Le site de TotalEnergies de La Mède situé en bordure de l’étang de Berre, sur la commune de Châteauneuf-les-Martigues, poursuit sa transformation entamée en 2015 avec le lancement du projet de bioraffinerie. Fin 2016 le raffinage du pétrole brut s’arrête, remplacé par des intrants biologiques afin de produire des biocarburants. C’est la première usine du genre en France, pionnière européenne et mondiale.
Une visite pour la presse organisée sur le site mardi 28 janvier a permis de faire un point sur les chantiers en cours sur un site qui a démarré en 1935 avec l’arrivée des premières unités de raffinage. Après le développement, porté tout au long du 20e siècle par l’avènement du pétrole, le 21e siècle a changé la donne.
« A partir des années 2010, il a fallu trouver un nouvel avenir pour le site, en raison des difficultés du raffinage en Europe » explique Philippe Billant le directeur de la plateforme depuis 2021. Pour diminuer les émissions, TotalEnergies a investi ici « à partir de 2015 environ 400 millions d’euros pour produire des biocarburants et répondre aux enjeux de la transition énergétique » explique l’industriel. La bioraffinerie démarre en 2019 dans des conditions compliquées avec différentes contestations sociales et écologiques, liées en particulier à l’approvisionnement en huile de palme internationale, une ressource pointée du doigt pour son effet sur la déforestation.
Mais bon an mal an la bioraffinerie s’installe dans le paysage en valorisant ses vertus environnementales et d’économie circulaire pour « produire du bio-diesel (nom générique HVO pour Hydrotreated Vegetable Oil, ndlr) qui émet jusqu’à 90% de moins de CO2 que son équivalent fossile. » Parallèlement les émissions propres au fonctionnement de l’usine sont drastiquement réduites. « Dans cette étape, on a diminué l’empreinte carbone de 80% en passant d’environ 1,2 million d’émissions à 230 000 tonnes » avance Jean-Michel Diaz, le délégué Provence Alpes Côte d’Azur Corse de TotalEnergies.
Les débouchés : les mobilités diesel sans changer de flotte…
Quid du marché ? Alors que La Mède est toujours la seule usine de production de HVO en France, Philippe Billant assure que la demande en bio-carburants est croissante comme par exemple dans le monde agricole. « On offre aux agriculteurs la possibilité de substituer le HVO au diesel sans avoir à modifier quoi que ce soit sur le tracteur. » Autres marchés : les bus, les bennes à ordures, toutes les mobilités diesel routières et maritimes sont concernées. « Le HVO a donc un double intérêt : il permet de décarboner jusqu’à 90% des émissions et il prolonge la durée de vie des véhicules. On améliore le bilan global. Vous avez des collectivités territoriales qui n’ont pas les moyens de changer toute une flotte pour de l’électrique par exemple car cela coûte cher. Nous apportons une solution immédiatement disponible qui permet de décarboner sans un euro d’investissement. La première collectivité territoriale en France qui a basculé toute sa flotte de bus à l’HVO, c’est Cannes Pays de Lérins » cite en exemple Jean-Michel Diaz.
TotalEnergies revendique aujourd’hui plus de 600 clients professionnels en France. Cette année, un coup d’accélérateur est attendu avec l’installation de pompes HVO dans les stations AS24 (filiale de TotalEnergies) dédiées aux poids-lourds. L’arrivée du HVO100 dans la station AS24 multi-énergies de Plessis-Pâté en septembre 2024 a marqué en effet pour le réseau de distribution le début d’un déploiement annoncé en France de plus de 15 stations en 2025. La Mède a la capacité de fournir la demande avec 500 000 tonnes de carburants par an. La production actuelle atteint 400 000 tonnes « essentiellement pour des raisons de montée en puissance progressive » observe le directeur du site.
… et l’aviation avec le Saf
Dans la ligne de mire de TotalEnergies, il y a aussi le Saf (sustainable alternative fuel) destiné au transport aérien, un marché naissant qui pourrait accélérer dans les prochaines années avec une réglementation européenne qui évolue par palier pour intégrer le bio-kérosène (norme passée à 2% en 2025, 6% en 2030). « Notre HVO avec un procédé complémentaire de raffinage peut être transformé en “bio-kérosène” pour les avions » explique Philippe Billant.
Mais l’Europe a décidé d’attendre 2030 pour franchir le palier de 6%… « Entre 2025 et 2030, il ne va donc rien se passer » regrette Jean-Michel Diaz. « Or si l’on veut permettre un développement industriel durable autour de ces produits, il faut éviter une sous-utilisation de nos unités de production et monter les paliers plus progressivement, par exemple d’un pourcentage par an. Ce qui aboutira au même résultat final, en évitant des tensions sur le marché par le passage brutal à 6%, tout en favorisant la production sur notre territoire national. On aura investi avec une demande en hausse chaque année. » Mais le coût de ce carburant vert est supérieur au kérosène fossile ce qui entraîne des surcoûts pour les compagnies qui pourraient les répercuter sur les prix des billets.
La Mède mise tout de même beaucoup sur ce marché. Le co-proccessing de transformation du HVO en bio-kérosène se réalise aujourd’hui dans la raffinerie TotalEnergies de Normandie mais l’usine provençale va disposer au premier semestre de cette année de son propre équipement capable de fournir les besoins locaux. Le compagnie a d’ailleurs signé un partenariat avec l’aéroport Marseille Provence pour le fournir en Saf. « Vous n’avez pas un autre schéma en France où un lieu de production est aussi proche d’un aéroport. C’est un vrai avantage pour l’aéroport Marseille Provence car il va proposer un meilleur bilan carbone aux compagnies aériennes grâce à ce circuit court » observe encore Jean-Michel Diaz.
TotalEnergies La Mède : un site diversifié
Parallèlement à sa transformation, le site a diversifié ses activités au cours des dernières années. Un centre de formation, baptisé Oleum, a ouvert ses portes en 2017. C’est un plateau technique à taille réelle pour que les salariés de l’énergie et de l’industrie se forment sur le terrain. Le centre accueille jusqu’à 2500 stagiaires (environ 50% TotalEnergies, 50% externes) chaque année affirme TotalEnergies. Des partenariats notamment avec France Travail ont été développés pour accueillir des publics en recherche d’emploi qui deviennent après la formation des opérateurs industriels. « Après leur diplôme, ils trouvent tous un travail sur le pourtour de l’étang de Berre » souligne Jean-Michel Diaz, par ailleurs président du GMIF, le Groupement maritime industriel Fos et sa région. Oleum est aussi devenu un centre de formation des apprentis.
Comme un symbole de la transition énergétique en cours, La Mède accueille aussi une ferme solaire depuis 2018 d’une puissance de 8 MW, une façon de démontrer la possibilité de réutiliser des terrains industriels en faveur des énergies renouvelables. Autre équipement : une unité de production d’AdBlue, l’additif pour les utilisateurs de moteurs diesel. Enfin, l’usine héberge toujours une plateforme logistique pour ses clients historiques dans la distribution d’essence et de gasoil en utilisant la capacité de stockage de ses bacs.
Une plateforme de recherche et développement
Une plateforme de recherche avec Veolia sur les algues pour la capture de CO2 a été installée un temps sur le site pour alimenter la recherche. L’objectif était de tester l’utilisation des algues comme une ressource dans les biocarburants. Les installations de recherche ont depuis été démontées et les résultats alimentent la recherche des deux groupes. A ce stade il n’y a pas de projets de production à grande d’échelle dans ce domaine. Autre projet, Ecoslop Provence lancé en 2019 qui visait à récolter et exploiter les déchets pétroliers des bateaux du port de Marseille pour les recycler. TotalEnergies a réintégré l’activité dans son périmètre début 2024 pour adapter les équipements à la production de Saf.
« La Mède est un très bon exemple de transformation industrielle réussie : le site est passé d’une raffinerie de pétrole à une usine de production d’énergies renouvelables, les biocarburants avec un maintien de l’emploi industriel en région » se félicitent les responsables de TotalEnergie. Le président de la compagnie, Patrick Pouyanné, qui vient de présenter les résultats annuels 2024 du groupe aime d’ailleurs y venir régulièrement.
Passer au tout résidu sans les huiles végétales…
Car le groupe international continue d’investir fortement. Lors du grand arrêt du site pour maintenance l’année dernière, TotalEnergies annonce avoir mobilisé 70 millions d’euros supplémentaires (changement de la métallurgie face à la corrosion, adaptation des unités de pré-traitement de déchets, etc) pour passer à terme la bioraffinerie en 100% traitement de déchets de l’économie circulaire, à savoir des huiles alimentaires usagées, des graisses animales et résidus, toutes matières en provenance de France ou de pays européens. Il reste encore aujourd’hui 25% d’huiles végétales françaises. L’ambition est de s’en séparer complètement dans les prochaines années.
La nouvelle grande étape est la décarbonation de l’énergie hydrogène (nécessaire au fonctionnement de la raffinerie) encore d’origine fossile vers de l’hydrogène renouvelable. « On va arrêter fin 2027 la dernière unité fossile du site » explique le responsable du site de La Mède. « Ce projet va encore enlever 130 000 tonnes de CO2 d’émissions par an » se félicite Jean-Michel Diaz, « ce qui fera de La Mède le premier site industriel français presque neutre en carbone. » Actuellement, la bioraffinerie est alimentée par de l’hydrogène fabriqué à partir de matières premières d’origine fossile, provenant d’une unité de reformage de naphta (45 tonnes/jour) située sur le site industriel de La Mède, et d’imports provenant d’unités de production d’hydrogène exploitées par Air Liquide (5 tonnes/jour) et NaphtaChimie (20 tonnes/jour), situées dans la zone industrielle de Lavéra.
… et à l’hydrogène vert et renouvelable
Deux dispositifs sont planifiés pour se fournir en hydrogène vert et renouvelable. D’une part le projet Masshylia développé avec Engie présenté début 2021. A l’époque, les deux groupes prévoyaient d’alimenter par des fermes solaires un électrolyseur de 40 MW capable de fournir dans un premier temps cinq tonnes d’hydrogène par jour. Le projet a été revu et séquencé en deux phases, avec un premier électrolyseur de l’eau alimenté par de l’électricité renouvelable du réseau RTE d’une puissance de 20 MW qui desservira à la bioraffinerie à l’horizon 2029. Et une deuxième phase, après 2030, prévoit un électrolyseur de 50 MW susceptible de fournir les besoins de la zone industrialo portuaire.
Un deuxième équipement au moyen du reformage du méthane à la vapeur (SMR pour “steam methane reforming”) pour produire 25 000 tonnes par an grâce aux co-produits de la bioraffinerie été annoncé à l’automne, cette fois en partenariat avec le groupe Air Liquide. L’investissement estimé à 150 millions réparti entre les partenaires est prévu pour un démarrage avant Masshylia avec un lancement annoncé dès 2028.
Masshylia : un financement encore incomplet
À ce jour, la structure de financement du projet global, estimée à moins de 300 millions d’euros dont 150 millions pour le projet SMR n’est pas entièrement finalisée. Elle devrait reposer sur les capitaux propres des porteurs du projet (Air Liquide et TotalEnergies pour le bio-SMR, Engie et TotalEnergies pour l’électrolyseur), ainsi que « sur une subvention publique relevant du programme « projets importants d’intérêt européen commun » s’agissant des électrolyseurs, et possiblement sur de la dette contractée auprès d’établissements bancaires. » Des précisions apportées dans le dossier de concertation publique. Celle-ci, après une première étape de concertation préalable, est désormais ouverte à la concertation en continue (voir le dossier ici).
La bioraffinerie de La Mède emploit aujourd’hui 257 salariés (contre 430 avant 2015) auxquels viennent s’ajouter les sous-traitants à hauteur de 150 selon nos estimations.
Clin d’oeil insolite de la nature locale : les fameuses chèvres du Rove semblent apprécier le nouvel environnement industriel. Un troupeau s’invite à l’entrée du site et semble avoir ses habitudes dans le périmètre. Bio jusqu’au bout !
Lien utile :
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