Plus que toute autre ressource, l’eau est essentielle à la vie humaine. Si en Provence, par exemple, son accès semble presque naturel et inaliénable, cela n’est pas le cas pour une majorité de la planète. Or, avec une population mondiale qui ne cesse de croître – et qui devrait se fixer autour de 10 milliards d’individus d’ici à la fin du siècle – le Conseil mondial de l’eau dont le siège est à Marseille concentre ses efforts sur deux axes prioritaires : plaider pour l’augmentation de la ressource en eau, et promouvoir un usage économe.
Ce sera là un thème central, l’an prochain du Forum mondial de l’eau de Dakar (22-27 mars 2021), dans un contexte où l’écart entre l’offre et la demande en eau continue à se creuser. Ainsi dans les faits, le nombre de personnes éprouvant des difficultés à accéder à l’eau augmente chaque jour. Face à ce constat alarmant, le virage opéré dans de nombreux secteurs par la révolution numérique et digitale est un facteur d’espoir pour l’amélioration de l’accès à l’eau et à l’assainissement dans les régions du globe les plus à l’écart.
Les technologies numériques au service de l’optimisation du cycle de l’eau
De fait, chaque étape du grand cycle de l’eau comporte en elle un potentiel d’innovation et d’amélioration grâce au digital. L’adduction, la production, le traitement et la distribution, c’est tout la chaîne de valeur qui est potentiellement impactée et améliorable.
Exemples d’application des technologies numériques au grand cycle de l’eau
> L’utilisation de capteurs par exemple pour détecter la pression, les fuites, les pertes en eau sur tout le réseau
> Le télé-contrôle pour optimiser et assister l’exploitation
> La prévision pour annoncer les événements météorologiques
> Le traitement des données pour comprendre la demande, adapter l’offre, optimiser la facturation et les tarifs
> L’optimisation des process pour améliorer l’efficacité et les rendements énergétiques
> La réalité augmentée pour concevoir de nouvelles usines et des réseau
> Et toutes sortes d’outils mobiles basés sur l’évolution des smartphones et des ordinateurs portables qui vont jouer, pas à pas, un rôle majeur.
Ainsi, le potentiel d’amélioration du cycle de l’eau permis par la révolution numérique et digitale n’est pas une vue de l’esprit. Dans les faits, ces technologies permettent de resserrer le lien entre le service offert et le consommateur. Ces outils autorisent également une décentralisation des compétences et de la décision, qui permet une gestion de l’eau au plus près des usages et des besoins locaux et au service des territoires. En cela, le digital rapproche le citoyen du décisionnaire, et engendre un processus participatif bénéfique à la démocratie locale. Et ce qui vaut pour l’eau vaut également pour l’assainissement, les déchets, l’air ou encore l’énergie.
Pour un usage raisonné de la technologie au service de l’homme
Néanmoins en la matière, il convient de se garder de tout angélisme. Car le progrès technologique comporte ses limites et ses dangers, et un point d’équilibre est à trouver. « Mettre la technologie au service de l’humain, et non pas l’inverse, voilà la conduite à tenir » rappelle Loïc Fauchon, le président du Conseil mondial de l’eau (lien vers l’éditorial). Un usage maîtrisé de la technologie doit toujours prévaloir, d’autant plus face aux risques que fait peser la cybersécurité sur un cycle de l’eau qui serait devenu trop dépendant des technologies digitales.
Comme tous les secteurs stratégiques, l’eau n’est pas épargnée par les cyber-attaques. La capacité de nuisance de ces pirates du XXIe siècle est potentiellement très grande, et une dépendance trop grande des autorités publiques envers les technologies digitales pourrait leur permettre de tout bonnement paralyser l’entièreté du grand cycle de l’eau. Comment en effet exploiter une unité de traitement si son système informatique est piraté ? Comment remédier efficacement aux fuites d’un aqueduc si le réseau de capteurs déployé sur l’infrastructure ne répond plus ?
Ces risques sont concrets, et font peser un réel danger sur les populations qui dépendent d’une distribution extérieure en eau – les mégapoles en premier lieu. Or la machine digitale peut toujours s’emballer, et faire perdre le contrôle de la gestion de l’eau. On ne peut hélas que trop bien imaginer les conséquences dramatiques sur une population de pollutions malveillantes ou encore de défauts d’approvisionnement – risques qu’on ne peut minorer au moment de déployer les technologies sur l’infrastructure qui commande le cycle de l’eau.
Repenser les politiques publiques de l’eau pour mettre à profit les avancées digitales
Finalement, l’application des technologies digitales au grand cycle de l’eau ne doit pas exonérer les autorités publiques d’une réflexion sur le bien-fondé et le devenir de leurs politiques publiques de l’eau. En effet, le digital n’est pas la réponse à tout. Car ce sont avant tout des choix politiques et démocratiques qui décideront de la manière dont l’humanité prendra en charge ce défi majeur qu’est un accès à l’eau équitable et durable pour tous.
En la matière, le Conseil mondial de l’eau plaide en faveur d’un lien entre rural et urbain repensé. En affectant toute leur attention et leurs moyens aux “Smart Cities” – qui dans la réalité sont plus souvent enfers urbains que paradis – les autorités publiques ignorent souvent que c’est d’abord dans les territoires ruraux que l’on assure la sécurisation de l’eau, l’assainissement, la nourriture, l’énergie et la santé. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas également chercher à développer des “smart rural areas”, des zones rurales intelligentes ?
Miser sur le développement rural, c’est en effet prendre acte du fait que ce sont les zones naturelles et agricoles qui pourvoient aux besoins essentiels des villes. Face à une forme de dictature du monde urbain, les gouvernements peuvent inverser la tendance. Cela passe aussi par une évolution de notre perception de la réserve d’eau, qui ne saurait se limiter à l’image du barrage. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de bloquer l’écoulement de l’eau, mais la valoriser l’entretenir, la restaurer.
Voilà pourquoi le Conseil mondial de l’eau défend le concept de « réservoirs d’eau et de biodiversité », des aires de conservation qui doivent permettre un développement harmonieux pour la vie, la protection de la faune et de la flore. Nous avons désormais cette formidable chance d’avoir des solutions à disposition, il reviendra à toutes les structures de décision au niveau mondial, national et local de les mettre en oeuvre au bénéfice de tous.
A lire demain, l’éditorial de Loïc Fauchon,
le président du Conseil mondial de l’eau
Le saviez-vous ?
80 % des eaux usées dans le monde seraient rejetées dans le monde sans aucun traitement. C’est un rapport de l’Unesco intitulé “Les eaux usées, une ressource inexploitée” publié en 2017 qui l’affirme. A l’inverse, la demande mondiale en eau douce pourrait augmenter de 50% d’ici 2030. Ainsi, le retraitement des eaux usées s’impose comme l’une des solutions d’avenir pour préserver la ressource. Pour cela, les technologies digitales seront fortement mobilisées sur l’ensemble de la chaîne de la valeur, notamment dans l’optimisation des réseaux d’eau et le développement d’objets connectés permettant d’améliorer le comptage et de s’adapter aux usages.
Liens utiles :
> [Au fil de l’eau] : nos précédentes chroniques. L’eau, l’énergie, la nourriture, la santé, l’éducation : même combat ! et Marseille-Dakar : rendez-vous pour le 9eForum mondial de l’eau en 2021
> Le site du Conseil mondial de l’eau