Par Hervé Nedelec
C’est un euphémisme que d’écrire que ces élections européennes, qui s’achèvent aujourd’hui par la vérité des urnes, n’ont pas soulevé un grand enthousiasme. Le mot « politique » avec sa double origine grecque et latine désigne la cité gouvernée par des hommes ou des citoyens. Donc, en ces heures de trêve républicaine nous évoquerons plus volontiers la ville qui, pendant que 38 listes s’étripaient pour obtenir quelques sièges à Bruxelles, a poursuivi son cours. Elle n’a pas été portée, loin s’en faut, par un long fleuve tranquille mais plutôt par un torrent impétueux.
Nous ne garderons pas le meilleur pour la fin en évoquant un succès à rallonge. Celui de « La voie est libre » qui une fois par mois draine sur la corniche Kennedy un peuple à pied ou sur deux roues pour s’adonner à la balade des gens heureux. Certes quelques privilégiés qui ont pignon sur cette terrasse exceptionnelle se plaignent de cette gêne temporaire. Ils vont jusqu’à revendiquer l’incroyable vue sur la baie pour leur seul usage. On a même entendu le patron d’un établissement réputé se plaindre de voir ainsi l’artère la plus belle du monde – après la Canebière diraient certains nostalgiques – interdite à la circulation. Et ce porte-drapeau de la mauvaise foi d’arguer que des clients New Yorkais avaient été contrariés par cette fête dominicale. On constatera donc avec Henri Jeanson qu’en France « le ridicule ne tue pas. On en vit ». Passons et osons la provocation. La municipalité serait très inspirée de sanctuariser la Corniche et d’en chasser tous les moteurs, chaque week-end.
A Paris Anne Hidalgo, même si cela lui vaut encore quelques quolibets, l’a fait pour grande partie des quais de Seine. Ceux qui en jouissent en famille ou en promeneur solitaire s’en félicitent et ils sont des milliers. Plus près de nous, nous avons souvenir de la levée de boucliers que provoqua à Aix-en-Provence la neutralisation du cours Mirabeau. Deux décennies plus tard et quelques petits bus électriques en plus, les mal nommées Diablines qui transportent les usagers du centre-ville, c’est d’un trop plein de piétons que se plaignent les Aixois. Espérons donc que les Jeux Olympiques donneront à tous l’envie de reprendre possession du littoral et de cette vue que les drones et hélicoptères nous font déguster lors des grands événements télévisuels.
Mais Marseille s’entête à laisser tous les chauffards de la terre en liberté non surveillée.
Hervé Nedelec
Toujours dans le même esprit, il faudra bien un jour prochain que les pouvoirs publics décident d’en finir avec l’enfer motorisé. Les grandes villes les unes après les autres ont règlementé la vitesse à 50 voire à 30 à l’heure. Mais Marseille s’entête à laisser tous les chauffards de la terre en liberté non surveillée. Certes on peut se réjouir de savoir que les navires de croisière sont désormais sous haute surveillance pour préserver les poumons dans quelques quartiers comme l’Estaque ou le Panier, mais une récente étude démontre que la pétarade des deux-roues trop souvent débridés était la cause de bien des maux. Surdité au minimum et jusqu’à la dépression pour ceux qui sont exposés quotidiennement à l’agression des décibels. La santé mentale est en jeu dans ce terrible constat et elle concerne les agresseurs et les agressés.
On nous dira que les grands centres commerciaux sont là pour permettre à tout un chacun de se livrer à la marche tant recommandée par les praticiens. Mais ils vieillissent et sont pour quelques-uns en difficulté à Grand Littoral, au Centre Bourse, à Bonneveine. Les spécialistes avancent nombre raisons : la mode, les prix, l’usure. Mais il y aussi, comme sur la Corniche une fois par mois, les us et coutumes qui évoluent. Les Marseillais redécouvrent peu à peu la beauté de leur ville qui malgré ses cicatrices resplendit du petit matin au crépuscule lorsque le soleil se noie au large des îles du Frioul. On dit du reste qu’elle est devenue une destination très prisée par ceux qui ne sont que de passage comme pour ceux qui veulent s’y amarrer. Et si elle mettait ses habits de dimanche tous les jours. Si l’Europe, 80 ans après la fin de la seconde guerre mondiale, reste sur bien des aspects à construire, Marseille du haut de ses 2600 ans a tous les atouts pour encore et encore séduire.