Il y a quelques semaines, on pointait du doigt une famille à Aix. Aujourd’hui, on désigne un « clan » à Marseille. Notre région aime décidément les tropismes insulaires. Selon la définition un tropisme est notamment « une force obscure qui pousse un groupe à prendre une certaine orientation ». Mais revenons à nos moutons ou plutôt, comme on le dit dans certains métiers autour du Vieux-Port, à nos brebis galeuses.
Le Parquet national financier a clos son enquête préliminaire sur le temps de travail présumé fictif à la mairie de Marseille. Il préconise le renvoi de l’ancien maire, Jean-Claude Gaudin, devant le tribunal correctionnel de Paris « pour détournement de fonds publics par négligence ». La Provence, qui a révélé l’affaire et parcouru les 149 pages de ce rapport accablant, parle d’un inventaire à la Prévert. Hélas il n’y aucune poésie dans les constats des juges, mais plutôt le sentiment que durant deux décennies et cinq mandats municipaux, un petit groupe ou, c’est selon, la garde rapprochée du Premier magistrat de la ville a, sans sourciller, dilapidé les deniers publics d’une des plus pauvres grandes villes d’Europe. Ce samedi, après avoir digéré l’étendue des dégâts, Marseille s’est réveillée avec une classe politique quasiment atone. Les soutiens ou les obligés de l’ancien maire se gardent bien de sortir de leur hibernation et ses adversaires veillent à ce qu’aucune éclaboussure ne vienne souiller leurs habits de premier communiant. Ainsi va la ville.
La nouvelle municipalité ne pourra néanmoins éviter le débat, puisqu’elle a commandé un audit financier qui sera examiné par l’assemblée communale lors du dernier conseil municipal de l’année. Elle a repoussé l’examen de deux autres enquêtes à plus tard. Car après avoir diagnostiqué l’état des finances, elle aura à se pencher sur les « bijoux de famille » légués, c’est-à-dire le patrimoine. Enfin elle devra examiner la gestion du personnel. Si l’on pariait que c’est la question qu’elle souhaite aborder le plus tardivement possible, on décrocherait la timbale. Un des membres importants du « clan Gaudin » entendu par les enquêteurs reconnaissait en parlant de l’organisation du personnel que « l’édifice était un peu branlant ». Il ajoutait que c’était dur d’apporter quelque changement que ce soit sous peine « de risque de conflit voire de persécution par les syndicats ». On se pince pour ne pas en rire.
Tout a une fin, mais en l’occurrence c’est désormais l’épaisseur du récit que nous attendons tous.
Tout a une fin, mais en l’occurrence c’est désormais l’épaisseur du récit que nous attendons tous. D’abord parce que trop longtemps quelques-uns nous ont mis l’eau à la bouche, sans jamais étancher la soif des pauvres cruches que nous étions. C’est ce journaliste, théâtreux à ses heures, qui racontait avoir rencontré un confrère « travaillant » pour la municipalité. Il avait appris que son service avait été supprimé et s’inquiétait de ce qu’il devenait. « Je travaille à la mairie ! » Mais encore osait notre ami, « à la mairie, t’as compris à la mairie ». Des 5 W, chers aux Rouletabille, il en manquerait donc un, « quoi ». L’avenir judiciaire nous dira peut-être enfin ce que faisait concrètement cet employé discret. Autre anecdote. Un ingénieur informatique s’inquiétait du manque de formation de base des collaborateurs qui l’entouraient à la bibliothèque régionale, où il venait de prendre la responsabilité de ce service éminemment important. Un coup de fil du cabinet du maire le dissuada d’aller plus loin dans son investigation. Ce qu’il fit, en démissionnant. C’est enfin un ami qui eut, en son temps, dans le sud-ouest, à négocier avec les syndicats de son entité, les « 35 heures ». Leur confiant sa difficulté d’y parvenir, il entendit cette répartie : « A Marseille ils négocient 28h ».
Personne ne peut écrire aujourd’hui l’avenir de ce nouvel épisode, et assurer mordicus que ce qui n’était que rumeur sera demain sous la lumière crue des faits, des preuves, de l’addition. On voit poindre déjà des ersatz de défense, comme cette injonction à examiner le bilan à l’aune des réussites plutôt qu’à celle des turpitudes. Comme si les mots déontologie, éthique, morale ne faisaient pas partie de la langue locale. On ne se trompera pas non plus si l’on avançe que d’aucuns vont trouver suspect qu’on juge à Paris, une affaire marseillaise instruite par un parquet national. On aura enfin une belle empoignade d’experts pour savoir si les enquêteurs ont mis au jour un « système », ou l’association de quelques hiérarques sans scrupule.
Il est cependant un mot autour duquel vont se bâtir bien des raisonnements ou des plaidoiries : « le clientélisme ». Car à disséquer ce grand corps malade qu’est la mairie de Marseille, c’est cette métastase qui apparait le plus souvent. Et ce cancer n’a pas atteint qu’un seul camp. L’ancien maire a fait retarder croit-on savoir la publication de ses mémoires. Le Parquet financier aura-t-il droit au chapitre dans cet ouvrage attendu ? Suspense insoutenable.