Le match est plié si l’on écoute ceux qui commentent. C’est le plus anti-européen des opposants à l’Europe, le Rassemblement National, qui bénéficierait d’une dynamique irréversible. Constat paradoxal, si l’on tient compte de l’engagement de la formation lepéniste au sein de cette institution. Mortifère, si l’on se penche sur la manière dont elle imagine l’avenir de cette communauté de 27 pays. De Gaulle en colère estimait que les Français étaient des « veaux ». Parlerait-il aujourd’hui de « moutons », puisque plus de 30% s’apprêteraient à donner leurs suffrages à un Panurge aux allures trompeuses de gendre idéal ?
Pour ces électeurs, tant pis si Jordan Bardella a été cinq ans durant plus mobilisé à peaufiner son look et ses éléments de langage, qu’attelé à défendre ses convictions dans les hémicycles de Bruxelles ou de Strasbourg, où son salaire (9 000 euros brut mensuel) exigeait pourtant qu’il siégeât ? Aucune importance si le clone de Marine refuse de participer aux débats organisés par les médias craignant sans doute de voir révélées ses lacunes que ses adversaires au sein de sa propre formation disent abyssales. Oubliés ses têtes à queue idéologiques concernant le Brexit, la politique agricole commune, la Russie et l’Ukraine. Les inconditionnels qui le supportent, particulièrement à Marseille, n’ont aucun doute : leur champion peut monter sans risque sur le ring pour le premier round d’une confrontation qui s’achèvera en 2027 par, disent-ils, un KO magistral.
Regardons avec notre lorgnette marseillaise. Parmi les griefs que M. Bardella fait à l’Europe l’excès de réglementations, de clauses de concurrence, de principes de précaution, d’absence de mesures protectionnistes. De passer sous silence évidemment les domaines d’intervention où la communauté européenne agit. Ils sont nombreux : santé, économie, logement, transports, recherche… liste non exhaustive.
La Commission européenne n’est pas, de fait, cet univers kafkaïen que décrivent ses détracteurs. Plus souvent une lanceuse d’alerte, voire un aiguillon, qui incite à corriger les trajectoires, répondre aux urgences, inventer l’avenir. Elle a ainsi désigné en 2022 la métropole marseillaise comme capitale européenne de l’innovation.
Elle a apporté ainsi à ceux qui ferraillent dans le pays réel, la lisibilité de leur démarche, des synergies rendues possibles, de la croissance des start-up et PME hautement innovantes. A contrario la même Commission pointe du doigt à travers des études ou des sondages qu’elle fait réaliser simultanément dans plusieurs pays les dangers, les manques, les retards de tel ou tel territoire. Ainsi apprend-on que Marseille avec Rome et Palerme pointe aux dernières places pour les questions de sécurité et d’insalubrité. 83 villes ont été observées et pour faire bonne mesure la cité phocéenne se distingue aussi par la corruption que le panel interrogé dénonce.
L’Europe n’est pas un frein mais un moteur. A condition de mettre son nez dans la mécanique.
Hervé Nedelec
L’Europe n’est pas un frein mais un moteur. A condition de mettre son nez dans la mécanique. Ceux qui parmi nos élus ont réellement exercé leur mandat à Bruxelles ou Strasbourg, savent que c’est à la force de dossiers bien ficelés qu’une région, un département, une métropole, peut décrocher le jackpot communautaire. Avec des résultats tangibles comme pour le Var ou les Alpes-Maritimes. Ces collectivités territoriales ont engrangé depuis des années, sans fanfaronner, des aides financières décisives pour les secteurs économiques, culturels, scientifiques…
Marseille et les Bouches-du-Rhône ont pris un temps du retard même si ses élus ont enfin compris qu’une représentation dans la capitale belge était nécessaire pour exercer un lobbying performant et efficace. Le département est le premier à avoir mis en place cette structure et il faut s’en réjouir. Et la Région Sud est très active à Bruxelles depuis l’arrivée aux commandes de Renaud Muselier.
Mais on a entendu aussi dans un passé encore récent les proches de Jean-Claude Gaudin, alors maire de Marseille, avancer pour alibi que la technicité des dossiers à bâtir était d’une complexité sans nom. Un peu court comme argument pour une ville qui prétend rayonner sur l’Europe du sud. Il faut pour s’imposer comme un Phare en Méditerranée éclairer d’abord la lanterne de ceux qui ont le pouvoir d’actionner les leviers européens. Et prioritairement rendre intelligible le millefeuille territorial. Le patchwork administratif et politique et la cacophonie incessante qui préside aux échanges entre Martine Vassal et Benoît Payan, sont pour ceux qui dirigent l’Europe des gesticulations quand ils attendent des gestes.
Il y en a eu pourtant, comme avec Marseille capitale européenne de la culture qui fut en 2013 une réussite probante et saluée. Aix-Marseille université saisissant l’espace ouvert à la recherche, un des nerfs de la guerre universitaire. La santé, malgré l’épisode ubuesque du Covid, s’est également inscrite dans l’espace européen.
Il reste tant à faire. Marseille a été la première en France à obtenir de l’Europe le label « Ville climatiquement neutre et intelligente ». Elle ne doit pas être la dernière à soutenir un avenir européen.