La Marseillaise n’a fait aucun crédit cette semaine à la maire des 6e et 8e arrondissements. En révélant qu’Olivia Fortin et ses équipes avaient engagé plus de 20 000 euros pour une manifestation, le quotidien de gauche fait mouche. La somme qui a été nécessaire pour organiser, au stade Vélodrome, la traditionnelle cérémonie des vœux n’est pas exceptionnelle, elle est malvenue.
L’édile avait choisi, cela ne s’invente pas, le « salon des Légendes » pour faire le bilan de son mandat et annoncer à ses administrés des lendemains prometteurs. Malheureusement la réalité, renforçant l’affliction, est venue rappeler à l’élue et ses collaborateurs que les temps étaient durs pour notre pays et particulièrement pour la ville. Un buffet géant – on parle de 700 convives – ne peut faire oublier que pour nombre de Marseillais les réfrigérateurs sont quasi vides et les congélateurs réduits à des banquises désertes. Pire coïncidence, à quelques pas du fameux salon et de ces agapes, un grand magasin les Galeries Lafayette s’apprête à fermer boutique.
Un zoom arrière révèle par ailleurs que la situation sociale de la deuxième ville de France est plus que préoccupante. L’observatoire des inégalités a révélé en décembre dernier que Marseille comptait plus de 200 000 personnes (pour plus de 870 000 habitants) en situation de grande précarité. Sur seize arrondissements, dix affichaient un taux de pauvreté supérieur à 20% et plus encore trois au-dessus de 40%. La pauvreté c’est moins de 1 000 euros par mois, 1 500 pour un couple et 2 500 pour un couple et deux enfants. Ce sont donc dix mois de revenus d’une famille qui ont été engloutis en quelques heures pour des vœux que l’on qualifiera de pas très pieux.
Soyons justes Mme Fortin et son équipe ne sont pas les seuls en ces temps incertains à avoir sacrifié à cette dispendieuse tradition. Il y a fort à parier que l’addition fut plus salée encore (ou sucrée) dans d’autres secteurs ou collectivités territoriales. Mais l’article de La Marseillaise qui pourrait paraître anodin vient souligner à raison l’achoppement terrible entre un art de vivre (ou de savoir-vivre) politique et la réalité économique et sociale de la ville.
Côté conjoncture, aux quelques insouciants qui se gausseraient de promesses fragiles, l’actualité du centre-ville est venue décrire cruellement au cours dernières semaines la pente dangereuse sur laquelle Marseille est engagée. Deux phares commerciaux, les Galeries Lafayette du Prado et du Centre Bourse ont ainsi annoncé leur fin de règne, laissant sur le carreau 145 employés. Ces derniers le pressentaient depuis des années et le disaient à qui voulaient bien les écouter ou, à défaut, les entendre. La mort de leur outil de travail était prévisible. Si le grand magasin riverain du stade vélodrome n’a jamais, malgré sa belle architecture de vaisseau de verre, trouvé son rythme de croisière et une clientèle à embarquer, celui qui s’était imposé à l’épicentre du Marseille antique, disait, au-delà de sa longue histoire, la trajectoire d’un irrémédiable déclin.
Le Centre Bourse, phare des Trentes glorieuses
Le Centre Bourse s’est imposé comme une évidence à la fin de ce qu’on désigne par « les trente glorieuses », ces années d’après-guerre où la France s’est redressée et a prospéré. Il était, lors de son inauguration en 1977, la parfaite synthèse qu’avaient appelé de leurs vœux ses concepteurs au premier rang desquels le maire, Gaston Defferre. Au pied des quatre tours Labourdette (achevées en 1960) et au confluent des quartiers populaires du Panier et de Belsunce, il proposait une agora où s’opèrerait en douceur le brassage de populations disparates. Peu à peu s’imposaient des enseignes de prestiges (Galerie Lafayette et Fnac) des échoppes de belles tenues, des services attendus dans divers domaines dont celui de la restauration. Les décennies passaient et malgré un turn-over incessant de petits commerces, le Centre Bourse résistait peu ou prou. Il s’était imposé comme le point de ralliement d’une clientèle captive comme celle des croisiéristes ou la halte obligée pour les nombreux salariés qui s’ébrouent tout autour du palais de justice à la faculté d’Economie en passant par la poste et enfin de quelques retraités riverains.
Mais, inexorablement, on voyait s’étioler ce carrefour de la chalandise malgré quelques tentatives ratées d’expansion ou des rénovations du bâti plutôt réussies. Un des promoteurs de la dernière renaissance architecturale confiait encore en 2014 son ambition : « On voulait créer un bâtiment qui allait flasher en centre-ville. »
Mais l’émergence, également en 2014, des Terrasses du Port et leur indéniable succès, ont sonné le glas des espérances de ceux qui voulaient voir perdurer cette singularité marseillaise : un lieu où les couches sociales pouvaient coexister malgré les antagonismes qui émergent d’une élection à l’autre. Depuis 2015 où le centre enregistrait encore huit millions de visiteurs, l’hémorragie de la fréquentation n’a jamais cessé. Aujourd’hui le centre est quasiment, à deux pas des vestiges qui inscrivent la ville dans une histoire de plus de 2600 ans, un champ de ruines. 30% des magasins sont vacants et les trompes l’œil qui tiennent lieu de vitrine n’arrivent pas à masquer le désastre annoncé, même si l’opérateur gestionnaire du centre, Klépierre, dément ce déclin.
Quelques perspectives tentent de redonner du cœur à l’ouvrage à ceux qui s’entêtent à construire un avenir pour l’hypercentre. Elles ne semblent pas prévoir pour autant un avenir commercial pour ce qui fut un temple marchand. Ainsi Jean-Luc Chauvin, président de la puissante Chambre de Commerce et d’Industrie plaide pour qu’on imagine une véritable révolution pour sauver cet espace. Il y verrait, notamment dans le souci de préserver partie des deniers publics, la cité judiciaire que l’ancien Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, imaginait dans le périmètre euroméditerranéen. La présidente de la Métropole Martine Vassal saisirait peut-être ainsi l’opportunité d’investir plus rapidement par son administration l’actuel palais de Justice, place Monthyon. Ces projections induisent-elles pour autant que ce quartier retrouve la vitalité qui fut la sienne quarante ans durant ? Rien n’est moins sûr comme en témoigne l’implantation d’établissements universitaires sur la Canebière ou au sein de Belsunce qui n’ont jamais généré une animation avérée.
Reste donc à nos élus à inventer une ville qui prend en compte ses forces et ses faiblesses. Un certain François Bayrou a déclaré il y a longtemps : « Les vrais ennemis, ce sont le chômage, l’échec de l’éducation, l’exclusion, la pauvreté, les fins de mois difficile, l’inquiétude et le souci des familles. ». A Marseille on est obligé de le croire. Car passées les cérémonies des bons vœux ce sont toujours les mêmes qui trinquent.