Il n’aura pas de Molière. Pourtant sa manière de faire du théâtre est rodée. Il s’approche d’un client attablé à une terrasse ensoleillée du centre-ville. Présente prestement une carte sensée attester de son identité. « Je suis actuellement aux Baumettes, en semi-liberté ! ». Pas le temps de vérifier que l’homme ouvre un sac en plastique et montre un médicament : « Je dois le prendre, mais il faut que je mange, donnez-moi un euro pour que j’achète un pain au chocolat ». Le client se lève et l’invite à le suivre au bar. Pas de « chocolatine » comme on dit dans le sud-ouest. Deux madeleines feront l’affaire. « Non donnez-moi l’argent ! » insiste le demi-pensionnaire des Baumettes. Il devra se contenter des gourmandises que lui tend son charitable interlocuteur. Il déguerpit alors en oubliant l’urgence de se soigner et jette un dernier regard, aussi dépité que chargé d’une colère sourde, à celui qui lui a tendu la main. N’est pas comédien qui veut.
Du coup, cette saynète datant de quelques jours nous rappelle que la droite républicaine et le Rassemblement National se sont récemment insurgés contre une perspective présentée par l’administration pénitentiaire à Marseille. Les deux formations politiques ont tenté de faire prospérer une polémique à propos du projet de construire une salle de théâtre dans l’extension programmée de l’actuel centre pénitentiaire du chemin de Morgiou.
L’immense Louis Jouvet, il y a plusieurs décennies déjà, répondait par avance à ceux qui comme ces élus marseillais estiment que cet artisanat n’était pas vital… aux Baumettes et ailleurs : « Rien de plus futile, de plus faux, de plus vain, rien de plus nécessaire que le théâtre. ».
Passons, mais notons cette propension quasi pavlovienne pour partie de notre gent politique à se saisir des thèmes qu’elle croit, à court ou moyen terme, porteurs et électoralement féconds. Parce qu’elle spécule volontiers sur les réactions de l’opinion publique, en oubliant cette prévention de l’écrivain Julien Green : « l’opinion publique, c’est la sottise en action ». De fait Renaud Muselier, le président de la Région Sud aurait dû lire l’auteur de Léviathan, avant de déclarer lors de l’arrivée de la flamme olympique, portée par le Belem jusqu’au Vieux-Port, qu’un certain Jul avait « un peu gâché la fête ». Il ne fut alors suivi que par les grincheux professionnels, qui du reste en remirent une couche, quelques jours plus tard, en vilipendant le pharaonique spectacle mis en Seine par Thomas Joly et applaudi par 24 millions de téléspectateurs.
Jul, César du rap marseillais et sa trentaine d’albums, a continué, malgré les critiques isolées de Muselier et quelques autres, à entretenir la flamme de ses millions de followers, jusqu’à battre un record au stade de France avec 97 000 spectateurs. De quoi revoir Martine Vassal et Stéphane Ravier s’escrimer à singer à deux mains, la légendaire signature du rappeur. Jull sera donc et quoiqu’en disent ses détracteurs, « à jamais le premier » à avoir ainsi rempli l’enceinte de Saint Denis. Pas mal pour le supporter numéro 1 de l’OM. On souhaite aux Jeux Olympiques d’Hiver de 2030 dans les Alpes, soutenus par la Région Sud, une aussi belle réussite.
La leçon de cette fable contemporaine s’impose : on n’est jamais trop prudent avant de suivre l’opinion car elle est souvent à géométrie variable. D’autres exemples attestent néanmoins que nos politiques de la comedia del arte marseillaise ne sont pas prêts à s’amender.
Ainsi en va-t-il du drame que l’on a nommé de manière inutilement provocatrice la « salle de shoot ». Ces « haltes soins addictions » sont actuellement expérimentées, jusqu’à la fin de 2025, à Paris et Strasbourg, où des locaux ont pu leur être affectés, mais pas à Marseille. Les efforts conjugués du docteur Michèle Rubirola pour la municipalité, de la Préfecture, de l’Agence régionale de Santé, du Tribunal Judiciaire de Marseille, de l’AP-HM, et de l’association ASUD Mars Say Yeah, se sont heurtés à une véritable bataille d’Hernani (*) dans les arrondissements qui étaient visés par cette implantation. Les opposants qui regroupaient des élus, du centre au RN, sont allés, là encore, dans le sens du poil de la vindicte populaire. Celle qui estime qu’il est urgent de faire quelque chose pour les 1500 à 2000 toxicomanes qui se piquent au coin de tant de rues, à condition qu’on ne lui impose pas la proximité d’un local dédié à cette urgence de soins.
On se contentera donc de barricader ce qui peut l’être encore, comme le parking de la gare Saint Charles, ou plus récemment celui de la place de Gaulle. Et on épiloguera à longueur de pages et d’antennes sur les méfaits des narcotrafiquants ou les commentaires autosatisfaits du duo Darmanin-Retailleau. Et tant pis pour ces morts vivants qui divaguent souillés, malades, vaincus, sur les quais du métro, dans l’ombre des portes cochères ou au pied des monuments. On s’en écartera avec dégout en attendant que l’ordre règne dans la ville.
Pourtant ce ne sera pas faute d’avoir été prévenu par le procureur Nicolas Bessone parlant encore cette semaine « d’un capitalisme criminel du plus bestial » qui n’a cure des victimes de plus en plus nombreuses que son activité lucrative et hors la loi engendre. Rideau, la guerre de la prévention n’aura pas lieu à Marseille. Et dans ce théâtre d’ombres on ne trouvera pas de personnage en quête de hauteur.
Il s’en est trouvé un cependant pour asséner trois coups aux Tartuffe qui siègent dans nos différentes assemblées territoriales. Le maire de Marseille, Benoît Payan, s’en est pris avec une fermeté qui a surpris, à ceux qui font montre « d’une obsession absolue des musulmans. » « Je n’accepte pas et je n’accepterai plus, a-t-il martelé shakespearien, que ce conseil municipal se transforme en tribunal accusatoire des musulmans ». Après ce « j’accuse » aussi inattendu que théâtral, il a annoncé qu’il aurait recours désormais à un avocat pour désigner à la justice ceux qui, à ses yeux, manifesteraient une quelconque « islamophobie ». Là encore on mesure, contrairement à l’adage, qu’il y a très loin entre le Capitole et la roche Tarpéienne. On ne s’attardera pas sur la bataille sémantique dans laquelle, les Insoumis notamment, se sont engouffrés autour du terme « islamophobie », mais force est de constater que beaucoup ignorent la nuance entre « islamistes » et « musulmans ». Beaucoup, la plupart simplement racistes, se réfugient sans vergogne derrière le drapeau de la laïcité, qu’ils replient cependant soigneusement lorsque le catholicisme est au cœur de scandales vaticanesques ou béarnais.
Ainsi va le théâtre politique phocéen. Le Marseillais Edmond Rostand, grand dramaturge, disait que « c’est la nuit qu’il est beau de croire à la lumière. » Ne pas s’endormir donc !
(*) La bataille d’Hernani c’est la polémique qui enflamma en 1830 les représentations de la pièce de Victor Hugo… Hernani.