Laurent Laïk gravite dans le milieu de l’insertion professionnelle depuis plus de 30 ans. Aux manettes du groupe aubagnais La Varappe qui accompagne plus de 9 000 personnes vers l’emploi, le patron projette d’aller plus loin dans l’inclusion pour faire passer ce sujet « de la marge à la norme » au sein d’une société française particulièrement fragmentée depuis le Covid-19 qui a accéléré un changement de rapport au travail, une tension sur les recrutements et une aggravation des inégalités sociales.
La Varappe a organisé une grande journée de l’inclusion au Mucem le 2 juin après avoir fêté les 30 ans du groupe quelques mois plus tôt. Quelle est l’ambition que vous portez pour cet événement national ?
Laurent Laïk : Pour nos 30 ans, nous avons voulu montrer queLa Varappe avait gardé le cap en permettant à chacun de jouer son rôle dans la société. Nous avons été agiles sur notre projet social, sur les métiers et les modèles économiques que nous proposons. De fait, cet anniversaire nous a conféré un rôle particulier car le groupe se réinvente en permanence. Il est ancré sur le territoire et fédère plus de 1 000 partenaires. Nous avons donc voulu porter un projet de plus grande ampleur pour transformer la société. La journée de l’inclusion s’est articulée autour de trois sujets : l’inclusion et l’Europe, l’inclusion comme clé de la performance de l’entreprise, et une labellisation des villes inclusives que nous allons construire dans la durée.L’enjeu étant de passer de la marge à la norme.
L’inclusion est un terme plutôt utilisé dans un milieu d’initiés. Pourquoi démocratiser l’inclusion vous tient à cœur ?
L. L : Si nous voulons que l’inclusion devienne la norme sociétale, il ne faut plus évoquer ce terme et impérativement sortir de l’entre-soi. Nous devons montrer que l’inclusion peut percoler dans toute la société. Il y a une lame de fond qui fait que l’inclusion devient à la mode, chacun a envie d’aider l’autre, et on le voit de plus en plus dans les entreprises car elles ont du mal à recruter. Et de fait, monter cet événement avec un lieu national comme le Mucem était un signal fort pour accélérer le mouvement.
Votre collaboration avec le Mucem a donc été renforcée depuis l’arrivée du nouveau président Pierre-Olivier Costa ?
L. L : Cette rencontre s’est faite un peu par hasard. Je souhaitais renouveler le partenariat des bus de« destination Mucem » sans une véritable ambition d’aller plus loin. Mais au fil de notre échange, on s’est dit que le Mucem était un lieu inclusif en tant que tel qui pouvait accueillir tout le monde. Il s’est trouvé aussi que le musée débutait son exposition « Barvalo » sur l’histoire et la culture des populations Roms. Nous avons donc travaillé avec les personnels pour engager des personnes Roms en tant que guides de l’exposition.
Quand vous dites « passer de la marge à la norme », êtes-vous favorable aux politiques de quotas ?
L. L : L’idée ce n’est pas d’avancer avec des obligations mais de faire tomber les préjugés. Je vous donne un exemple. Trouver un emploi ne vient pas naturellement à l’esprit de certaines personnes que nous accompagnons. Selon leurs préjugés, elles nous disent « je n’ai pas envie d’être éboueur » alors même qu’elles ignorent tout de ce métier. Mais quand on leur fait découvrir sur le terrain, leur regard change. De la même façon, les chefs d’entreprises n’arrivent pas à recruter. Nous devons changer leur regard sur ces personnes plus éloignées de l’emploi en valorisant leurs soft skills. Ce n’est pas uniquement la loi qui va régler le problème.
Si nous n’agissons pas pour la progression sociale, les entreprises n’auront plus de performance et elles disparaîtront.
Laurent Laïk,président de La Varappe
Quel argument utilisez-vous pour inciter les entreprises à être plus inclusives dans leurs recrutements ?
L. L : Une entreprise qui va bien ne peut pas se développer sur un territoire qui va mal. Prenez l’exemple des retraites. Il y a une vraie colère et une résignation en même temps. C’est le terreau fertile de difficultés à venir sur la cohésion sociale, j’en suis convaincu. Si nous n’agissons pas pour la progression sociale, les entreprises n’auront plus de performance du tout et elles disparaîtront. Nous sommes donc en train de mener un travail avec les entreprises pour modifier la grille Excel de leur performance. Avec le groupe Onet, nous lançons une première expérimentation sur Marseille pour définir les indicateurs communs de degré d’éloignement à l’emploi, corrélés à ceux de la progression sociale. A l’issue de ces recherches, nous voulons remettre des propositions concrètes au gouvernement pour lutter contre les inégalités de destin.
On ne peut pas demander à quelqu’un de creuser un trou pour le reboucher ensuite. Il faut trouver une utilité à son travail.
Laurent Laïk
Le 9 juin, Élisabeth Borne a détaillé sa réforme France Travail qui revoit les conditions du RSA (Revenu de solidarité active) dans les locaux de votre filiale Inva. Que pensez-vous de l’approche du gouvernement de faire travailler 15 à 20 heures par semaine les bénéficiaires ?
L. L : Si le schéma c’est de dire « on te file de l’argent donc tu dois faire tes 15h... », je suis contre. On ne fait pas travailler les gens sans encadrement. On ne peut pas demander à quelqu’un decreuser un trou pour le reboucher ensuite. Il faut trouver une utilité à son travail. Si ces 15h lui permettent de faire un « vis ma vie » avec des entreprises, de rencontrer des professionnels pour qu’il devienne acteur de sa vie… Si c’est ça, alors oui je suis 100% favorable. On oublie trop souvent mais dans le terme RSA il y a bien le « A » de activité. Il faut que les bénéficiaires soient en mouvement continu.Le gouvernement est venu dans nos locaux car La Varappe a ce fonctionnement particulier de remise à l’emploi, bien avant la réforme de France Travail. L’État veut donc s’appuyer de structures comme les nôtres.
Travailler 15 ou 20 heures par semaine, n’est-ce pas problématique pour lever les freins (sécuriser son logement, combattre une maladie, des addictions,…) ?
L. L : Une des idées fortes de la réforme c’est le décloisonnement du travail social (les assistantes sociales qui traitent les problèmes de logement, de mobilité ou de justice) avec le travail de recherche d’emploi. Il est prévu que les agents se parlent plus, voire travaillent dans les mêmes bureaux. En début d’année, en croissance externe, La Varappe a racheté l’ADAI (devenue Jedai) qui avait de grandes difficultés. L’association accompagnait près de 5 000 personnes au RSA. Nous l’avons racheté car elle employait 70 travailleurs sociaux que nous allons pouvoir faire travailler en binôme avec des accompagnateurs vers l’emploi. Si ce pragmatisme est décliné de cette façon, il peut générer de belles avancées pour le retour à l’emploi et l’inclusion sociale.
Liens utiles :
> La Varappe (Aubagne) fête ses 30 ans au service de l’insertion professionnelle
> Evolio veut redonner confiance aux femmes avec « You go girls »