections qui se montent alors aux Etats-Unis, le photographe Lucien Clergue, décidé à dédier sa ville natale à la photographie, propose à son ami Jean-Maurice Rouquette, conservateur du musée Réattu, d’y créer un tout nouveau département. C’est ainsi que le 28 mai 1965 commence, quasiment sans moyens, l’aventure de cette collection, la première du genre dans un musée des beaux-arts, à laquelle vont contribuer avec une générosité inouïe les plus grands photographes et quelques collectionneurs visionnaires. Entre 1965 et 1969, sur les cahiers d’inventaire du musée, s’inscrivent les noms d’Ansel Adams, Richard Avedon, Cecil Beaton, Brassaï, Denis Brihat, Jean Dieuzaide, Robert Doisneau, Lucien Hervé, Izis, William Klein, Man Ray, Paul Strand, Jean-Pierre Sudre, André Vigneau, Edward Weston… pour n’en citer que quelques-uns : au total plus de 400 œuvres. Aux côtés des photographes donateurs, deux collectionneurs enrichissent cette première moisson de quelques-unes des icônes de l’histoire de la photographie : Hélène Cingria, journaliste, fait entrer dans la collection de grands moments de la photographie des années 30, avec notamment Frantisek Kollar, Germaine Krull, Dora Maar ou Emmanuel Sougez…Jerome Hill, peintre, cinéaste et mécène, offre trente-six chefs d’œuvres d’Edward Weston, dont plusieurs vintages de la fin des années 20. (…) Cette place nouvelle accordée à la photographie a profondément transformé l’identité culturelle de la ville d’Arles avec la création des Rencontres en 1970 et l’implantation de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie en 1982 : aujourd’hui, pour le monde entier, Arles est la ville de la photographie ! » Source : Musée Réattu
Photos de Lucien Clergue : les choix expliqués de Charlotte Yonnet et d’Andy Neyrotti
« Un exemple de beauté naturelle, de simplicité, de féminité, de mise en valeur de la femme »
« J’ai grandi avec cette photo accrochée au mur de chez ma grand-mère. Elle avait été offerte et dédicacée par le photographe à son modèle : ma maman. Je suis tellement fière qu’elle ait été un des modèles de Lucien Clergue. Cette photo a toujours été pour moi un exemple de beauté naturelle, de simplicité, de féminité, de mise en valeur de la femme… Je ressens de la force et de la douceur en regardant cette image, une présence et une personnalité qui ne peut pas laisser indifférent. » Charlotte Yonnet, éleveuse de taureaux de combat en Camargue, gérante de la ganaderia Yonnet.
Cocteau disait que Clergue était « le seul à avoir assisté à la naissance d’Aphrodite »
« Je suis arrivé à Arles le 28 avril 2008, engagé pour monter l’exposition « Musée Réattu, Christian Lacroix » puis pour en assurer la médiation culturelle. C’était là mon premier emploi qui avait un rapport avec mes études d’histoire de l’art… Études qui ne m’avaient en rien préparé à ce que j’allais devoir expliquer aux visiteurs pendant huit mois : l’œuvre de Jacques Réattu (visible-ment inconnue de mes professeurs), la haute couture de Christian Lacroix, l’art actuel et son cortège de noms à apprendre et, surtout, beaucoup de photographies. Autant le dire d’emblée : je n’avais jamais entendu parler, à cette époque, de Lucien Clergue. Or, M. Lacroix avait sélectionné plusieurs de ses images, placées à des endroits stratégiques… C’était donc quelqu’un d’important. Parmi les photographies exposées, un nu m’avait particulièrement interpellé. Pas de tête, de bras, de jambes. Juste un buste et des cuisses, avec au centre la masse noire de la toison pubienne, autour de laquelle se noue un drapé d’eau. Le sexe y agit comme un vortex, qui engloutit autant l’eau que la lumière. J’allais comprendre, au fil de mes recherches, à quel point cette vision du nu féminin était originale, même si elle se nourrissait de l’influence de Picasso (j’apprendrai en même temps l’amitié qui liait le peintre et le photographe), des Vénus antiques – Cocteau disait que Clergue était « le seul à avoir assisté à la naissance d’Aphrodite » – et des nus d’un autre photographe, Edward Weston, pour lequel Lucien vouait une admiration sans bornes. Six ans plus tard, j’aurai la chance de fréquenter Lucien et de travailler avec lui sur sa rétrospective au musée… » Andy Neyrotti Responsable du pôle conservation, Musée Réattu
Le détour par le superbe Musée Réattu est aussi l’occasion jusqu’à fin mars de profiter de l’autre exposition temporaire, avec un accrochage des collections liées aux acquisitions des années 40 à 60 sous l’impulsion du dynamique conservateur Jacques Latour puis l’énergie de son successeur, Jean-Maurice Rouquette. Une période riche où l’art moderne fait son entrée dans le magnifique palais du bord du Rhône. Une exposition qui permet « de traverser, à l’échelle arlésienne, différents courants de l’histoire de l’art des années 1920 à 1960, du néo-impressionnisme au cubisme en passant par le surréalisme et l’abstraction. » On y croise entre autres des Brassaï, Picasso, Cesar, Léger et autre Baya. Excusez du peu.
Liens utiles :
Le site du Musée Réattu avec les informations pratiques
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