Jean-Marc Borello, le patron de Groupe SOS, premier acteur européen de l’économie sociale, est un chef d’entreprise engagé. Numéro 2 du mouvement En Marche, il plaide dans un livre autobiographique pour l’engagement de tout un chacun dans l’espace public.
« L’engagement collectif est en berne – syndicats, associations, partis politiques peinent à recruter; pourtant, je suis persuadé que là est la clef de l’épanouissement individuel et du progrès social » explique-t-il dans Mon bonheur c’est les autres.
Car pour Jean-Marc Borello, « s’engager, c’est refuser le repli et le chaos » et « l’engagement fait naître le sens du devoir.» Et son devoir aujourd’hui, outre la conduite du groupe qu’il a fondé, c’est de soutenir la candidature d’Emmanuel Macron qu’il accompagne depuis la création d’En Marche en 2016. Il nous dit ici pourquoi, tout comme il explique son attachement à la Provence, sa terre natale, et partage des convictions intactes sur les enjeux sociaux et sociétaux français. Entretien réalisé le 18 janvier dernier par téléphone.
D’où vient votre attachement à Marseille ?
Jean-Marc Borello : Je suis né à Aix, mes parents habitaient à Gardanne, ma grand-mère était poissonnière à l’Estaque, l’Estaque gare et pas l’Estaque plage, la précision est importante. Ça ne s’invente pas. L’origine elle est là. Et puis après, il y a eu la rencontre avec Gaston Defferre à Paris Quand il était ministre de l’Intérieur (de 1981 à 1984, NDLR). Il décide que je vais participer à son cabinet. Et donc jusqu’à sa mort, je vais descendre avec lui à Marseille trois jours par semaine. C’est surtout là que j’ai travaillé sur Marseille.
Vous étiez déjà parti à Paris ?
J-M. B. : Oui j’ai passé le concours d’éducateur à Marseille, aux Chutes-Lavies. Ensuite j’ai fait une partie de mes stages à Marseille, entre autres à St Julien, dans un établissement de la protection judiciaire de la jeunesse. Et puis l’école était à Toulouse. Et lorsque je suis devenu fonctionnaire, j’ai été nommé comme tout le monde à Paris. J’étais à Paris à 20 ans. Puis je suis redescendu à Marseille dans le cadre du cabinet Defferre. J’avais un appartement à Paris et un Marseille. Je me partageais entre les deux.
Ces origines Provençales ont-elles influencé votre parcours ?
Ça fait 40 ans que je dis à Paris que Marseille est la plus belle ville du monde…
Jean-Marc Borello
J-M. B. : Marseille a toujours été une espèce de France miniature. Avec à la fois ces quartiers nord qui ressemblaient beaucoup à ce que j’ai trouvé en Seine Saint Denis et dans les banlieues parisiennes. Et les quartiers sud, une ville qui résumait un peu l’état du pays. Avec à la fois des richesses, même des pépites dans les quartiers nord pour la création d’entreprises, le multiculturalisme, avec des personnages venus d’univers et de pays extrêmement différents. Il y avait aussi les difficultés sociales, qui existent toujours et qui se sont peut-être un peu accentuées avec le temps. Ça fait 40 ans que je dis à Paris que Marseille est la plus belle ville du monde…
Le côté rebelle de la ville vous a inspiré ?
J-M. B. : Oui évidemment. C’est une ville rebelle depuis Louis XIV. Et d’ailleurs, avec le Fort St Nicolas, on voit bien de quel côté sont tournés les canons. Une ville rebelle à l’Etat, indépendante, multiculturelle, passionnante comme souvent le sont les grands ports. Avec ici en plus l’aspect méditerranéen et l’ouverture sur l’Afrique. C’est forcément une ville très désirable. Le travail au cabinet de Gaston Defferre était en outre passionnant. Nous avions une capacité d’agir qui était unique. Il était ministre et maire. Nous avions aussi la Région et le Département…
A cette époque, pourtant Marseille rate, le tournant métropolitain, contrairement à d’autres grandes villes. N’est-ce pas un regret ?
J-M. B. Marseille avait tous les atouts pour avoir un destin comme Barcelone ou d’autres grandes villes de Méditerranée. La fin de l’ère Defferre et tout ce qui a suivi ont fait que l’on a complètement raté cette évolution alors que l’on a vu par exemple Montpellier se développer.
Gaston Defferre n’a-t-il pas une responsabilité dans cet échec ?
J-M. B. A l’époque, la ville était à la fois très multiple et diverse, avec une gestion qui était plus sérieuse, avec des situations dans le centre-ville qui était moins dramatique que ce qui a pu arriver avec la rue d’Aubagne. Les choses étaient gérées. La ville était certes pauvre mais j’en retiens une période où toutes les communautés vivaient sans drame. D’ailleurs au moment où toutes les banlieues françaises ont flambé, cela n’a pas été le cas à Marseille. Il y avait un ciment social. Jusqu’à l’enterrement de Gaston Defferre, qui a été ma dernière mission, je l’ai vu : toutes les communautés religieuses étaient présentes.
Tout à fait. Cet héritage n’est pas contesté. Mais revenons à l’agglomération. Le projet métropolitain n’est pas enclenché à cette époque. Pourquoi ?
Gaston Defferre n’était pas très tourné vers le monde économique.
Jean-Marc Borello
J-M. B. : Gaston Defferre était objectivement passionné par les sujets de décentralisation. Son job de ministre de l’Intérieur le passionnait surtout pour ces sujets plutôt que sur les aspects policiers. Il s’était occupé auparavant de décolonisation. C’est vrai qu’il a été très absorbé à partir de 1981 par les histoires de l’Etat. Il n’était pas très tourné vers le monde économique. On a sans doute manqué l’envol économique et la dimension d’agglomération que d’autres ont pris dans les années qui ont suivi. Mais c’était le début. Même à Lyon, c’était balbutiant. Donc il n’y a pas eu cette vision économique que, pour le coup, le Président actuel, lui pousse.
Après le décès de Gaston Defferre, pourquoi vous ne continuez pas la politique ?
J-M. B : Parce que je m’entendais extrêmement bien avec Gaston Defferre. Et après c’était Vigouroux. On m’a proposé de rester, mais cela manquait de projets ambitieux. Ensuite au niveau national, la gauche a commencé à perdre. Non seulement je n’ai pas continué, mais j’ai démissionné de la fonction publique. Je n’avais pas envie de participer à la suite des opérations, alors que la droite revenait au pouvoir.
C’est le moment où vous basculez dans le monde de l’entreprise.
J-M. B : Oui. J’avais été éducateur et travailleur social, et syndicaliste au ministre de la Justice avec la protection judiciaire de la jeunesse, puis conseiller dans les cabinets ministériels. Le temps était venu de passer à autre chose : diriger des entreprises et en même temps, lancer SOS. La première structure d’hébergement a été créée à Marseille (La Corniche en 1986) et fonctionne toujours. Elle est destinée aux jeunes toxicomanes. Le groupe a grandi très vite et il n’était pas question de faire autre chose en plus à cette époque-là.
Le groupe SOS a-t-il aujourd’hui achevé son développement ?
Après deux ans de covid, on a vécu de près l’utilité sociale d’une boîte comme SOS.
Jean-Marc Borello
J-M. B : Ça ne sera jamais achevé. Nous sommes aujourd’hui la première entreprise sociale d’Europe. Donc évidemment la prochaine étape, c’est de devenir la plus grande entreprise sociale du monde. Le développement international, comme national reste très fort. L’entreprise a doublé de taille tous les cinq ans. On se dit que si elle continue et double à nouveau, oui SOS sera la première entreprise sociale du monde. Nous sommes extrêmement sollicités à l’étranger, sur tous nos sujets, la santé, le social, l’éducation… Nous sommes déjà dans une quarantaine de pays. Et l’idée est de nous développer partout où nos savoir-faire sont sollicités. Et donc évidemment nous allons continuer. Sky is the limit ! Il y a toujours beaucoup de choses à faire et on a le sentiment d’être utiles. Surtout après deux ans de covid, on a vécu de près l’utilité sociale d’une boîte comme SOS.
Vous allez pourtant revenir en politique au cours des années récentes, auprès d’Emmanuel Macron. Pourquoi ?
J-M. G. Au départ, il était dans ma classe à Sciences Po, quand il avait 23, 24 ans. Évidemment c’était un élève brillant. On s’en doute… Par ailleurs un élève curieux qui a besoin de comprendre, qu’on lui démontre les choses. Je l’avais amené à l’époque visiter les entreprises d’insertion de Seine St Denis. Tout cela l’intéressait beaucoup et nous sommes restés en contact en camarades tout au long de sa carrière professionnelle, y compris dans l’administration, aux finances. On s’est beaucoup revu lorsqu’il a été ministre de l’Économie, car j’étais au même moment président du mouvement des entrepreneurs sociaux. J’avais eu des contacts réguliers avec ses prédécesseurs et donc avec lui quand il est arrivé à Bercy (Emmanuel Macron sera ministre de l’Économie, de l’industrie et du numérique du mois d’août 2014 à août 2016, NDLR). Et à partir de là, on s’est vu beaucoup pour bosser sur les thèmes de l’économie, l’économie sociale, etc. Et par ailleurs assez vite nous avons réfléchi à ce qu’il faudrait faire de neuf pour ce pays. Qu’est-ce qui bloque ? Comment on peut avancer ? C’est comme ça que je me suis naturellement embarqué dans l’aventure assez tôt. Je suis co-fondateur d’En Marche donc bien avant la candidature du Président.
Quelle est votre motivation dans ce nouvel engagement ?
J-M. G. C’est de partager le projet du chef et considérer qu’on ne pouvait pas choisir entre créer de la richesse et combattre les inégalités. Si on veut répartir de la richesse, il faut commencer par la créer. Et donc sortir de cet espèce de dispositif dans lequel il y a ceux qui veulent pousser la création de richesse et la liberté d’entreprendre à droite. Et à gauche, ceux qui veulent assurer la justice et soutenir les plus en difficultés. Je ne me reconnaissais pas dans ce schéma droite-gauche qui commençait à fatiguer tout le monde. J’avais par le passé très bien travaillé avec Simone Veil et un certain nombre de personnalités de droite, tout en étant plutôt un militant de base de gauche, qui avait fait les campagnes de Bertrand Delanoë par exemple.
Au sein d’En Marche, vous acceptez un rôle de responsable du mouvement. Vous êtes actuellement le délégué général adjoint, soit le numéro 2. Pourquoi une telle implication ?
J-M. G. : Avec Emmanuel, le Président, il y avait d’une part la sélection des candidats aux législatives. Donc la commission d’investiture, que j’ai présidé aussi pour les européennes. J’étais embarqué dans ce mouvement. J’ai eu aussi des missions pour le gouvernement auprès notamment de Muriel Pénicaud au sujet de l’insertion par l’économique. Pour que la démocratie vive, il faut que des mouvements politiques existent. En Marche était constitué essentiellement de jeunes gens brillants, mais il y avait assez peu de personnes plus expérimentées. Il fallait rééquilibrer un peu. Nous avions plus de métiers et pas d’ambitions personnelles. C’était assez rare pour être utile. Et puis moi, j’ai toujours incarné l’aile gauche du mouvement.
Et la suite ?
J-M. G. : Évidemment je donnerai un coup de main pour la campagne. Cette fois-ci, il y a plus de monde… Beaucoup de monde par rapport à la première fois et je crois que tout le monde a envie de participer. On continuera à être utile chacun a sa place pour lui permettre de gagner s’il est candidat, ce dont je ne doute pas.
Assumez-vous le bilan complet du quinquennat ?
J-M. G. : Oui j’assume. Je pense que l’on fait beaucoup de choses qui ne se sont pas suffisamment vues, y compris pour les gens les plus en difficulté. Il y a encore des choses à faire, mais je trouve que l’on a démontré notre capacité à protéger. Alors que l’on annonce avec Macron un libéralisme échevelé, nous avons quand même salarié 11 millions de Français pendant toute la crise covid. La réalité économique est au rendez-vous, car la France est l’un des pays qui redémarre le mieux. Le prix Nobel d’économie dit même que nous sommes le premier au monde (lire la tribune de Paul Krugman dans le New York Times, NDLR). Évidemment, la gauche considère que l’on a pas fait suffisamment à gauche, et la droite que l’on a pas fait assez de droite. C’est sans doute la preuve que l’on est allé où l’on voulait : dans les deux directions. C’est plus facile de faire des promesses que de gérer le pays.
Concernant la politique des quartiers prioritaires, le bilan vous semble positif également ?
Objectivement, je trouve que Benoît Payan et son équipe, avec Olivia Fortin et les autres, se débrouillent très très bien
Jean-Marc Borello
J-M. G. : Il y eu des mesures comme le dédoublement des classes qui me paraissent utiles. Et quand on voit le plan pour la ville, il faut bien admettre que cela fait 25 ans que rien n’a été fait d’aussi ambitieux pour Marseille. Et de ce point de vue là, je suis assez admiratif de l’équipe municipale. Objectivement, je trouve que Benoît Payan et son équipe, avec Olivia Fortin et les autres, se débrouillent très très bien. Ils ont trouvé une situation extrêmement difficile. La majorité sur laquelle tout le monde ricanait se comporte plutôt bien. Il n’y a qu’à voir les votes récents sur les propositions d’aide du gouvernement. Benoît Payan a bien compris la sincérité de l’engagement du Président. Et il a été suffisamment intelligent pour l’accepter. Nous étions suspectés de courir après le soutien de Payan ou de Vassal. En réalité, Vassal soutient Pécresse, Payan apporte son parrainage au vainqueur de la primaire populaire. Tout cela est très logique. Cela n’empêche pas la mairie comme le Département et la Métropole de collaborer pour le plan pour Marseille. C’est très bien. Ils ont fait passer l’intérêt de leur ville avant les intérêts de boutiques.
Concernant le bilan, peut-on revenir un instant sur un sujet qui ne semble pas avoir avancé : le trafic de drogue. Il touche particulièrement Marseille et les quartiers nord. Qu’en pensez-vous ?
J-M. G. : Cela fait 25 ans que l’on traite à Marseille comme ailleurs des usagers de drogue. Nous avons toujours considéré que c’était plus une conséquence qu’une cause. Si le nombre de toxicomanes augmente, c’est aussi lié à la faille de l’enseignement, l’absence de boulot ou de perspectives dans un quartier. Quand le seul horizon pour gagner de l’argent c’est de devenir dealer ou de faire le guet, évidemment que cela n’aide pas. Quand les mômes auront accès à des classes convenables, quand il y aura du boulot (ce qui est en train de se passer) et que l’on permettra la création d’entreprises comme avec les Carrefours de l’entrepreneuriat, que l’on facilitera les transports, je pense que l’on aura franchi des étapes.
En parallèle, la légalisation encadrée de la consommation du cannabis ne serait-elle pas une mesure efficace pour lutter contre les trafics qui prennent en otage des cités entières ?
J-M. G. Le groupe SOS est toujours pour la dépénalisation de l’usage. Le ministre de l’Intérieur ne partage pas mon point de vue. Je pense que la dépénalisation du cannabis est un moyen de faire diminuer le nombre d’usagers et de détruire la valeur du trafic. Comme on l’a vu aux Etats-unis avec l’alcool, le jour où tu légalises et que tu gères, cela fait disparaître une économie souterraine, permet de contrôler et d’être plus efficace dans la lutte contre la consommation. Je continuerai à dire et à écrire que nous sommes partisans de la dépénalisation.
Mais ce n’est plus un débat dans En Marche ?
J-M. G. Si. Cela a été un débat qui a toujours existé dans le mouvement. D’ailleurs les Jeunes avec Macron sont favorables à la dépénalisation. Visiblement il y a un sujet de générations. Sur certains sujets de société, beaucoup pensent qu’il faut faire bouger la loi. La France a toujours eu une politique pénale extrêmement répressive et cela n’a jamais fait bouger le nombre d’usagers… À un moment donné, le pragmatisme fait que si quelque chose ne marche pas, on doit le changer. Nous porterons toujours l’idée que la dépénalisation est un bon programme.
Vous insistez sur la notion d’engagement dans votre livre ? Est-ce une solution pour mobiliser à nouveau les citoyens
L’engagement est au cœur de mon livre, car il contribue au mieux vivre ensemble, à la cohésion et à la rencontre de l’autre.
Jean-Marc Borello
J-M. G. : Je trouve que les jeunes sont plutôt mobilisés. Pas comme nous l’étions, parce que nous avions des références plus politiques ou économiques selon les périodes. Mais ils sont capables de se mobiliser sur le climat, contre le racisme, contre le sexisme. Les générations qui ont 20 ans sont capables de s’engager mais sur des projets d’ensemble. La droite et la gauche n’ont plus aucun sens pour la grande majorité d’entre eux. Oui, je trouve que l’engagement a de nombreuses vertus : on ne renonce pas à sa vie personnelle, c’est même plutôt un épanouissement de la vie. L’engagement permet de dépasser les problèmes et les aléas de la vie. J’incite à s’engager. L’engagement en politique est un moyen de faire évoluer le niveau de conscience générale, d’apprendre à débattre, à écouter. Ce sujet de l’engagement est au cœur de mon livre, car il contribue au mieux vivre ensemble, la cohésion et la rencontre de l’autre. Avec les 1000 cafés du groupe SOS dans les petits villages, on voit bien que quand il n’y a plus de lieu pour se rencontrer, discuter, refaire le monde… cela finit sur des ronds-points. Le fait de rouvrir des lieux de socialisation, là où il n’y en a plus, c’est une façon de faire renaitre de la cohésion. Et la cohésion, cela ne veut pas dire que l’on pense tous pareil. Cela signifie que l’on est capable de se confronter à l’autre. Les chefs d’entreprise doivent aussi s’engager.
A Marseille, je suis très content de voir aujourd’hui que le maire, la présidente du Département et le Président de la République, qui représentent trois courants de pensée différents, les seuls républicains du pays, réussissent à travailler ensemble pour Marseille. C’est la démonstration que l’on peut être différent et se mettre d’accord dans l’intérêt des citoyens.
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