Considéré comme une ressource alternative et décarbonée pour produire de l’électricité, l’hydrogène fait de plus en plus parler de lui. Sur le territoire, de nombreuses entreprises se sont déjà lancées : Hysilabs, Sakowin, Enogia … La plupart étaient présentes sur le salon Euromaritime qui s’est tenu fin juin. Le nouvel or vert de l’énergie est ciblé par CCI France comme un secteur stratégique pour sa mission réindustrialisation, qui vise à relocaliser l’industrie en France (voir notre précédent article).
Blocage législatif et problèmes d’avitaillement
Pourtant, malgré cette mise en lumière, les industriels du secteur sont inquiets, à commencer par Chloé Zaied, fondatrice d’Hynova, entreprise basée sur le chantier naval de La Ciotat qui conçoit des navires de plaisance à propulsion hydrogène. Son premier navire a été mis à l’eau à Marseille : « Cela a été compliqué, mais j’ai décidé de faire, sans attendre de feu vert. Il faut se mouiller quand on veut faire avancer les choses », se souvient-elle.

Elle déplore un manque de réactivité des pouvoirs publics : « aujourd’hui, dès que nous voulons mettre en œuvre un projet innovant en lien avec l’hydrogène, nous nous heurtons à des freins administratifs et règlementaires. Or, si l’on attend une nouvelle règlementation pour avancer, on va rater le coche », alerte-t-elle. Une situation qu’elle exposait déjà en 2021 à Gomet’. Autre problématique selon la cheffe d’entreprise : l’avitaillement des ports en hydrogène. « Les ports ne savent pas sur quel texte règlementaire s’appuyer pour faire venir de l’hydrogène. Il faut simplifier, fluidifier, et surtout éduquer à l’hydrogène », plaide-t-elle.

Un constat partagé par Arthur Leroux, PDG d’Enogia, qui commercialise plus spécifiquement des machines ORC (Organic Rankine Cycle) permettant de recycler la chaleur fatale en électricité. Mais l’entreprise s’est également lancée depuis quelques années l’hydrogène : elle développe des compresseurs d’air pour les piles à combustibles (qui permettent de transformer l’électricité en hydrogène). « En France et plus spécialement dans le Sud, nous avons un écosystème les plus riches en termes d’entreprises de toutes tailles et de diversité. Ce n’est pas les innovations qui manquent », remarque-t-il. Il s’inquiète en revanche du risque, a contrario, d’une trop grande régulation du secteur : « Le problème des règlementations existantes, c’est qu’elles sont calquées sur des technologies spécifiques, elles ne posent pas de grands principes qui peuvent s’appliquer à tout le monde. Il faut donc être prudent », estime-t-il. Pour lui, le problème concerne plus largement l’innovation, où la région semble à la traîne : « Sur les 120 ORC que nous avons commercialisés, seul un est en service dans la région, et zéro dans la Métropole » déplore l’entrepreneur marseillais.
L’hydrogène : « la troisième révolution énergétique est enclenchée »
Chloé Zaied
Le concept d’Hynova étant entièrement fondé sur l’hydrogène, Chloé Zaied s’inquiète pour sa propre survie mais également pour l’avenir de la planète : « La troisième révolution énergétique est enclenchée. Si nous ne nous en saisissons pas, nous ne serons jamais indépendants sur le plan énergétique. La planète est en train de cramer, qu’est-ce qu’on attend ? », s’agace-t-elle. Aujourd’hui, la cheffe d’entreprise est désabusée et envisage de commercialiser son second produits, qui sortira de l’eau d’ici quelques mois, ailleurs qu’en France, dans des pays à la règlementation plus clémente.

Afin de peser d’avantage dans le paysage, certaines entreprises se regroupent au sein de consortium. C’est le cas d’Hynova, au sein d’Hynovar, mais aussi d’Enogia, qui fait partie du consortium QualifHy qui comprend également des entreprises du secteur comme Helion (filiale d’Alstom) ou Hysilabs.
Tous deux réagissent aussi à l’implantation du consortium Gravithy à Fos-sur-Mer, qui vise une positon de pôle européen de la fabrication d’acier vert avec l’hydrogène. Un projet colossal, à 2,2 milliards d’euros, mené de concert par Engie, le groupe Idec, Faurecia, Primetal Technologie et l’américain Plug Power. «C’est génial, mais c’est encore un gros projet qui va séduire l’administration. A quand l’hydrogène dans les voitures, chez la ménagère ? », interroge-t-elle.
Hydrogène : CCI France veut d’abord « prioriser les gros projets »
Mais cela ne semble pas être pour tout de suite. Interrogé par Gomet’ au cours d’une conférence organisée pour présenter la conjoncture régionale, le vice-président de la CCI régionale Daniel Margot, référent de la mission Réindustrialisation lancée par la CCI France, détaille les ambitions de cette dernière et de France Hydrogène : « Dans le cadre de la mission de réindustrialisation, nous allons accompagner nos entreprises pour se saisir de l’hydrogène. Néanmoins pour l’heure, il est plutôt question d’appuyer de gros projets comme I-Green à Fos-sur-Mer validé par l’Ademe qui projette de stocker 240 tonnes d’hydrogène par an, plutôt que de financer des multi-projets qui ne sont pas assez matures. »

Une position contestée par Hynova et Enogia : « C’est trop facile de dire cela. L’hydrogène, ça fait 200 ans qu’on sait comment ça fonctionne, nous n’en sommes plus au stade de l’expérimental », tacle Chloé Zaied. « C’est typiquement français : favoriser les gros projets au détriments des petits. A contrario, il vaudrait mieux commencer par de petits projets, plutôt que se lancer directement dans de gros chantiers », analyse pour sa part Arthur Leroux.
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