Ainsi va, et sans doute ira encore, l’Olympique de Marseille de coups d’éclat en coups fourrés, avec un goût prononcé pour le tragique. Ainsi soit-il dans une ville grecque. Dans le théâtre antique les acteurs étaient fréquemment amenés à quitter la scène, pour revêtir les costumes d’un nouveau personnage. Les chœurs étaient eux immuables et occupaient l’espace. C’est un peu la même chose à l’OM. Il y a ceux qui dirigent le club, et sont régulièrement poussés vers la sortie, et puis le chœur des supporters qui radote, sans se lasser, depuis des décennies, la légende d’un champion. « A jamais le premier » pour avoir décroché, en une nuit munichoise le graal, la coupe d’Europe, le toit du monde footballistique.
Après René Dufaure de Montmirail, fondateur de l’OM en 1899, l’OM aura usé, martyrisé ou glorifié et béatifié, plus d’une trentaine de présidents. Tenir la barre de ce navire-là ne tient pas de l’exploit, mais du miracle. On doit s’assurer d’un équipage loyal, car à la moindre tempête la mutinerie guette, et malheur à celui qui tente d’affronter les vents.
Celui qui a soufflé sur la Commanderie et a conduit quelques supporters derrière les barreaux, n’est pas, quoi qu’en disent quelques observateurs pressés, un événement anachronique, dans la longue et tumultueuse histoire de ce club singulier. Il a connu d’autres drames plus noirs et déjà oubliés. Comme le suicide du président Jean Carrieu, en 1987, se jetant d’une falaise de Cassis, et gravant à jamais le mystère de sa fin, dans le grand livre de l’épopée olympienne. Il y a eu l’épisode confus du fameux Valenciennes-Om, frappé du sceau infamant de la triche. Un des protagonistes Jean-Pierre Bernès a dit en son temps dans un livre confession (« Je dis tout » éd Albin Michel), sa part de vérité. Un tifo pudique a recouvert, au nom de l’intérêt supérieur de la passion marseillaise, cette misérable affaire de cornecul. Il y a eu encore cette longue liste de sauveurs d’un jour, qui ont disparu depuis de la mémoire collective marseillaise, quand ils ne suscitent encore la nausée ou la haine, du virage nord au virage sud, en passant par les tribunes Jean Bouin ou Ganay.
On l’aura compris, l’OM et son aficion ne s’appréhendent, qu’en acceptant l’irrationnel, le passionnel sans limite, la mauvaise foi revendiquée. Et une dream-team de dirigeants, quelles que soient leurs qualités de gestionnaire, de prévisionniste, de bâtisseur, ne pourra jamais maîtriser l’alchimie par laquelle le « peuple de Marseille » et son vélodrome imposent leur loi. Et défient toutes les lois de l’économie, de la politique, et du football aussi.
Qu’on se le dise dans les villes et les campagnes, l’OM touche à l’art ! Au moins pour la foule de ceux qui le vénèrent.
A une étudiante en droit qui s’étonnait du salaire exorbitant d’un joueur de l’OM, le regretté Pape Diouf qui participait à une conférence-débat, claqua cette réponse : « Vous vous interrogez vous, sur le prix astronomique d’un Picasso ? » Eh oui, qu’on se le dise dans les villes et les campagnes, l’OM touche à l’art ! Au moins pour la foule de ceux qui le vénèrent.
Bernard Tapie l’avait compris et il a maîtrisé jusqu’à l’excellence et parfois les limites des plus périlleuses, l’ambivalence nécessaire d’être à la fois dirigeant d’un club comme les autres clubs, et supporter parmi des supporters, pas comme les autres. Depuis son hôtel particulier de la rue des Saints-Pères, où il joue un match décisif contre la maladie, sa voix, quoique brisée, porte encore suffisamment pour parler au cœur de ceux qui ont fait trembler, il y a quelques jours le staff et les joueurs olympiens. Dans une interview à Nice-Matin, Tapie conjure Frank McCourt, propriétaire de l’OM et Jacques-Henri Eyraud, son premier lieutenant, de quitter le club et, c’est sans ambigüité, qu’il fait porter sur les épaules de ce duo, la responsabilité entière de la situation actuelle.
La municipalité vient d’ajouter un peu de sel à ce feuilleton qui n’en manque pourtant pas, en proclamant le Vélodrome à vendre. Il sera de fait passionnant d’analyser comment la tentative d’assainissement d’un fonctionnement erratique, s’est heurtée à la pression d’une passion irraisonnée, et peut-être à terme masochiste. Les jours et les semaines à venir vont être une fois de plus décisives pour l’Olympique de Marseille. La situation est d’autant plus étrange que ceux par qui la foudre a frappé, sont privés, Covid N°19 oblige, de stade. On peut imaginer que le milliardaire américain reprenne partie de ses investissements et se replie sur sa très chic Boston, loin des frondeurs du Vieux-Port. Le Vélodrome et l’OM retrouveront-ils pour autant demain ces habits de lumière qui leur allaient si bien ? Même la Bonne Mère prie pour y croire.