En Provence, le soleil est une promesse, mais il devient parfois une menace. Là où l’eau fut longtemps une évidence, elle devient aujourd’hui un enjeu, une alerte, un combat. Depuis 2023, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur mène la bataille de l’eau à visage découvert, avec son Plan Or bleu. En 2025, cette stratégie entre dans une nouvelle phase, plus ambitieuse, plus structurée, plus visible.
« Aujourd’hui, ce Plan permet non seulement d’anticiper les besoins mais aussi de mieux maîtriser les effets des épisodes climatiques de plus en plus intenses », a souligné Bénédicte Martin, vice-présidente de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur en charge de l’agriculture, viticulture, de la ruralité et du terroir, lors d’un nouveau bilan étape, le 18 avril dernier.
Une situation hydrologique maîtrisée, mais…
Bonne nouvelle, « il y a de l’eau en région Sud ! », explique-t-on. Et ce, grâce à un printemps très humide. Les retenues EDF sur le Verdon sont pleines, la fonte des neiges s’annonce correcte, garantissant « la bonne disponibilité des stocks de la Concession régionale du Canal de Provence pour la saison estivale », et les pluies « exceptionnellement abondante » de début d’année ont dopé les nappes phréatiques. A mi-avril, le département des Bouches-du-Rhône totalisait un cumul agrégé de 127 mm contre 35 normalement, 169 mm contre 55 pour le Var, 126 mm contre 49 pour le Vaucluse.
Les départements alpins affichaient également des cumuls agrégés conséquents, allant de 100 mm pour les Hautes-Alpes, à près de 175 mm pour les Alpes Maritimes. Ce qui a fait dire à Pascal Jobert, chef de projet sécheresse à la Direction régionale de l’environnement (Dreal) qu’il était « assez serein cette année. L’ensemble de la région a été arrosé, des massifs alpins au littoral et d’est en ouest. Les sols se sont logiquement largement humidifiés. »
Economiser l’eau et la stocker, deux axes « fondamentaux » du plan Or Bleu
Mais cette photographie est trompeuse, tempère Bénédicte Martin. Le climat, lui, continue de basculer. Les sécheresses, désormais récurrentes, s’invitent au cœur du printemps. Et surtout, nos usages n’ont pas changé au rythme du dérèglement. « Nous ne manquerons pas d’eau mais face au réchauffement climatique amenant sécheresse et inondations, nous nous inscrivons dans une trajectoire à moyen et long terme », a-t-elle souligné.
C’est bien tout l’intérêt de ce plan Or Bleu, lancé dans la foulée des canicules et pénuries d’eau qui ont marqué les esprits, en 2022, et pour lequel la Région, qui dispose de 46 000 km de fleuves et de rivières, investit chaque année 65 M€. « On a eu cette alerte en 2022 où l’eau semblait beaucoup moins présente, a justement rappelé Patrick Lévêque, l’ancien président de la Chambre d’agriculture des Bouches-du-Rhône. On a bien compris l’intérêt de faire des économies d’eau. »
Et des stocks : « On sait qu’à l’avenir, on aura 10% d’eau en moins sur l’année, avec de fortes précipitations l’hiver et des sécheresses l’été, abonde Benoît Moreau, directeur du développement de la Société Canal de Provence (SCP), détenue à 80% par les collectivités locales. L’intérêt des stocks est fondamental. »
751 M€ d’investissements jusqu’en 2038, via la Société Canal de Provence
Derrière les mots, des actes : d’ici 2026, 100% des bâtiments administratifs de la Région seront équipés pour économiser l’eau. Depuis 2024, les particuliers peuvent être aidés pour installer des récupérateurs d’eau de pluie. Et les fuites dans les réseaux ? Traquées et corrigées grâce à des aides ciblées.
En 2024, ce sont ainsi 150 M€ qui ont été octroyés pour développer de nouveaux réseaux et 11 projets soutenus à hauteur de 10 M€ sur des fonds publics. « C’est le cas notamment sur le plateau de Valensole pour de l’agriculture, de l’eau potable ou de la défense incendie à hauteur de 11,7 M€. Ce sont 2 M€ pour développer à Valensole le réseau d’eau potable. C’est aussi dans la vallée du Jabron à hauteur de 3,7 M€ pour maintenir l’activité agricole », a précisé Benoît Moreau.
« Les investissements pour répondre à tous ces objectifs sont de 751 M€ jusqu’en 2038. Ils représentent plus de 26 000 hectares de surface agricole équipés à l’irrigation entre 2020 et 2038 », a rappelé Bénédicte Martin, présidente de la SCP, qui détient jusqu’à cette date un contrat de concession avec la Région concernant la sécurisation de l’approvisionnement en eau de la Provence.
Des eaux usées aux eaux utiles : une révolution discrète
Mais le vrai basculement est peut-être ailleurs. Discret, presque invisible. Il s’appelle REUT : Réutilisation des Eaux Usées Traitées. Un sujet technique, mais qui pourrait bien être le Graal de la résilience hydrique.
La Région vise un objectif clair : 10% de réutilisation d’ici 2030, soit 50 millions de m³. Pour cela, elle a tissé des alliances avec les géants de l’eau (Suez, Veolia), la SCP et l’université d’Aix-Marseille. Elle finance également à 80% une étude stratégique pour structurer cette nouvelle filière. En parallèle, elle crée un Comité des partenaires de la réutilisation, preuve que le sujet n’est plus seulement expérimental, mais devient structurel. Des expériences sont ainsi menées sur la réutilisation des eaux usées à Nice ou dans le Var.
La révolution du goutte-à-goutte
Il serait illusoire de penser l’eau sans parler des champs. En région Sud, les cultures irriguées génèrent 70% de la valeur agricole, mais absorbent aussi les deux tiers de l’eau consommée. Modernisation des canaux, extension des réseaux intelligents, recours au Feader (Fonds européen agricole pour le développement rural), avec 13 millions d’euros déjà engagés sur la période 2023-2027… En dix ans, plus de 127 projets ont été soutenus, hors Canal de Provence.
L’objectif est double : sécuriser les volumes et optimiser les usages. « Cela s’est effectué via la modernisation des réseaux d’irrigation et aussi par la pratique d’irrigations vertueuses via le goutte-à-goutte », souligne Patrick Levêque. « Il y a dix ans, 94 000 hectares étaient irrigués, rappelle Bénédicte Martin. Aujourd’hui, ce sont 126 000 hectares. Pourtant, on a économisé 29 millions de m3 d’eau en modernisant et en améliorant la distribution. »
Provence bleue : 1,7 Md € pour un tunnel sous l’étang, une promesse d’avenir
Et le meilleur, ou le plus prometteur, reste sûrement à venir. Son nom : le projet Provence bleue. Un nom poétique pour un chantier titanesque. Le principe ? Détourner une partie des eaux de la Durance, qui aujourd’hui se jettent dans l’étang de Berre, pour les acheminer vers le Rhône via un tunnel, un canal et un immense bassin. « Il s’agit tout d’abord de diviser par deux les apports d’eau douce de la Durance vers l’étang de Berre, et de réduire les sédiments dans l’étang de Berre, aujourd’hui néfastes à son équilibre », a rappelé Bénédicte Martin. Il a aussi pour but d’accroître la production d’électricité renouvelable et d’acheminer l’eau douce vers le Rhône pour de nouveaux usages industriels, agricoles et urbains.
« L’étang de Berre souffre, l’industrie a soif, les terres s’assèchent. Avec Provence bleue, nous répondons à ces trois enjeux en un seul geste territorial », résume Renaud Muselier, le président de la Région Sud.
Co-présidé par la Région et le Comité stratégique Berre, preuve d’un portage politique fort, le projet, d’un coût total estimé à 1,7 milliard d’euros, prévoit la création d’une nouvelle infrastructure hydraulique entre l’usine hydroélectrique de Saint-Chamas et le Rhône, produisant 460 GWh d’énergie renouvelable, soit l’équivalent de la consommation de 200 000 personnes. Il intégre un tunnel de 6,5 km sous l’étang de Berre, un canal à ciel ouvert de 15 km jusqu’au Rhône, un bassin de démodulation de 170 hectares, servant à la fois de réserve d’eau (3 à 4 millions de m³) et de régulateur hydraulique, et une station de pompage. Sa mise en service est prévue pour 2035.
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