Benoît Payan s’est envolé lundi pour Paris où il comptait bien apporter son grain de sel marin à la salade niçoise que s’empressaient de concocter les forces de gauche. Il avait imploré avant ce voyage la France d’imiter la ville qu’il dirige, en faisant éclore un nouveau printemps à l’échelle de l’Hexagone. Il précisait au passage qu’il convenait d’exclure « ceux qui utilisent les colères et les fractures ».
On ne sait si le socialiste ne visait que l’extrême droite avec ces mots, lui qui avait dû subir quelques heures auparavant l’injonction d’une manif conduite par les Insoumis réclamant la fin d’un jumelage avec Haïfa, ville israélienne hautement symbolique puisque son maire est socialiste et qu’elle abrite le centre culturel Gaston Defferre où fut installé en 2019 un arbre de la Paix. Péripétie, diront ceux qui ont balayé avec morgue une des cinq conditions portées par Raphaël Glucksmann – « un rejet de la brutalité de la vie politique, des insultes, des fake news, des calomnies » – pour redonner vie à l’union de la gauche. La saison politique qui s’annonce n’aura rien de printanière et c’est déjà un été torride qu’on peut prévoir les 30 juin et 7 juillet prochains.
Le Printemps marseillais a-t-il encore quelques atouts pour rivaliser avec le Rassemblement National et la France Insoumise ? A regarder de près les chiffres du scrutin dominical on peut émettre quelques doutes. Jordan Bardella, le Premier ministre désigné par Marine Le Pen, qui ne doute pas de l’amplification de sa dynamique, a réalisé des scores pharaoniques dans les quartiers les plus défavorisés de Marseille. Plus de 30% sur l’ensemble de la ville soit, si l’on considère que ces européennes étaient une répétition générale des législatives annoncées, une avance confortable sur les partis de ce que l’on appela un temps « l’arc républicain ».
Européennes : cette élection qui en cachait une autre…
En 1985, Marseille avait donné au Front National son premier élu départemental, Jean Roussel
Certaines pages de l’histoire de cette ville réputée rebelle sont là pour rappeler qu’ici, autour du Vieux Port, la vérité d’aujourd’hui ne vaut pas à coup sûr pour demain. Mais on se souvient qu’en 1985, Marseille avait donné au Front National son premier élu départemental, Jean Roussel passé de l’Action Française à la formation lepéniste. Une année plus tard, elle envoyait au palais Bourbon quatre députés frontistes (Arrighi, Doménech, Perdomo, Roussel). Le Rassemblement national a depuis prospéré. Il s’est enraciné sans bruit dans les milieux les plus sensibles à la crise économique, l’insécurité, les lendemains sans horizon.
On se consolerait à tort, à gauche notamment, en rappelant que la ville a été conquise par le Printemps marseillais. On n’aura pas la cruauté de rappeler du coup aux écologistes – humiliés dans les urnes dimanche dernier – le tour de passe-passe qui a fait virer en quelques semaines après la divine surprise d’une élection municipale gagnée, le vert en rose. Les élections européennes sont venues corriger brutalement la réalité du terrain électoral.
Le parti socialiste marseillais est toujours en difficulté et le talent communicationnel de son représentant, Benoit Payan, n’a pas été suffisant pour enrayer sa chute.
La France insoumise (LFI), qui ne participe pas à la gouvernance municipale, a par contre triplé son score dans la cité phocéenne ce qui ne devrait pas pacifier les négociations en cours, pour imposer l’union de la gauche dans chaque circonscription. Manuel Bompard, le clone de Mélenchon, revendiquera plus la vérité des chiffres plutôt que la force des idées pour imposer sa loi.
A droite, on n’aura pas eu le temps de sécher ses larmes après la disparition de Jean-Claude Gaudin, qu’il faut mesurer la béance qui tient lieu d’héritage. La ville où triomphent LFI et le RN ne laisse que la portion congrue à ceux qui avaient, il y a si peu de temps encore, tous les leviers en main, du local au régional en passant par l’aire métropolitaine et le département. Dans ce champ de ruines, il faut avoir la foi du charbonnier pour croire à une renaissance prochaine. Ou comme son chef de file, Eric Ciotti, avaler son chapeau à plumes bleu-blanc-rouge pour s’abriter sous l’étendard bleu marine qui flotte sur plus de 33 000 communes. Renaissance (ex-La République en marche) n’a jamais su s’organiser, ici et ailleurs, en parti. Elle s’est inscrite aveuglément dans le sillon que traçait, sans la consulter, son laboureur infatigable, Emmanuel Macron. Elle se retrouve comme la cigale, fort dépourvue alors que la sècheresse électorale la guette.
Tous s’accordent cependant à reconnaître que la ville réelle est venue rappeler qu’elle souffrait, désespérait, ne décolérait pas. Et que pour emprunter à Ovide, il y a plus de souffrances dans ce désamour que coquillages sur la rive.
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