Le sous-préfet d’Istres, Régis Passerieux, impliqué dans tous les dossiers liés à la transformation industrielle de la zone Fos Berre décrypte les conséquences très nombreuses de la loi industrie verte adoptée en octobre. L’objectif général est de pouvoir accélérer et simplifier les démarches afin de répondre aux besoins des industriels qui investissent dans la décarbonation des énergies.
Quels sont les impacts de la nouvelle loi industrie verte sur les projets de la zone Fos-sur-Mer – étang de Berre?
Régis Passerieux : La loi Industrie verte a été promulguée le 23 octobre 2023. C’est une loi qui va accompagner la zone de Fos Berre comme l’une des premières zones industrielles françaises, puisque cette loi a vocation à accompagner la transformation industrielle française et que nous sommes parmi les premières zones concernées.
D’abord, elle va nous permettre de nous insérer dans la stratégie nationale pour une industrie verte sur la période 2023-2030 que l’article 2 de la loi va confier à l’Etat de formaliser en quelque sorte. Ensuite, elle va nous donner, en termes opérationnels, toute une série d’outils qui relèvent de la modification, notamment du code de l’urbanisme et du code de l’environnement pour pouvoir faciliter la réalisation rapide des projets tout en respectant les règles de consultation du public.
L’idée principale est que les procédures qui se déroulaient de manière chronologique entre la phase de consultation publique de la Commission nationale du débat public (CNDP) pour les grands projets, puis ensuite des enquêtes publiques, des procédures d’autorisation environnementale, et quelquefois des procédures beaucoup plus particulières, vont pouvoir être accélérées.
Aujourd’hui on va pouvoir, grâce à ces modifications du code, travailler en temps « masqué » et gagner de précieux mois pour la réalisation des projets industriels tout en gardant le même niveau d’exigence sur le plan des débats publics car il n’est pas question de ne pas respecter les principes d’exigence de consultation du public qui sont à la fois constitutionnels et internationalisés. Disons qu’on va le faire en évitant d’enchaîner les phases administratives, tout en permettant à ces phases de se recouper et d’être plus rationnelles. Il y a des conséquences relativement complexes que nous sommes en train d’analyser car tout cela modifie les codes. Mais il va y avoir un impact majeur.
Outre la modification des codes, la loi introduit aussi l’idée d’un débat public global sur une zone déterminée. En quoi cela consiste ?
R. P. : En effet, l’autre élément très important pour une zone telle que la zone de Fos Etang de Berre est que la loi prévoit la possibilité de faire, sur un territoire délimité et homogène, un débat public global ou une concertation publique globale telle qu’exigée pour les projets, pour les grands projets notamment, conformément aux textes qui régissent le fonctionnement de la Commission nationale du débat public. Jusqu’à présent, on le faisait pour un seul projet. Trois projets sont d’ailleurs actuellement en cours de consultation : Carbon, dont la concertation préalable vient de se terminer ; H2V dont la concertation commence le 9 novembre (*) et puis Gravithy. Ces trois consultations lancées avant la loi industrie verte sont autonomes et séparées alors qu’elles sont quand même très, très connectées, ne serait-ce que parce qu’elles sont sur le même site (la zone du Caban-Tonkin à Fos, ndlr).
« Pouvoir placer les différents projets industriels dans une analyse globale, systémique »
Régis Passerieux
L’article cinq de la loi va nous permettre d’avoir un débat global pour l’ensemble du domaine de la zone Fos-Berre, et donc de pouvoir analyser les projets qui vont arriver, de pouvoir les placer dans une analyse globale, systémique si je puis dire, en tout cas, coordonnée, interactive entre eux et de pouvoir les poser dans une vision d’ensemble, devant les parties prenantes du territoire et le public.
Pour cela, il faut qu’il y ait des personnes publiques, au moins l’État, qui saisissent la CNDP pour provoquer le débat et analyser tous les dossiers, tous les projets qui vont y entrer. Ces derniers vont être réputés satisfaire à leurs obligations d’avoir une eu une concertation et un débat public approfondi au sens de la CNDP et ce pour les huit années à venir. Je dirais même que si des projets nouveaux qui correspondent à cette même philosophie se présentent, il sera possible, sous certaines conditions qu’ils soient couverts par ce débat public. De ce point de vue, le territoire Fos – Berre sera en pointe, comme il a été toujours en pointe d’ailleurs en termes de concertation environnementale et grand public avec S3PI, puis après Réponses, avec l’observatoire Revela 13, ou encore avec Atmosud. Ce territoire a toujours été totalement pilote en France en termes de concertation de l’impact industriel.
Nous serons très probablement le premier territoire de France à porter ce débat global qui va permettre non seulement d’accélérer peut être les délais de réalisation des projets pour cette transition, mais aussi de donner au public une vision plus globale de la concertation au lieu de les voir se succéder une après l’autre, sans avoir de tableau d’ensemble. Or ce tableau d’ensemble est demandé par les populations.
Quelles sont les autres dimensions de la loi ?
R.P : La loi précise aussi de nombreuses notions comme l’économie circulaire en précisant les notions de déchets recyclables, réutilisables. Et c’est très important. Le dossier permettra de traiter le problème des friches industrielles en apportant des possibilités de faciliter la réutilisation des anciennes friches industrielles. Elle permettra de prévoir des sites naturels de compensation, de restauration, de renaturation. Donc elle va faciliter, avec des outils nouveaux, la démarche de compensation environnementale qui souvent pouvait être un blocage. Elle veut définir des projets nationaux et d’intérêt national majeur dans lesquels on pourra avoir une sorte d accélération plus rapide des projets, mais aussi de mise en conformité des différentes règles d’urbanisme pour pouvoir les réaliser très vite. Ces projets seront labellisés par décret par l’État pour leur intérêt stratégique national. Et puis encore diverses mesures sont prévues pour faciliter le financement des projets notamment par un appel public à l’épargne pour l’industrie verte.
Les décrets d’application sont-ils parus ?
R.P. : Non pas encore, mai beaucoup de dispositions de cette loi ne font pas appel à ces décrets. Et sont d’application directe tout au moins les modifications du code de l’environnement et de l’urbanisme. Et ainsi, par exemple, le débat global ne nécessite pas de décrets d’application.
Est ce que l’on peut mesurer le temps que cela peut faire gagner avec cette loi ?
R.P. : Il faudrait regarder l’étude d’impact de la loi. Je ne l’ai pas sous les yeux. Je pense que le gain peut se chiffrer à un ou plusieurs semestres.
Est-ce que cela veut dire que les blocages souvent liés au recours sont derrière nous ?
R.P. : Non, la loi n’exonère pas des recours et des droits aux recours. Et de ce point de vue là, la loi n’apporte pas d’éléments nouveaux.
Vous évoquiez la qualification de projets d’intérêt majeur. Comment vont-ils être définis et que change leur labellisation ?
R.P. : Il s’agit des projets industriels qui, eu égard à leur envergure en termes d’investissements, d’emplois ont une importance particulière soit pour la transition écologique, soit pour la souveraineté nationale. Il faudra un décret pour la qualification. L’intérêt est de permettre des procédures de mise en compatibilité rapides des documents d’urbanisme, c’est à dire des plan locaux d’urbanisme, des Scot (schémas de cohérence territoriale) et le Sraddet ( schéma régional d’aménagement et de développement durable du territoire) pour la région. Cela nous évite de passer par de longues procédures de révision. Et donc ces projets auront la possibilité d’obtenir une mise en conformité quasiment instantanée.
Est ce que est ce qu’il y a un impact sur la loi zéro artificialisation net ?
R.P : Ce n’est pas dans cette loi mais dans une loi modificative, adoptée il y a quelques semaines, de la loi Zéro artificialisation net (ZAN). Des dispositions prévoient en effet que pour certains projets, qui ne concernent pas que l’industrie verte, il y a la possibilité de bénéficier d’une part du quota national de surfaces non consommatrices de ZAN. Il y aura une enveloppe nationale avec une péréquation selon les différentes régions en fonction des projets qui ont un intérêt stratégique en termes de transition écologique, d’intérêt de renouveau industriel et de stratégie industrielle. Les ministères sont en train de d’interroger les différents opérateurs publics, par exemple le Grand port maritime de Marseille, les préfectures, les grands opérateurs type la SNCF, etc. pour recenser tous ces projets et pouvoir ainsi arrêter la liste des projets qui entreront dans ce quota.
Quel est le calendrier pour attribuer ces quotas ?
R.P C’est en cours. Je pense que ce sera finalisé au cours du 1er semestre de l’année prochaine.
Vous avez évoqué le sujet de la compensation environnementale. Qu’apporte la nouvelle loi ?
R.P. : Souvent, les processus de compensation environnementale nécessitent d’abord d’avoir un bon diagnostic. Il y a des études quatre saisons. Quatre saisons, comme son nom l’indique, c’est une année déjà en terme d’observation des espèces végétales et animales. Ensuite, il faut trouver des endroits en compensation, à renaturer. Soit des zones sèches comme La Crau pour nous, ou des zones humides sur les bords de littoral ou de typologie camarguaise. Il faut qu’on soit capable d’aller plus vite.
Compensation environnementale : « utiliser des opérateurs qui peuvent mutualiser les terrains et les services »
Régis Passerieux
Ces compensations, doivent-elles se situer forcément sur la zone impactée dans le territoire ?
R.P. : Elles doivent se situer à proximité. Mais il n’y a pas dans le code de l’environnement de précisions supplémentaires. Elles doivent surtout être de même nature. Donc, pour réaliser cette compensation, la nouvelle la loi suggère de pouvoir utiliser des opérateurs qui peuvent mutualiser et acheter des terrains. Et puis les mettre à disposition, clés en mains en pour des actions nouvelles de renaturation. Ces terrains seront disponibles sur plusieurs années et seront définis en rapport avec leurs caractéristiques biologiques, environnementales et de biodiversité. Donc nous sommes en train de travailler avec la Métropole, le port et les différents acteurs pour être dès que possible en mesure construire des outils de ce type. L’objectif est d’aboutir dans les mois qui viennent. Il s’agit d’identifier des opérateurs qui existent déjà ou d’en créer, d’identifier des sites disponibles et de construire des services avec les opérateurs.
Demain la suite de notre entretien avec Régis Passerieux : quel pilotage pour les projets de la zone de Fos – Berre ?
(*) Entretien réalisé le 6 novembre 2023.
Lien utile :
> Notre dossier sur les projets industriels à Fos et autour