A son arrivée à la Ville de Marseille, le Printemps Marseillais a entamé une vague de préemption des commerces, avec l’objectif de donner un nouveau visage au centre-ville mais aussi d’autres quartiers, puisque le périmètre du droit de préemption a été élargi en début de mandat à l’ensemble de la ville. La procédure de préemption permet à la municipalité d’être prioritaire pendant deux mois dans une cession de fonds de commerce. Dernière préemption en date, celle du cinéma le César, place Castellane à Marseille. Mais la stratégie de la Ville pour réinsuffler du dynamisme dans les commerces marseillais ne repose pas uniquement sur la préemption. L’adjointe en charge du commerce et de l’artisanat Rebecca Bernardi (Printemps Marseillais) détaille à Gomet’ cette stratégie et esquisse les projets à venir.
A son arrivée, la majorité municipale a décidé de renforcer sa politique de préemption commerciale. Pourquoi choisir de préempter les commerces du centre-ville plutôt que de laisser le commerce s’auto-réguler ? A ce jour, combien de commerces ont été préemptés par votre majorité ?
Rebecca Bernardi : Nous agissons en préemption dès qu’il y a une opportunité ou, à l’inverse, une menace. Dans le cas de ma première préemption, le 117 Canebière en 2021, il y avait un risque d’avoir un commerce avec une activité portant atteinte aux mœurs. Depuis le début de la mandature, nous avons aussi élargi le périmètre du droit de préemption, jusqu’alors concentré sur l’hyper-centre, à l’ensemble des 111 noyaux villageois.
Lorsqu’on préempte, on exclut certaines destinations pour les fonds de commerce pendant deux à trois mois. Cela nous permet aussi de réaliser des travaux, financés par la Ville, afin de retrouver des locaux sains, car dans la majorité des cas les locaux préemptés sont en très mauvais état… Deux ans après, la Ville rétrocède : on sort du marché. Généralement, l’activité que nous avons implantée entre temps se pérennise et les relations avec le propriétaire des lieux sont bonnes.
A ce jour, neuf préemptions sont en cours et huit autres sont achevées, dont certaines engagées sous l’ancienne majorité. Nous feront passer au conseil municipal du 16 février (les propos ont été recueillis mercredi 14 février, ndlr) les cahiers des charges pour deux préemptions aux numéros 45 (ex-André) et 75 (ex-Fantasia) de la Canebière.
Vous avez concentré votre action, au début, sur la Canebière avec le 117, comme vous le mentionnez mais aussi de nombreux autres commerces qui se sont installés suite à votre préemption : la fromagerie Froumai, la sandwicherie Limon … Vous intervenez aussi sur des commerces comme la future Casa Méditerranée (au 50 la Canebière, ex-Piery) sans recourir à la préemption. Pourquoi faire de la Canebière votre priorité ?
R.B. : Pour moi, commencer par la Canebière était une évidence. C’était un beau challenge, complexe car il y a le tramway qui passe sur cette Canebière, l’espace public est donc très contraint. Par exemple, difficile pour les commerces de bouches d’avoir une terrasse…
Le dossier de l’ex-Piery était le plus complexe. Nous n’avons effectivement pas pu agir en préemption. Le propriétaire des lieux, Joseph Malka, a accepté de nous louer le local le temps de trouver une nouvelle activité. Le chef Sébastien Richard a proposé son projet de Casa Méditerranée. Ce n’était pas notre dossier mais il cochait toutes les cases en proposant un lieu de vie, inclusif et mettant la Méditerranée à l’honneur. C’était tout ce qu’on attendait.
La Ville n’est pas la seule à investir la Canebière. On observe également une multiplication de projets privés. Par exemple, le groupe Sebban porte un projet au 8-12 La Canebière, en face de la Chambre de commerce et d’industrie, ou encore le groupe Via Santé qui porte également des projets sur cette artère. Bientôt, nous aurons sur le cours Saint-Louis un restaurant du groupe Bao Family qui, en plus, va permettre de se débarrasser d’une véranda construite à l’époque en tout illégalité. C’est l’exemple parfait d’une opération où nous ne sommes pas intervenus mais qui nous satisfait.
Selon quels critères choisissez-vous les commerces à implanter à la suite d’une préemption ?
R.B. : Généralement, lorsqu’on engage une préemption, il y a une réflexion en amont car c’est de l’argent public. Nous sommes attentifs à créer une harmonie entre les différents commerces alentours. Sur la Canebière, beaucoup de commerces “froids” sont présents – des banques, des assurances … -, il y manque cruellement des lieux de vie.
Les appels à projets sont larges, on ne ferme aucune porte. Sur la rue de Rome, par exemple, on ne s’attendait pas du tout à ce qu’on nous propose un projet de Comedy Club (projet porté par Sébastien Mei qui ouvrira ses portes au printemps au 59 rue de Rome, ndlr). Ce projet nous a intéressés car il comporte à la fois une activité nocturne, avec deux soirées de stand-up gratuites par semaine, et des activités de jour avec de la formation aux réseaux sociaux, du tournage de vidéo ainsi qu’un café et de la restauration légère. C’est pensé en cohérence avec les autres commerces de bouches autour, qui pourront fonctionner le soir grâce aux spectacles.
Il va falloir que nous réinventions cette rue “Saint-Fé
Rebecca Bernardi
Vous voulez redynamiser le commerce à Marseille. Pourtant, sur l’artère commerciale principale, la rue Saint-Férréol, on a l’impression que les rideaux se baissent un à un...
R.B. : La rue Saint-Ferréol est un sujet à part entière. Elle est fortement impactée par la fermeture d’enseignes milieu de gamme connues qui, aujourd’hui, périclitent. De façon générale, les enseignes textiles sont en difficulté. Il va falloir que nous réinventions cette rue “Saint-Fé”, mais je tiens à conserver son identité avec des marques jeunes, urbaines, accessibles. Il va nous falloir travailler main dans la main avec les commerçants et être imaginatifs. J’ai régulièrement des réunions avec eux sur le sujet.
Quels sont les secteurs de la ville qui attirent le plus les commerces ?
R.B. : Clairement, Marseille est une ville à la mode. Beaucoup d’enseignes souhaitent s’y installer mais ces projets sont encore confidentiels… Paradoxalement, certains axes sont vite liés à un type de commerces qui n’existe plus, comme la rue Saint-Fé. En revanche, des quartiers comme le cours Julien (6e), Notre-Dame-du-Mont (6e), le haut de la Canebière vers les Réformés (1er) ou encore l’Opéra (1er) plaisent énormément. Vauban (6e) est également très prisé, de même que le 7e arrondissement. L’enjeu, c’est surtout de savoir à qui le commerçant va revendre son fonds de commerce à la fin, et c’est là que j’interviens. On ne peut pas implanter une chaîne de fast-food au cours Julien par exemple… Il faut que le commerce colle à l’esprit du quartier, à sa population.
La délocalisation prochaine de la vie judiciaire, historiquement située en centre-villle, vers un nouveau bâtiment à Euroméditerranée inquiète les commerçants (voir notre dossier à ce sujet). Quel est votre sentiment ? Avez-vous prévu de leur venir en aide ?
R.B. : J’ai peur aussi ! Notre position était claire depuis le début : nous étions pour le maintien de la cité judiciaire en centre-ville. Il convient de relativiser, car on a tout de même un centre-ville de qualité malgré quelques points noirs. Malheureusement, il a été très fragilisé par les changements de ces dernières années avec l’arrivée de centres commerciaux qui, effectivement, ont bouleversé la donne, mais aussi la crise sanitaire et les événements de ces derniers temps, les émeutes mais aussi le coût de l’électricité qui augmente… Je n’arrive toujours pas à comprendre la décision de délocaliser la vie judiciaire.
Concernant les aides aux commerçants, c’est une compétence de la Région. Nous ne pouvons donc pas mettre en place de système d’aide comme nous l’avions fait au lendemain des émeutes, ce qui a d’ailleurs valu à la Ville d’être assignée au tribunal administratif par la Région pour être sortie de sa compétence.
Lancement d’une foncière tertiaire et commerce avec la Banque des territoires en septembre
De façon plus générale, avez-vous prévu de mettre en place des outils pour aider les commerces à s’implanter à Marseille ?
R.B. : Nous portons un projet de foncière municipale qui va nous permettre de racheter les rez-de-chaussée commerciaux et immeubles entiers. Ce sera une foncière tertiaire et commerce, donc quand on achètera des immeubles, on pourra aussi accueillir des bureaux dans les étages, ce qui est très important pour le commerce. Nous travaillons avec la Banque des territoires sur ce projet. Tout est encore en cours de validation mais l’objectif est de mettre cette foncière en fonctionnement en septembre 2024. Cela va nous permettre d’avoir un levier supplémentaire sur le secteur prioritaire, c’est-à-dire la Canebière et les alentours.
A côté de cela, nous travaillons à la mise en place d’un guichet unique informatique. Les commerçants n’auront plus à courir entre les différents services (urbanisme, espace public…). Ils déposeront un dossier unique, ce qui sera beaucoup plus simple pour eux.
En savoir plus :
> Ancienne bijouterie Piery : comment la mairie veut redynamiser la Canebière
> Droit de préemption : extension du périmètre de sauvegarde du commerce et de l’artisanat de proximité (Ville de Marseille)
> Notre dossier sur la cité judiciaire