La crise, quelle crise ? Après l’indispensable gestion du sanitaire, l’économie redevient centrale. Pour éclairer nos réflexions, Gomet’ multiplie les entretiens et les débats. Après Alain Trannoy, Raouf Boucekkine sur l’Algérie, Bruno Ventelou pour l’économie de la santé ou encore avec Denis Ferrand, nous donnons la parole aujourd’hui à Dominique Henriet
Economiste, ancien directeur adjoint de l’École centrale de Marseille, docteur en mathématiques appliquées à Dauphine, ancien élève de l’École polytechnique (X78) et de l’ENSAE Paris Tech, il est un spécialiste de l’économie publique. Il a travaillé au CNET pour France télécom, il a enseigné à l’X, à l’ENSAE Paris Tech et a été doyen de la Faculté de sciences économiques de Marseille. En 2004, il rejoint l’équipe en charge de la création de l’École centrale de Marseille, y est nommé professeur et devient directeur adjoint. Il développe une vision de l’ingénieur capable de « modéliser des situations complexes, en ayant recours à un spectre large de connaissances issues des sciences, y compris des sciences sociales » dont l’économie.
On parle « crise de 29 », de « grippe espagnole », de « guerre », quelle est selon vous la nature de la crise actuelle ?
Dominique Henriet : Cette crise est complètement inédite, on pourrait peut-être la comparer à une pandémie du Moyen Âge ! La crise de 29 était une crise financière, une crise de confiance, la grippe espagnole pourrait y ressembler, mais il n’y avait pas eu de confinement. Cette crise pourrait rappeler les effets d’une guerre à la différence fondamentale qu’il n’y a pas de perte en capital, de destruction massive du capital productif. Cette crise est donc inédite avec un arrêt partiel, délibéré de l’économie. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, car le moteur reste globalement intact, on est à l’arrêt, on ralentit, mais le moteur n’est pas dégradé. Il n’y a pas d’effets irréversibles, si rien ne se grippe. De plus, on a bloqué l’économie, mais pas partout : le nécessaire, le vital continuent à fonctionner.
Mais on parle d’une baisse de 8 % du PIB…
On le voit aux États Unis où il n’y a pas de mécanisme de répartition de l’effort : les USA reviennent aux recettes de 1929, aux soupes populaires, au caritatif.
Dominique Henriet
Dominique Henriet : Rien ne se perd, rien ne se crée, il y aura 8% de perte de pouvoir d’achat. Le problème est la répartition de ces 8 % entre les ménages. Macroscopiquement, on a 8 % de ralentissement, on baisse de 8 % la consommation en moyenne. Mais le problème fondamental est que ce ralentissement ne touche pas tout le monde de la même façon. On le voit aux États Unis où il n’y a pas de mécanisme de répartition de l’effort : les USA reviennent aux recettes de 1929, aux soupes populaires, au caritatif. Il y a un risque que les inégalités amplifient la crise et augmentent en fait la mortalité due à la misère sociale. Le problème fondamental est un problème de « redistribution ». Sans redistribution, certains perdent beaucoup d’une part (ce qui est un problème d’équité), mais aussi apparaissent des irréversibilités, des coûts supplémentaires (ce qui est un problème d’efficacité). D’une certaine manière, l’amortissement devrait relever de mécanismes d’assurance ou de solidarité, au même titre qu’une calamité naturelle touche un secteur ou une région plus que d’autres.
Le propre de la situation, c’est que nous sommes dans une crise administrée, ce sont les décisions publiques d’origine sanitaire, mais publiques, qui influent sur la crise, c’est inédit…
Dominique Henriet : Les Européens ont cru au début qu’en laissant l’économie tourner, ils arriveraient à gérer la crise avec une immunité collective. Mais on a vite constaté qu’avec une économie en marche, il y avait une surmortalité insupportable. La meilleure stratégie semble être celle des Allemands avec dépistage, isolement et mise en quarantaine qui casse les chaînes de contamination. Ils sont meilleurs du point de vue sanitaire et ils pourront faire repartir leur économie plus vite que nous.