« Marseille, tais-toi Marseille, tu cries trop fort… » Barbara n’est plus là pour conjurer la ville d’accepter un bémol et mieux se faire entendre. Et les René Malleville, Karim Zéribi, Samia Ghali et autres Didier Raoult ne sont pas prêts à s’éclipser, tant qu’ils auront table et micros ouverts chez les Morandini, Hanouna et autres Grandes Gueules. Jamais Marseille ne s’était aussi bien portée dans la France du buzz, des réseaux sociaux et des messages en 280 signes. Sa santé est pourtant préoccupante.
André Gide, qui était un pervers revendiqué, pointait ainsi l’amitié particulière entre Marcel de Coppet (administrateur colonial) et Roger Martin du Gard (prix Nobel de littérature) : « à force de se taire ils finirent par s’entendre ». L’aphorisme n’est pas encore valable pour la cité phocéenne pourtant si malmenée par le sort. Pas plus que pour son opulente voisine, Aix-en-Provence, qui se tient loin de la mer et de la bonne mère.
La Grecque et la Romaine ont pourtant, depuis le début de cet encore nouveau siècle, une propension à hurler plus fort que leur ombre
La Grecque et la Romaine ont pourtant, depuis le début de cet encore nouveau siècle, une propension à hurler plus fort que leur ombre. Singulièrement cela ne les rapproche pas et les péripéties à venir devraient creuser l’écart. Car si Marseille a son chœur de bateleurs, Aix a sa diva d’estrade. Maryse Joissains que Jean-Claude Gaudin, extrait comme elle d’un milieu populaire, appelait pourtant avec quelque sarcasme « la dame d’Aix ». La toute nouvelle municipalité de Marseille, née d’une improbable union des gauches locales, ne peut ignorer qu’un vent hostile va souffler du nord de la Métropole où les élus aixois, profitant du naufrage de Martine Vassal, occupent désormais des places de choix. A commencer par le poste de 1er vice-président occupé par le très libéral professeur Gérard Bramoullé. Ce fidèle parmi les fidèles de « Maryse » est chargé de la « stratégie budgétaire, du contrôle de gestion et de la contractualisation avec l’Etat et les collectivités » dans la gouvernance de l’assemblée métropolitaine. On peut compter sur cet ami indéfectible d’Alain Madelin (trois fois ministres) pour veiller à contenir les folles espérances de Michèle Rubirola, qui ne peut sérieusement entreprendre, sans les aides additionnées du Conseil départemental et de la Métropole. Or cette dernière assure quelques fonctions stratégiques vitales : transport, développement économique et aménagement de l’espace métropolitain. Si l’on ne prend que la première, c’est une partie des fondations sur lesquelles repose le projet que porte le Printemps Marseillais ; pour mettre fin à l’apartheid social et économique qui gangrène Marseille, muscler l’économie du centre-ville, répondre à l’urgence environnementale. Il serait étonnant que Mme Vassal et ses alliés aixois tendent la main à ceux qui ont bousculé la droite aux municipales et plus récemment aux sénatoriales.
Les rendez-vous judiciaires à venir ne feront sans doute qu’aggraver les choses. Mme Joissains devrait être fixée sur son sort le 19 octobre prochain. La cour d’appel de Montpellier pourrait confirmer sa peine d’inéligibilité et mettre fin, dans sa 78e année, à un parcours politique aussi chaotique qu’inédit. Pour autant, imprudent serait celui qui verrait dans cette funeste perspective, la fin du clan Joissains. Dans un récit autobiographique, « Sang et or », Alain et Maryse Joissains racontaient comment, selon eux, ils avaient été victimes de Gaston Defferre, alors ministre de l’Intérieur.
La maire d’Aix confie toujours, à l’envi, la façon « ignoble » par laquelle son époux, maire en 1983, a succombé aux assauts conjugués des magistrats et du maire socialiste de Marseille. Ses origines corses (« Masini » par sa mère) ont toujours exacerbé la conviction qu’un complot et non les faits délictueux reprochés – des entreprises liées à la mairie chargées des travaux de la villa du père de Mme Joissains – avait précipité la chute de son époux et entraîné le suicide de son père. Séparés, les deux font toujours la paire, et mieux, un tiercé gagnant, puisque la fille Sophie s’est engagée sur les traces de ses parents. Même si elle le dément encore, il y a fort à parier qu’elle succèdera à sa mère, si celle-ci n’est plus maire.
La métropole compte 1,8 million d’habitants. Marseille et sa proche périphérie, 1,2. Mais cette arithmétique pèsera peu
Cinquième vice-présidente de la Métropole et chargée de la réforme métropolitaine, elle aura à cœur – dans un style certes plus policé – d’offrir un continuum à une famille dont la seule maison est l’arène politique. Là encore, Marseille n’a pas à attendre de compassion ni de gestes en sa faveur. La métropole compte 1,8 million d’habitants. Marseille et sa proche périphérie, 1,2. Mais cette arithmétique pèsera peu, gageons-le, face aux désormais poids lourds aixois, à qui Mme Vassal a beaucoup donné. La cité du Roi René n’en voudra pas aux Joissains, s’ils contrarient les ambitions marseillaises. Dans les bastides ou les quartiers silencieux et opulents d’Aix, on n’aime pas les braillards du Vieux-Port. Le « vivre ensemble » n’est pas encore inscrit à l’ordre du jour des travaux métropolitains.
Après avoir tenu durant trois ans, chaque dimanche, son bloc notes d’actualités intitulé « Soit dit en passant », le journaliste Hervé Nedelec revient dans les colonnes de Gomet’. Il nous fait part cette fois de son humeur de la semaine à travers son éditorial du dimanche. Bonne lecture à tous et bon dimanche !