Architecte et urbaniste, Corinne Vezzoni dirige l’agence qui porte son nom depuis 2000, en compagnie de ses associés Pascal Laporte et Maxime Claude. Récemment lauréate d’un projet de réaménagement du quartier Flaubert au Havre, elle livre pour Gomet’ sa vision de la ville durable. Entretien paru dans le supplément du Digest hebdo Villes Durables & climat de Gomet’ premium le 20 janvier 2020.
Vous venez d’être lauréate de la compétition « Réinventer Le Havre », que pouvez-vous nous dire de ce projet ?
Corinne Vezzoni : Les élus du Havre sont engagés et c’est enthousiasmant. Ils ont une vraie foi en leur territoire et une vraie aménité vis-à-vis de la population. On gère le quartier Flaubert qui est entre la ville haute et la ville basse. Je souhaite conserver une référence à l’histoire de ce quartier très fragmenté et retisser un lien entre les différentes parties de la ville. Je propose également d’encourager à ignorer la voiture et à retrouver un rapport à l’espace naturel et à la marche. Dans tous mes projets, je lutte contre l’artificialisation des sols. Je propose des aménagements poreux et je milite pour une superposition des usages plutôt qu’un étalement pour éviter de consommer démesurément notre territoire. L’autre grand sujet est d’offrir des logements accessibles à tous les budgets et à tous les âges de la vie. Nous développons des solutions de logements évolutifs et sécables. Certains, bien plus économiques, sont livrés bruts, d’autres peuvent se fractionner selon les périodes de la vie et enfin, des espaces (salle de réception, chambre ou studio) sont partagés à l’ensemble des habitants. Tout contribue à encourager la rencontre de l’autre à travers les espaces collectifs. Au Havre, on a poussé plus loin la question du réemploi des matériaux locaux. Pour les nouveaux bâtiments nous allons utiliser de la terre du site pour en faire des murs intérieurs en terre crue. On fait avec ce que le lieu nous apporte. Un funiculaire relie les quartiers entre eux.
Je crois profondément à l’espace public qui permet la rencontre de l’autre et le vivre ensemble.
Corinne Vezzoni
Votre conception de la ville durable a-t-elle évolué avec le temps ?
C.V. : Comme dans le cas des Archives Départementales (à Marseille dans le 3e arrondissement, NDLR), qui a été l’un de mes premiers projets, économiser des terres a été une constante dans mon travail, car la ville et le sol ne sont pas extensibles. Il y a des choses qui ont évolué : c’est la montée, de plus en plus forte, de l’écologie. Je suis sûre que cela va changer les choses dans l’avenir. Dans le cas des Archives, nous avions réfléchi à ce qu’on pouvait apporter au quartier au-delà du programme premier. On nous imposait de construire sur deux terrains et nous avons proposé d’en libérer un pour offrir un square à ce quartier de logements qui, à l’époque, ne possédait aucun parc. Je crois profondément à l’espace public qui permet la rencontre de l’autre et le vivre ensemble.
L’immeuble Thémis, dans le quartier des Batignolles à Paris, est l’une de vos réalisations les plus emblématiques. En quoi ce bâtiment incarne-t-il la ville durable de demain ?
Corinne Vezzoni. : L’immeuble Thémis nous a permis de gagner le Grand prix du Ministère de l’écologie. C’est le premier bâtiment de bureau qui a obtenu le label E+C- (énergie + carbone -). On est allés jusqu’au bout de la démarche pour trouver des matériaux bio-sourcés, économes en énergie aussi bien dans leur extraction de départ que dans leur durée de vie. On a obtenu une performance énergétique extrêmement importante, avec des systèmes de protection thermique et une structure porteuse en bois assez innovante. L’extérieur est constitué d’un rideau végétal au sud pour protéger du soleil l’été, tandis qu’au nord on a une double-façade de verre qui agit comme un tampon thermique. Ainsi, le bâtiment ne consomme rien en énergie. Une boucle d’eau vient puiser dans la nappe phréatique et permet de tempérer le bâtiment.