Eric Berton, le président d’Aix-Marseille Université entame mardi 9 janvier un second mandat de quatre ans à la présidence de la grande université d’Aix-Marseille. Il revient dans un entretien accordé à Gomet’ sur son bilan et ses prochains objectifs.
Pourquoi avoir choisi de vous présenter pour un nouveau mandat de président d’AMU ?
Eric Berton : D’abord quatre ans, c’est passé très vite. Il y a eu toutes ces crises que nous avons dû gérer. Cela a commencé par le covid, il y a une la crise sociale, climatique et financière. Toutes ces crises ont finalement légitimé le programme très engagé, socialement engagé, que nous avions porté et que nous avons pu mettre en place. Nous ne nous sommes pas laissé déborder par ces épreuves : on a géré les crises et nous avons fait ce que nous avions promis. Le résultat des élections qui ont eu lieu au mois de novembre est à ce titre assez révélateur. Nous avons finalement été mieux élus que la première fois. C’est une approbation et une reconnaissance de la politique sociale menée par AMU.
Quels ont été ces résultats ?
E. B. : L’élection du conseil d’administration qui a eu lieu en novembre et qui élit son président mardi 9 janvier 2024 a en effet été marquée pour un fort soutien à notre projet que ce soit chez les étudiants, les Biatss (personnels des bibliothèques, ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé), les enseignants chercheurs. Nous avons gagné très largement avec 49 élus sur 60.
Concernant les personnalités extérieures, quatre nouvelles têtes entrent au conseil d’administration. Comment les avez-vous choisies ?
E. B. : Vincent Gomez est responsable de l’union régionale de l’Unsa. Il a été proposé par mes partenaires de l’Unsa. C’est quelqu’un de modéré. Frédérique Mattio est proviseure adjointe du lycée Daumier. Jean-Michel Sibué d’A plus Finance et Marie-Laure Guidi de Ioda Consulting représentent les acteurs économiques. Tout ceci est inscrit dans les statuts qui précisent qu’il faut une personnalité représentant les personnels, l’enseignement secondaire et le monde économique (un président et un directeur d’un entreprise de moins de 500 salariés).
Quels sont les enjeux de ce second mandat ?
E.B. : Nous voulons arriver à ce qu’Aix Marseille Université impacte toujours plus son territoire. Nous avons un rôle fondamental et politique à jouer clairement. AMU c’est 80 000 étudiants, 8 000 personnels. Je dis toujours qu’un étudiant peut représenter sept à dix votes… Parce qu’un étudiant a un frère, une sœur…, ses parents, ses grands-parents. Il représente un potentiel important. Et donc pour les élections à venir, les valeurs que portent AMU en matière d’éducation, de tolérance et d’engagement auront un impact. Ce que défend AMU c’est l’accès à la connaissance bien entendu et aussi tous les volets de la politique dans le domaine la RSE.
Eric Berton : « Sur l’égalité femme-homme, AMU est devenue leader en France et mise à l’honneur par l’Europe »
Concernant cette politique RSE, quels sont les objectifs pour votre second mandat ?
E. B. : Cette politique qui a déjà porté ses fruits va être encore amplifiée dans tous ses aspects. Elle sera portée par Jean-Louis Moro. Que ce soit le développement durable et l’écologie, le respect des différences, la lutte contre toutes les discriminations, notamment l’égalité femme-homme, un sujet où AMU est devenue leader en France et mise à l’honneur par l’Europe. Nous sommes la seule université à faire en sorte que nos jurys de recrutement soient formés aux biais implicites de genre. Nous allons également poursuivre les investissements sur la rénovation énergétique des bâtiments.
Justement, vous en êtes où de l’avancement du plan de rénovation prévu dans le cadre du plan de relance de l’Etat ?
E. B. : Les travaux se terminent dans les temps, en particulier le bâtiment de la faculté de pharmacie et celui de St-Charles. Nous n’avons aucun retard. Grâce à l’efficacité de nos services, nous sommes l’une des rares universités à avoir tenu les délais, ce qui nous a permis de profiter pleinement des financements qui étaient conditionnés à l’engagement et l’avancement des travaux.
Quelle est la prochaine étape concernant les bâtiments ?
E. B. : Nous avons le contrat d’avenir avec les soutiens de l’Etat, la Région, la Métropole, la Ville de Marseille et le Département. Nous allons poursuivre les travaux sur St-Charles. Le campus de la Timone est également concerné. Il y a des constructions à côté de l’Hôpital Nord comme Paramed pour les formations para-médicales en plus de de l’achèvement du centre de simulation médicale Simmar.
Et puis, nous avons tout le campus Etoile notamment St-Jérôme avec la rénovation du bâtiment principal pour passer à un campus basse énergie. Nous allons également mettre en place sur tous les sites des maisons de l’étudiant.
Où en êtes-vous de la valorisation de vos bâtiments à la suite de la dévolution, entérinée début 2019, du patrimoine immobilier à AMU ?
E. B. : C’est un chantier. Nous sommes propriétaires de notre immobilier. Pourquoi penser à le valoriser en rénovant certains bâtiments, en les changeant d’affectation ? On peut faire beaucoup de choses. On pourrait vendre des bâtiments même si cela n’est pas d’actualité pour l’instant. Il y a une commission qui va travailler sur la manière de valoriser notre immobilier. Location, vente, accueil de nouveaux services ou formations, pourquoi pas de l’hébergement étudiant en collaboration avec le Crous ? L’objectif est de valoriser les bâtiments au service des étudiants et aussi de faire entrer des ressources supplémentaires.
Le président de la République, Emmanuel Macron, s’est exprimé en décembre, en appelant à passer à une nouvelle étape en matière d’autonomie des universités. Qu’en pensez-vous ?
E. B. : Oui. Et Aix-Marseille Université sera bien sûr dans l’expérimentation. Nous allons avoir des réunions au ministère pour mettre les choses en place. Il faut d’abord connaître quels sont les contours de cette autonomisation accrue des universités, ce que cela signifie d’un point de vue pratique et pragmatique. AMU va être attentif. Nous sommes bien évidemment intéressés pour expérimenter les nouveaux dispositifs qu’Emmanuel Macron a appelé de ses vœux mais pour l’instant peu de détails ont été donnés. Le ministère doit le faire en ce début janvier car le Président a donné 18 mois pour changer le modèle de la recherche en France. C’est ambitieux.
Quels sont les enjeux selon vous ?
E. B. : En terme de recherche, nous sommes déjà assez autonomes car c’est le cœur de notre métier. En terme de formation, on s’aperçoit que l’on a aussi beaucoup de latitude même si cela pourrait encore s’améliorer. C’est surtout en terme de gestion de carrière et de ressources humaines, et pas seulement pour les enseignants mais aussi pour les ingénieurs, les techniciens, les administrations en général, que nous souhaiterions être plus maîtres à bord. Dans ce domaine il y a encore une autonomie à gagner.
Eric Berton : « Il faut arriver à consacrer beaucoup plus d’argent à l’enseignement supérieur public »
Et sur les aspects budgétaires ?
E.B. : Il faut changer de modèle. Nous sommes arrivés au bout. Compte tenu de l’augmentation de nos coûts, notamment énergétiques, mais aussi tout ce que l’on paye sur notre budget et qui est porté par l’Etat, comme l’augmentation des points d’indice, les primes pour le télétravail… Ce sont de bonnes mesures mais c’est directement pris sur notre budget existant sans contreparties. Il y a aussi besoin d’une clarification sur la politique et le lien entre l’enseignement supérieur public dans lequel on nous demande d’accueillir tous les étudiants avec des frais inscriptions peu importants et à côté le développement de l’enseignement supérieur privé qui surfe sur l’angoisse générée par Parcoursup.
Il est important de ne pas augmenter les frais d’inscription. On se doit d’accueillir tous les étudiants. C’est l’honneur de la fonction publique française. J’ai pris d’ailleurs en 2023 des positions fortes sur l’allocation d’études pour chaque étudiant par exemple. Mais il faut arriver à consacrer beaucoup plus d’argent à l’enseignement supérieur public pour que les universités puissent avoir des moyens beaucoup plus importants. La ministre Sylvie Retailleau est sur cette ligne de défense de l’université.
Que dites-vous justement de cette offensive de l’enseignement supérieur privé ?
E. B. : Il y a actuellement de multiples demandes de formation de l’enseignement supérieur privé, notamment sur le territoire. Certaines formations ont un modèle purement économique. C’est embêtant car cela concerne d’abord la formation de la jeunesse. A côté, certains acteurs sont très sérieux et l’on peut discuter avec eux. Il est nécessaire qu’il y ait un travail de tri de la part du ministère entre des écoles internes de grandes entreprises qui sont tout a fait justifiées, des écoles supérieures privées qui sont juste là pour faire du business et des structures qui ont vrai modèle pédagogique. Quand on prend par exemple notre IAE qui propose une formation et des tarifs classiques, son niveau est excellent, aussi bon voire sur certains points, bien meilleur que des écoles de commerce que l’on a sur le territoire. La mode actuellement, ce sont les écoles d’ingénieurs qui veulent se lancer ici. Là aussi il faut faire le tri. Quoi qu’il en soit, les tarifs ne seront pas les mêmes que nos écoles comme Polytech par exemple qui est une excellente école.
Mais AMU ne peut pas répondre à la totalité des besoins sur des métiers en tension.
E. B. Certes, mais la grande question, qui est nationale est la suivante : est-ce que l’on va investir dans l’enseignement supérieur privé pour absorber le flux de bacheliers ou est-ce que l’on va donner plus de moyens à l’université publique ? Je fais évidemment le choix du public car je connais la qualité de nos enseignements et de nos évaluations. Nous, nous sommes évalués par des pairs tous les quatre ans en matière de recherche, de formation et sur la gouvernance. Toutes les formations privées ne sont pas évaluées. Il peut y avoir des dérives. On a vu l’année dernière une école, celle d’Ohayon (écoles privées Campus Academy du groupe de l’homme d’affaires bordelais en redressement judiciaire de Michel Ohayon, NDLR) fermée d’un coup et laisser les étudiants sur le carreau.
Par rapport à la récente loi immigration récemment adoptée et qui a suscité la démission (refusée) de la ministre de l’enseignement supérieur comment réagissez-vous ?
E. B. Nous avons été parmi les premiers avec 15 autres universités à signer une tribune pour dire que la loi n’était pas du tout pertinente pour les étudiants étrangers. L’enseignement supérieur et la recherche, c’est l’accueil international des chercheurs et des étudiants. Naturellement la ministre a proposé sa démission qui a été refusée avec l’assurance que la loi allait être modifiée sur les aspects concernant les étudiants étrangers. C’est plutôt rassurant. L’essentiel de la communauté universitaire est mobilisée.