Olivier Laffitte est avocat, président de ESG Legal – l’Observatoire du droit de la finance durable et expert et administrateur du Forum pour l’investissement responsable (Fir). Le Fir est une association nationale multi parties prenantes qui a pour objet de promouvoir et développer l’investissement responsable et ses meilleures pratiques. Le Fir est intervenu à l’invitation de Gomet’ lors des Rencontres de la finance verte et solidaire à Marseille fin 2023. Gomet’ a sélectionné cette tribune, qui explique en quoi la pratique du greenwashing est considérée comme un délit aux yeux de la loi et les sanctions encourues.
Si la lutte contre le greenwashing relève en premier lieu de la responsabilité des autorités de surveillance des marchés, force est de constater qu’à ce jour, leur action reste très limitée, pour ne pas dire inexistante, au regard de l’ampleur du phénomène. Cette absence de sanction, et donc de risque pour les entreprises concernées, constitue à n’en pas douter un puissant moteur pour celles pratiquant un greenwashing décomplexé. Les entreprises ne réagissant en effet qu’à proportion du risque encouru, prétendre mettre fin au greenwashing sans faire exister un risque réel de sanction apparaît ainsi illusoire et naïf.
Dans ce contexte, les praticiens du droit des affaires savent que s’il est un risque juridique que les entreprises et leurs dirigeants prennent très sérieusement en considération, c’est bien celui du risque pénal ! En matière de greenwashing, le risque pénal reste à ce jour ignoré par les entreprises et inexploré par les juristes. Il existe pourtant bel et bien dans notre arsenal législatif.
Le greenwashing relève du délit boursier de « diffusion d’informations fausses ou trompeuses »
A l’évidence en effet, le greenwashing pratiqué par des entreprises cotées est susceptible de relever du délit financier de diffusion d’informations fausses ou trompeuses, tel que défini à l’article L. 465-3- 2 du Code monétaire et financier.
Ce dernier prévoit en effet que : « I. Est puni des peines prévues au A du I de l’article L. 465-1 le fait, par toute personne, de diffuser, par tout moyen, des informations qui donnent des indications fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives d’un émetteur ou sur l’offre, la demande ou le cours d’un instrument financier ou qui fixent ou sont susceptibles de fixer le cours d’un instrument financier à un niveau anormal ou artificiel. II. La tentative de l’infraction prévue au I du présent article est punie des mêmes peines. »
Dans ce contexte, il ne fait guère de doute que les communications avantageuses des entreprises cotées sur leurs prétendues performances climatiques ou ESG, sont de nature à donner une « indication fausse ou trompeuse sur la situation ou les perspectives » de ladite entreprise, ou lorsqu’il s’agit de considérer un instrument financier, sur « l’offre, la demande ou le cours » dudit instrument financier, ou encore sont susceptibles de fixer le cours dudit instrument financier « à un niveau anormal ou artificiel ».
En la matière, il convient de relever que les tribunaux ont adopté une interprétation large et pragmatique de ces dispositions. Ainsi, c’est l’ensemble des communications d’une entreprise, quel que soit le support ou le vecteur, qui sera analysé globalement afin de déterminer si des informations fausses ou trompeuses ont été diffusées. Les campagnes de communication, les déclarations publiques, et bien évidemment l’ensemble des informations communiquées au public et aux clients en vertu de la réglementation de la finance durable et de la CSRD sur les performances climatiques ou ESG d’une entreprise ou d’un instrument financier, seront susceptibles de fournir des arguments pour démontrer l’existence d’une diffusion d’informations fausses ou trompeuses.
A cet égard, il convient de souligner que le délit pénal susmentionné n’exige pas que la diffusion d’informations fausses ou trompeuses ait atteint l’objectif recherché par son auteur, dès lors que la simple tentative est punissable, comme le rappelle expressément l’alinéa 2 de l’article L. 465-3-2 du Code monétaire et financier. Dans ce contexte, il ne fait guère de doute que les entreprises cotées pratiquant le greenwashing s’exposent à un risque pénal substantiel.
Un risque pénal substantiel
Le Parquet National Financier, autorité de poursuite exclusive dotée d’un pouvoir de sanction exceptionnel Ce risque pénal est d’autant plus important qu’il relève de la compétence exclusive du Parquet National Financier.
Le Parquet National Financier, ou « PNF », s’est déjà illustré sur de précédentes affaires médiatiques, et a largement démontré sa ténacité, son indépendance ainsi que son volontarisme pour engager des poursuites pénales à l’encontre d’entreprises ou d’acteurs particulièrement puissants. A cet égard, l’article 705-1 du Code de procédure pénale donne au PNF une compétence exclusive pour poursuivre et juger les délits boursiers prévus aux articles L. 465-1 à L. 465-3-3 du Code monétaire et financier, et donc notamment pour poursuivre et sanctionner les entreprises cotées ayant diffusé des informations fausses ou trompeuses.
En la matière, les sanctions sont particulièrement lourdes, puisque l’article L. 465-1 I. A. du Code monétaire et financier prévoit une peine de « cinq ans d’emprisonnement et de 100 millions d’euros d’amende, ce montant pouvant être porté jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit ». Un risque pénal et financier exceptionnel donc, qui devrait, à n’en pas douter, être sérieusement pris en compte par les entreprises et leurs dirigeants…
Saisissez le juge pénal pour poursuivre les délinquants de la finance durable !
Dans ce contexte, le risque pénal constitue à l’évidence un levier particulièrement puissant et efficace pour dissuader les entreprises tentées par le greenwashing, et convaincre celles qui le pratiquent, d’y mettre fin. Ainsi, que vous soyez une ONG, un acteur financier, un simple actionnaire-citoyen ou une autorité de contrôle des marchés, saisissez le Parquet National Financier afin que celui-ci diligente des enquêtes et engage des poursuites pénales contre les délinquants financiers adeptes du greenwashing. Une simple lettre détaillant les agissements délictueux suffit. Pour le reste, faisons confiance aux magistrats du Parquet National Financier pour faire avancer la justice climatique, et faire reculer le green washing !
Olivier Laffitte