Jean-Claude Gaudin, qui nourrit quelques accointances avec les religieux, a dû apprécier, s’il l’a lu, cet aphorisme de l’abbé Jacques Delille, penseur méconnu du XVIIIème : « Les hypocrites, comme les abeilles, ont le miel à la bouche et l’aiguillon caché. » L’ancien maire de Marseille vient de subir l’affront d’une visite domiciliaire gendarmesque, suivie d’une garde à vue tout aussi humiliante.
En cause, les emplois à rallonge de sa garde rapprochée. Comprenez, des collaborateurs qui avaient largement dépassé l’âge de la retraite, mais exerçaient toujours auprès du premier magistrat. Une juge parisienne va statuer, dans les prochaines semaines, sur le sort qu’elle va réserver à cette affaire. Elle devra dire notamment s’il y a eu un manquement grave de l’administration municipale et donc aux deniers publics, où s’il ne s’agit, comme tente de l’échafauder la défense du maire, que d’une coupable négligence.
Claude Bertrand, celui qui a régné, sans partage, plus d’un quart de siècle durant sur la ville
Dans cette galère-là, est embarquée l’ancien, mais historique, directeur de cabinet de M. Gaudin, Claude Bertrand. Quelques acteurs de cette tragi-comédie s’empressent aujourd’hui de le désigner comme « l’âme damnée » de celui qui a régné, sans partage, plus d’un quart de siècle durant sur la ville. Tout cela est d’un fumet peu ragoûtant, mais au pays de la bouillabaisse, on ne s’étonnera pas de voir les crabes se dévorer entre eux, après avoir, si longtemps, jouer les arapèdes sur le rocher promontoire du pouvoir. Ainsi va la ville !
A lire les informations généreusement diffusées par une presse, longtemps coite sur le sujet, on imagine volontiers l’effarement des enquêteurs, devant le cursus de certains mis en cause. Leurs parcours professionnels, lorsqu’ils en avaient un avéré, étaient censé justifier leur présence, auprès du maire de la deuxième ville de France. On dira pudiquement que leur entregent fut de fait leur passeport, pour accéder à des fonctions aux contours incertains. François Fillon a été, il y a quatre ans, balayé pour moins que cela pour ce que d’aucuns ont cruellement appelé le « Pénélopegate ».
Pour revenir à Marseille, il y a quelques années, évoquant l’un de ces « employés modèles », aujourd’hui présent dans les procès-verbaux, un élu nous confiait : « s’il meurt de surmenage, il faudra léguer son corps à la science car sinon cela restera un mystère ! » Mais comme le disait un ancien président du conseil général, lorsqu’on pointait la présence un peu pressante auprès de lui de son frère : « on ne peut empêcher les gens d’être méchants ! »
L’heure est donc, au pied de la Bonne Mère, à la gentillesse et aux simagrées. Où l’on entend ainsi, des trémolos dans la voix, un Renaud Muselier, président de la Région, venir au secours de celui qui lui a systématiquement barré la route, lorsqu’il a prétendu lui succéder. « Et pourtant il m’a fait pis que pendre » confiait ainsi aux micros tendus, le patron de Provence Alpes Côte d’Azur. La guillotine ne l’ayant pas occis, le voilà donc écartelé entre son affection, marquée de plaies et de bosses, et l’impérieux devoir de défendre un « homme qui a consacré sa vie à sa ville ». Et d’ajouter à propos de la garde à vue de l’ancien maire : « humainement c’est très dur ! »
Benoît Payan : Marseille a besoin « de renouer avec la légalité, la normalité ».
Le socialiste Benoît Payan, malgré les récents échanges d’amabilité entre lui et celui auquel il a succédé, n’est pas exposé à cette confusion des sentiments. Evidemment, il a le beau rôle, lorsqu’il affirme ne pas vouloir interférer dans l’action de la justice. Mais il ajoute que Marseille a besoin « de renouer avec la légalité, la normalité ». Comme on le disait naguère du côté des Goudes, voilà des « bottes en ciment » qui devraient définitivement engloutir ce qu’il restait de « gaudinisme dans la ville ».
Quant aux autres, si nombreux, qui ont grandement prospéré dans ce que les enquêteurs s’emploient à désigner comme un « système », ils se terrent et se taisent, se gardant bien de dire aujourd’hui ce qu’ils ont toujours observé dans un mutisme coupable.
L’ancien maire promet lui, de « tout nous dire » dans ses mémoires à paraître, en avril, chez Grasset. Ira-t-il jusqu’à convoquer dans ces pages tous ceux qui soignent aujourd’hui leur sciatique, à force de s’être usés en ronds de jambes et autres génuflexions ? Cela ferait alors beaucoup de monde.